Un tapis moelleux de mousse, le parfum de jeunes pousses de sapins baumiers, l’odeur terreuse de l’humus, nous voici au cœur du boisé. À Saint-Faustin-Lac-Carré, plongée dans cette atmosphère, l’entreprise Gourmet Sauvage fondée en 1993 par Gérald Le Gal propose une centaine de produits gastronomiques issus d’ingrédients sauvages ainsi que des ateliers de cueillette en forêt.
Depuis l’enfance, Gérald Le Gal donne à la forêt le caractère d’un refuge. Dans chaque facette de son parcours, la nature se dévoile. L’autodidacte y accumule des connaissances botaniques, historiques, médicinales et culinaires. Partout où il s’arrête, des territoires du Nord Ouest au Nord de l’Ontario, des provinces maritimes au Sud Pacifique, l’homme s’intéresse autant aux savoir-faire traditionnels d’une communauté inuite qu’il se fascine pour les connaissances ethnobotaniques des villageois de Vanuatu et de Papouasie.
Vers la quarantaine, lorsque Gérald entrevoit une reconversion, le projet se dessine naturellement autour de la forêt. «Il avait plusieurs idées, mais finalement ça s’est concentré sur l’aspect gastronomique, foodie, parce que rien n’était fait dans ce sens. Il y avait énormément de défis», raconte Ariane Paré-Le Gal, fille de Gérald et copropriétaire de l’entreprise.
Difficile de résister à la gelée de cèdre, au sirop de roses sauvages de Kamouraska, au poivre des dunes ou à l’essence de Mélilot, un mélange de saveurs de vanille, d’amandes, de foin frais et de fèves tonka. Le catalogue met à l’honneur le parfum de la forêt boréale, des saveurs locales du terroir québécois: épices nordiques, confitures, légumes transformés en marinade, moutardes, sirops, champignons séchés et tisanes. «99% de nos produits ne sont pas des amalgames ou des mélanges. Notre objectif, c’est que les gens apprennent à connaître une plante, un goût, une saveur, ce que goûte notre territoire», ajoute l’entrepreneure.
Aujourd’hui, l’engouement pour le sauvage et les racines rayonnent, mais il y a trente ans considérer l’alimentation issue des boisés dans une démarche autre que la survie relève d’un changement de paradigme et de persévérance. Lorsque les chefs Normand Laprise et Anne Desjardins sautent le pas, d’autres les suivent, offrant à l’entreprise le début de son envolée. Avant la pandémie, 60% du chiffre d’affaires provenaient des ventes de produits en vrac auprès de plusieurs centaines de restaurateurs québécois.
De son côté, élevée entre la terre et le bitume, Ariane choisit d’abord la ville où une carrière dans les médias l’amène à coanimer avec son père l’émission Coureurs des bois, qui a été l’élément déclencheur. «J’ai pris conscience de toutes les connaissances que mon père avait et la graine a commencé à germer de m’investir un peu plus auprès de lui pour récupérer une part de ce savoir-là», confie-t-elle.
Il y a sept ans, avec son conjoint, Pascal Benaksas-Couture, ils reprennent le flambeau apportant de nouvelles compétences créatives, entrepreneuriales et technologiques, mais la philosophie du début reste la même. «Notre raison d’être, c’est de ramener les gens en forêt. Les pots, la transformation des produits, c’est un prétexte pour rejoindre les gens dans l’assiette. Derrière ça, il y a une éducation qui se fait à notre rapport à la nature, c’est leur permettre de réaliser à quel point cet environnement est précieux et les amener à mieux protéger un lieu», révèle la Laurentienne.
Avec ses 900 000 km2 de forêts et près de quatre-cents plantes comestibles, le Québec dispose d’une abondance de saveurs singulières peu connues bien que locales. «On est dans des saveurs, dans des textures différentes qui nous demandent de sortir des sentiers battus, des chemins qu’on emprunte habituellement. Les goûts en forêt sont souvent très intenses, les acides sont très acides. Il y a plus d’amertume. Les fruits sont un peu moins sucrés. Ça demande à notre palais de se réhabituer à des goûts différents», explique-t-elle.
Pour les accompagner, trois employés, cinq instructeurs l’été et une centaine de cueilleurs, des travailleurs autonomes à travers le Québec qui respectent autant les normes sanitaires que l’environnement. L’éthique, au cœur de la démarche; rien de ce qui est sélectionné n’est affecté par la cueillette.
«À partir du moment où il y a un risque pour la pérennité de la ressource, on ne touche pas à la plante. Il y a des plantes protégées par la loi, celles-là on n’y touche pas. Même si nous on cueille bien, on ne veut pas créer un engouement pour une plante et que les gens se mettent à la cueillir en abondance. C’est un défi d’organisation pour l’industrie, de concertation, de travail sur la pérennité de la ressource, un défi qu’on partage avec les autres et sur lequel on s’attarde énormément», indique la Faustilacoise.
En constante évolution, Ariane et Pascal s’interrogent: «Comment est-on capable de faire notre part et de le faire dans le moindre mal et au mieux qu’on peut le faire?» À cela, ils répondent par l’éducation à travers plusieurs volets. La pandémie a réorienté le cadre des ateliers traditionnellement tenus en forêt. Ils sont désormais proposés en ligne ouvrant l’accès à un auditoire plus large.
Il y a aussi un livre, Forêt, écrit conjointement par un père et sa fille pendant quatre ans et paru en 2019 aux Éditions Cardinal. L’ouvrage vendu à 20 000 exemplaires permet de découvrir une centaine de plantes comestibles québécoises autour des thématiques: Identifier, cueillir et cuisiner.
«On se fait souvent dire qu’on inspire les gens à aller cueillir, à mieux manger. C’est super important pour nous parce que c’est là qu’on peut être vecteur de changements», conclut Ariane Paré-Le Gal.
🌲Gourmet Sauvage
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*Image de couverture – crédit: Xavier Girard-Lachaîne