Il y a trois ans, la designer Marie-Eve Proulx lançait Odeyalo. La marque de vêtements produits à Montréal se veut slow fashion, transparente et respectueuse de l’environnement. Contre le gaspillage et adepte de basiques indémodables, on discute avec la designer.
Comment Odeyalo a vu le jour?
Un été, j’ai commencé une grande introspection. Je faisais du design pour des entreprises basées à Montréal, mais qui faisaient de la production outre-mer, essentiellement en Inde, en Chine, au Bangladesh. Je voyageais beaucoup et les manufactures ce n’est pas toujours la joie là-bas. Je travaillais pour du fast fashion, du «porté-jeté». On choisissait toujours le tissu le moins cher, au niveau de la production les gens étaient vraiment mal payés, la façon dont les employés étaient traités, etc. Ça allait totalement à l’encontre de mes valeurs.
J’aimais toujours faire du design de vêtements, mais pour ces raisons-là, j’ai remis en question ma carrière. Sans emploi, j’ai offert mon aide à mon ancienne partenaire d’affaires, Yana Gorbulsky, qui avait une ligne de vêtements pour enfants. Ensemble, on s’est mise à réfléchir sur le fait qu’on était toujours habillées en vêtements confortables pour travailler chez elle, mais en même temps on avait besoin qu’ils soient beaux puisque je voyais des gens en m’y rendant en métro. De fil en aiguille, on a décidé de faire quelques prototypes comme on coupait à ce moment-là un tissu super doux pour ses vêtements pour enfants. On a vraiment aimé, donc on a fait un test, on a ouvert une boutique en ligne sur Shopify. Et c’est un projet pour le plaisir qui est devenu réel!
Surtout, je peux aujourd’hui appliquer mes valeurs comme je le souhaite au sein d’Odeyalo.
«On peut prendre le temps de fabriquer, tout le monde est payé équitablement et nos vêtements vont durer.»
Quelle est votre vision de la mode éthique?
On est une petite entreprise, on fait presque tout nous-mêmes. On travaille avec un coupeur local et avec des couturières basées à Montréal. On ne fait pas d’énormes quantités, donc tout reste vraiment sous notre contrôle.
Nous nous situons dans une optique où on peut prendre le temps de fabriquer les choses, où tout le monde est payé équitablement et où nos vêtements vont durer. Ce ne sont pas des vêtements qui vont être éphémères [ou abimés] après une saison. D’ailleurs, on a des basics de nos débuts qu’on vend toujours aussi bien aujourd’hui! On essaye d’épurer le plus possible les pièces pour que les gens puissent les porter pendant longtemps, que ça s’inscrive dans le temps. En fait, on préfère mettre la qualité, le temps et l’énergie aux bons endroits pour en faire peu, mais bien.
Parlez-nous de votre collection «Les presque parfaits».
Il peut y avoir des problèmes à différents stades de la production. Le tissu n’est jamais parfait quand il arrive. On essaye de couper autour quand on peut, mais ce n’est pas toujours possible. Parfois, c’est minime et d’autres fois, le défaut est à l’intérieur, donc personne ne va savoir qu’il y en a un, mais pour nous, ce n’est pas assez bon pour l’envoyer en boutique ou le vendre en ligne à plein prix.
Le fait que ce soit local et slow fashion nous oblige à un certain prix et on comprend tout à fait que ce n’est pas au niveau du portefeuille de tout le monde. Je pense donc que c’est important de pouvoir offrir des vêtements «imparfaits» comme ça à des gens qui ne pourraient peut-être pas se le payer à plein prix et pour qui ce n’est pas tellement grave d’avoir un petit défaut. Il y a des personnes pleines de ressources qui sont capables de les réparer et d’autres que ça ne dérangent pas! Comme on ne veut pas avoir de pertes, on les vend vraiment moins cher.
On donne aussi des retailles. On collabore beaucoup avec la courtepointière Marilyn Armand de l’entreprise Le point visible, avec des écoles pour des projets d’arts notamment, ou encore avec Sophie P-Voyer d’Atelier retailles qui fait des papiers à base de fibres naturelles.
On a plusieurs bacs dans notre atelier pour mettre les retailles de côté. On est toujours en mode solutions, c’est pratiquement une job à temps plein! Un jour, j’aimerais avoir quelqu’un qui se consacre uniquement sur ce point. C’est vraiment quelque chose d’important parce que l’on sait que l’industrie de vêtements est extrêmement polluante.