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Jan-Philippe Barbeau, maître de la levure norvégienne Kveik (mais pas seulement)

Jan-Philippe Barbeau, maître de la levure norvégienne Kveik (mais pas seulement)

Les Bâtisseurs x Baron en collaboration avec le festival Bières et Saveurs de Chambly

 

Jan-Philippe Barbeau est le créateur de la fameuse MacKroken Flower, une scotch ale au miel et aux subtiles saveurs sucrées. Cet incontournable dans le palmarès des bières québécoises porte l’étiquette du Bilboquet, la microbrasserie où il a fait ses premiers pas. Rencontre avec un brasseur dont les produits sont depuis peu flanqués de sa propre marque, Épitaphe, qui fait voyager les papilles jusqu’en Scandinavie. 

Originaire d’Alma, municipalité du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Jan-Philippe Barbeau a vécu longtemps à Québec puis à Saint-Hyacinthe, où il se «dirigeait tranquillement vers rien», lance-t-il avec humour. Client très régulier de la microbrasserie Le Bilboquet, l’une des pionnières en brassage artisanal, il y déroche un emploi dans l’entretien ménager, une fois par semaine. «De fil en aiguille, je me suis intéressé au brassage et j’ai eu la chance de pouvoir être formé sur place», raconte M. Barbeau.

Jan-Philippe Barbeau.

Copropriétaire d’une broue pub devenue microbrasserie, Loup Rouge, durant près de 10 ans, il devient ensuite brasseur chez Lagabière microbrasserie à Saint-Jean-sur-Richelieu en 2017. M. Barbeau vient d’ailleurs tout juste de quitter ses fonctions pour aller chez Brasseurs RJ, structure issue de la fusion, en 1998 des Brasseurs GMT, du Cheval Blanc et des Brasseurs de l’Anse.

Laisser sa marque

C’est fort de ces expériences et animé d’une envie de créer ses propres recettes que l’entrepreneur lance sa marque de bière, Épitaphe, en 2018. Loin d’être un symbole funeste, la dénomination reflète plutôt l’envie de changement et de renouveau; les recettes de M. Barbeau étant quelque peu différentes de ce qui se fait actuellement au Québec.  

La Larvikite, IPA brassée avec de l’orge maltée, du blé malté, de l’avoine en flocons et différents houblons, sa première réalisation en solo, est faite à partir d’une levure norvégienne, la Kveik, qu’il a notamment découverte grâce au biérologue et auteur québécois Martin Thibault. «Je l’apprécie beaucoup, il est extraordinaire, souligne-t-il. Il a remis la Kveik au goût du jour, elle ne se faisait presque pas au Québec.»

La mystérieuse levure, héroïne de 5 des 9 produits qui portent l’étiquette Épitaphe, est intéressante pour sa constance. «C’est agréable de ne pas avoir peur de ce qui va se passer lors de la fermentation, ajoute-t-il. Ces levures sont parfaites, car elles sont constantes et elles empêchent souvent les faux goûts.»  

Évidemment, ces petites bactéries scandinaves possèdent aussi des saveurs particulières. Elles confèrent aux bières des notes fruitées proche des agrumes confits, mariées à des côtés plus “funky” épicés, presque phénoliques. Si Jan-Philippe Barbeau était un peu fébrile lors du premier essai, il a vite été convaincu. «C’est un peu comme un laboratoire, plein de variantes sont possibles et ça ne peut pas ne pas être bon», s’enthousiasme-t-il.

«Le problème n’est pas la venue de nouveaux joueurs, mais plutôt la propension de certains à croire que c’est un métier facile»

Inspiration

Côté création, ce n’est d’ailleurs pas l’inspiration qui manque chez le brasseur venant à peine de célébrer ses 40 ans. «J’aime beaucoup les nouvelles tendances et observer ce qui se passe pendant la semaine brassicole, lance-t-il. Mais je tiens aussi aux procédés traditionnels, il ne faut pas uniquement se cantonner aux nouvelles techniques.»

