S’ouvrir aux différents artistes et publics, repenser la place des œuvres et leur présentation… L’artiste montréalais d’origine mexicaine Eric Carlos Bertrand met à profit sa double nationalité et ses diverses expériences professionnelles pour questionner le monde de l’art. Cache Studio, où il est directeur artistique, lui sert également d’atelier pour créer tant des œuvres miniatures que des œuvres plus complexes.
Eric Carlos Bertrand a un baccalauréat en Arts visuels à l’Université de Montréal, une maîtrise en Gravure et sculpture obtenue dans son pays natal au Mexique et parallèlement, il a suivi un apprentissage sur les techniques de peinture. Son parcours professionnel l’a amené à travailler tant dans le domaine public que privé. Il a notamment dirigé des galeries et des centres d’artistes, ou encore fait de la traduction de textes dans le milieu académique pour des revues spécialisées en art.
«Quand j’étais étudiant en art, il y avait un peu le courant de l’art conceptuel, ça permettait à mon côté humoristique de se développer. En vieillissant, il devient plus sarcastique, satirique même! J’ai commencé par l’installation, mais assez rapidement la peinture a pris place. À travers le côté conceptuel, j’ai pu intégrer ça à ma peinture», explique-t-il.

La littérature et la technique en tant que telle représentent ses sources d’inspiration quotidiennes. L’artiste décide d’avoir différents styles qui lui permettent d’enrichir sa personnalité, de gagner en liberté et d’aller à contre-courant. Cette pratique comporte des enjeux lors de la diffusion de son travail.
«Le monde des galeries commerciales a instauré une norme que je pourrais résumer: signature égale style, soutient-il. Quelqu’un qui a plusieurs styles comme moi, ça devient problématique. C’est déjà difficile à amadouer un collectionneur alors là, c’est comme si c’est contre-intuitif, comme si ce n’était pas authentique. C’est comme si l’artiste était schizophrène ou avait une absence de personnalité, ce qui est faux, c’est juste qu’il a plusieurs styles.»
Transporter l’art
La fermeture des galeries, avant même la crise sanitaire, a permis de rejoindre un nouveau public.
«Essentiellement à Montréal, dans les artistes professionnels, il y en a très peu qui survivent de leur travail. C’est en train de changer. Il y a quelque chose qui est arrivé avec la crise sanitaire. Il y a beaucoup d’artistes qui vendent leur travail directement sur les plateformes, surtout Instagram. Les gens les trouvent. Est-ce que ces gens-là vont dans les galeries? Ce n’est souvent pas le cas. Ça veut dire qu’il y a une nouvelle possibilité avec un public qui n’est pas pris en charge par les institutions, mais c’est peut-être en train de changer parce que je pense que les galeries s’en sont rendu compte. Il y a un public assez grand, un peu timide et frileux, qui ne sait pas comment approcher les artistes et qui aimerait collectionner», décrit M. Bertrand.
Il a alors appris à vendre son propre travail sur Internet, notamment en ciblant son public et en faisant de la promotion sur Facebook. Sa démarche en ligne est complémentaire de son espace physique, Cache Studio, avec lequel il veut promouvoir le travail des peintres montréalais, aider les artistes à se promouvoir eux-mêmes.
«Je me suis rendu compte au Mexique que certains artistes transformaient leur atelier en galerie, raconte-t-il. Les plus grosses galeries en ce moment là-bas, elles ont commencé comme un projet dans leur garage. Par exemple, Kurimanzutto, c’est là où les plus grands artistes mexicains actuels ont exposé pour la première fois. La masse critique à Montréal est moins grande: il y a moins de personnes, il y a moins de possibilités. Mais éventuellement, mais quand les médias sociaux ont commencé, je me suis dit que c’était le temps parce que je pouvais projeter de la métropole et envoyer des œuvres en dehors.»


Sa série d’œuvres miniatures a ainsi vu le jour, incluant un emballage.
«Normalement, on se dit que si l’art est bon, il n’est pas bon marché. Pour moi, il n’y a pas de contradiction aussi longtemps que ça ne contamine pas le processus artistique. C’est ce que j’ai fait pour le rendre accessible à un marché plus large. J’ai pris beaucoup de temps à y penser et à choisir le format. J’en ai réalisé beaucoup parce que c’est un processus assez rapide, puis je me suis amusé à faire un emballage pour ces peintures originales. Si j’en parlais à n’importe qui sans qu’il voie le produit, il penserait que c’est un sacrilège. Pourquoi? Ça fonctionne, d’ailleurs ça se vend et les gens sont contents. Et ça peut servir comme carte de présentation où ils peuvent voir la variété de mon travail, qui peut être plus réfléchi et complexe», affirme Eric Carlos Bertrand.
Il les imagine notamment comme des cadeaux corporatifs.

Enfin, il développe un blogue sur lequel il parle de son travail conceptuel qui s’adresse davantage au public des musées.
Combinaison de stratégies
Ses différents sites peuvent vivre indépendamment les uns des autres et sont en même temps complémentaires.
«Le cycle en art sur Internet est très long, souligne le peintre. Une personne doit voir une annonce 7 ou 8 fois avant d’acheter. Le processus lui-même me donne énormément de visibilité, même si je ne vends pas. D’un autre côté, c’est sûr que l’idéal est que la personne voit la personne en vrai. C’est pour ça aussi que j’ai combiné cette stratégie avec celle de Cache Studio. Les gens peuvent venir voir le travail.»
Une première exposition de peinture est d’ailleurs prévue en juin avec des artistes qui ne sont pas représentés, qu’il a trouvés sur Instagram ou qui lui ont été recommandés.
«Mon intention est d’ouvrir une communauté pour qu’on puisse partager, et j’ai l’impression que ça va donner refuge à la peinture d’auteur à Montréal. Et ça va me rétroalimenter. Par osmose, probablement que je vais pouvoir mieux promouvoir mon travail. Je veux séparer les choses dans l’apparence parce qu’ici, c’est comme un conflit d’intérêts de faire ça. À Montréal, un artiste qui promeut d’autres artistes et soi-même s’invente le rôle de galeriste, commissaire, promoteur… De quel droit? Au Mexique, il n’y a pas de contradiction. Lors de cette exposition, j’ai insisté pour que l’artiste qui fait le commissariat, Marc Knowles, expose», rapporte Eric Carlos Bertrand.

Plusieurs projets sont aussi en cours. Il est notamment question d’échanges avec la galerie montréalaise Youn. Des soupers pourraient également être organisés avec un distributeur d’alcools fins mexicains ainsi qu’un traiteur renommé montréalais. Ces acteurs attireraient le même public et leurs événements auraient un plus gros impact ensemble. M. Bertrand travaille aussi sur la création de séminaires en ligne pensés pour les collectionneurs.