Prendre le bois des arbres qui doivent être abattus pour en faire du mobilier urbain confectionné par des organismes de réinsertion sociale, voilà l’idée de départ de Bois public, jeune organisme à but non lucratif situé à Montréal, dans le quartier Rosemont-La-Petite-Patrie. Si la prémisse semble simple, la vision de Bois public s’est précisée au fil des ans et ses projets se sont diversifiés. Petit retour sur une grande histoire.
En 2015, certains arbres de Rosemont-La-Petite-Patrie sont au plus mal: l’agrile du frêne, un petit coléoptère ravageur, s’attaquent à eux. Les frênes dépérissent et beaucoup meurent. «L’arrondissement s’est résolu à abattre une grande quantité d’arbres malades, mais refusait l’idée de simplement les réduire en copeaux qui allaient être envoyés à l’enfouissement», explique Marie-Ève Dontigny, directrice générale de Bois public depuis 2019. L’arrondissement contacte donc Ronald Jean-Gilles, consultant en développement de partenariats sociaux, maintenant aussi Président du conseil d’administration de Bois Public, pour voir s’il n’y a pas quelque chose à faire avec tous ces arbres. Ronald Jean-Gilles met alors sur pied un projet pilote avec Groupe Information Travail, organisme de réinsertion socioprofessionnelle ayant un volet en ébénisterie. «Des bancs, disons-le, très rustiques sont ainsi confectionnés, souligne en riant Marie-Ève Dontigny, et mis à la disposition des citoyens. Ça a été le premier projet de Ronald Jean-Gilles, qui allait fonder, un an plus tard, Bois Public!»
Les partenariats avec des organismes de réinsertion demeurent, depuis, au cœur des projets que réalise Bois Public. «Ça suit la logique de l’économie circulaire, qui est une de nos valeurs fondatrices, précise la directrice générale. Ces gens-là, ce sont des gens exceptionnels, avec un cœur immense. Ça a changé ma vie de travailler avec ce type d’organisme, de voir à quel point on peut croire en l’humain et lui donner de la valeur à travers le travail!»
Après Groupe Information Travail, Ronald Jean-Gilles s’associe avec Les Ateliers d’Antoine. «Ensemble, et avec une nouvelle associée, ils sont arrivés à un résultat qui s’apparente davantage à ce qu’on fait maintenant», explique Marie-Ève Dontigny. En effet, après le premier projet de confection de bancs «rustiques», un directeur en design de l’UQAM contacte Ronald Jean-Gilles. «En gros, il lui a dit que l’idée de récupérer les frênes était excellente, mais qu’il fallait, selon lui, revoir l’esthétique du résultat», révèle Marie-Ève Dontigny avec un sourire dans la voix. Il a présenté à Ronald Jean-Gilles une de ses étudiantes qui terminait justement sa maitrise sur la valorisation du frêne. «C’était Amélie Charbonneau, aujourd’hui notre designer!»
Si la beauté du résultat est primordiale, jamais l’organisme, qui a son propre atelier depuis 2019, ne lésine sur les étapes qui permettent une transformation et une fabrication en harmonie avec ce qui convient d’appeler l’écoconception. «Dernièrement, avec la ville de Québec, on a fait notre première collaboration “locale”», dit-elle fièrement. Au lieu de se déplacer pour aller chercher le bois à revaloriser, de revenir à Montréal dans son atelier et de retourner porter le travail là-bas, l’équipe de Bois Public a tout fait sur place, à Québec. «Non seulement ça permet de diminuer le CO2 produit par les multiples déplacements, mais ça valorise l’économie locale! On garde aussi en tête, toujours, de prioriser les organismes à caractère social, qui sont situés localement.»
Évidemment, le processus de transformation et de conception se veut aussi écologique. Les pertes sont absentes ou réduites au minimum, les retailles étant utilisées pour les petits projets, par exemple. Les colles, les peintures et autres matériaux sont tous respectueux de l’environnement «et il y a des demandes de particuliers qui sont refusées parce que ça ne correspond pas aux valeurs environnementales de Bois Public, comme des projets de meubles qui contiennent de l’époxy», mentionne Marie-Ève Dontigny.
Des demandes de particuliers? «Oui, on crée et fabrique, depuis quelques temps, des projets qui viennent de particuliers ou d’entreprises privées, explique la directrice générale. Avec la pandémie, on a dû changer notre modèle d’affaires. Beaucoup de nos contrats avec les villes ou au public ont été annulés, et les subventions qu’on reçoit ne sont évidemment pas suffisantes pour répondre à nos besoins. On arrive maintenant, avec nos contrats au privé, à s’auto-financer, ce qui nous rend moins dépendants.»
Décidément, depuis son arrivée en poste, Marie-Ève Dontigny déborde d’idées pour développer cet organisme. La dernière en liste? «Un partage d’atelier! On vient de confirmer ce partenariat fusionnel. On va partager notre atelier avec une entreprise d’ébénisterie qui fait de l’insertion sociale! s’exclame-t-elle. Moi qui adore travailler avec ce type d’entreprise, je suis comblée!» Marie-Ève Dontigny propose en effet cette équation pour exprimer comment Bois Public et l’insertion sociale se répondent et se complètent: «Nous, on valorise les arbres. Eux, ils valorisent les humains.» À voir Bois Public aller, il semble bien que la nature et l’humain peuvent encore cohabiter.