Barbeau accorde beaucoup d’importance à la dégustation de nouveaux produits. Ses préférences? Cela dépend, dit-il en marquant une pause. «J’aime beaucoup le houblon, les IPA et ce qui s’approche des saisons traditionnelles flamandes», révèle-t-il. 

Courtoisie.

Pour le résident de Bedford, dans les Cantons de l’Est, une bonne bière doit être sèche ou du moins créer la sensation de l’être et se boire facilement même si le taux d’alcool est élevé. En somme, le succès se mesure à la faculté de créer une certaine complexité dans les saveurs, sans que le tout paraisse artificiel, voire caricatural.

Optimiste quant à l’avenir

De plus en plus nombreux sont ceux qui tentent de maîtriser cette complexité, en créant leur propre marque ou en brassant chez eux, pour le plaisir. Sur l’étiquette de la Récession, une session IPA au seigle d’Épitaphe, on peut lire: «Nous vivons un moment charnière […] dans le monde brassicole. Par temps dur, certaines brasseries vivront leur dernier souffle. D’autres sauront s’en tirer.»  

Une prose assumée par M. Barbeau, qui assiste impuissant à la faillite et à la fermeture de plusieurs structures au Québec, notamment son ancienne brasserie, Loup Rouge. «Le problème n’est pas la venue de nouveaux joueurs, mais plutôt la propension de certains à croire que c’est un métier facile», témoigne-t-il. Il est donc important de bien s’entourer et de nouer des relations d’affaires solides, qui ressemblent d’ailleurs plus à des amitiés dans son cas. 

Malgré tout, Jan-Philippe Barbeau garde un oeil plutôt positif sur l’avenir du monde brassicole. «Je ne pense pas que le marché va s’effondrer, bien au contraire», affirme-t-il avec aplomb. 

En tout cas, lui ne mettra pas de côté sa passion de si tôt. Sa dernière création en date est la Frukt, une itération de ses Kveik IPA à 6%, mais avec Modaic, Citra et Simcoe comme houblons. S’il aime incontestablement travailler avec la levure norvégienne, il ne s’agit toutefois pas d’une relation exclusive. 

Courtoisie.

La Steke, sa prochaine création qui n’est pas encore disponible sur le marché, est brassée chez Mille Îles à Terrebonne avec l’orge et le blé de MacAllen, et est composée de Jovaru. Cette levure lituanienne apparentée aux Kveik, agrémentée de miel et de petits fruits de la ferme MacAllen en plus de bactéries et de levures sauvages, est ensuite transférée dans des barils de Cabernet. Elle aura maturé plusieurs mois lorsqu’elle sera empaquetée, bientôt. 

S’il n’est pas fermé à augmenter légèrement sa production, actuellement stabilisée à 2000 litres par mois, M. Barbeau souhaite que ses affaires gardent une taille humaine. «Cela ne sert à rien d’inonder le marché, surtout que je suis un contractuel», fait-il valoir. Ce ne sont toutefois pas les projets et les collaborations fructueuses qui manqueront pour ce brasseur passionné, qui n’a sûrement pas fini de nous étonner. 

Les bons coups de Jan-Philippe Barbeau

  • Il a créé un groupe Facebook, nommé Brasseurs du Québec, pour rassembler la communauté. Ses membres s’échangent de nombreuses informations sur le milieu. «C’est ciblé et ça fonctionne bien, je reçois souvent des demandes», comment-t-il. 
  • Depuis 2001, il est vice-président des Importations privées Biéropholie, un OBNL dont le mandat est encore d’actualité puisque le marché évolue rapidement. «On réussit à atteindre l’objectif de rendre les bières internationales disponibles sur le marché», s’enthousiasme-t-il. 
  • Il est l’instigateur d’un blogue qui répertorie et met à jour toutes les brasseries du Québec, par région.   

🍺 Épitaphe

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