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Lachapelle atelier: Au diable les étiquettes!

Lachapelle atelier: Au diable les étiquettes!

Chantal, Alberthe… Ce ne sont pas des noms de femmes, mais bien de vêtements. L’un est un top en lin, l’autre une jupe. Certaines les recevront dès le lancement de la première collection à l’automne, d’autres arborent déjà le chandail «comme un mouvement». En 24 heures, la campagne de sociofinancement de Viviane Lachapelle a atteint son objectif de 8000$ sur Ulule. Elle s’en est fixé un deuxième, 15 000$, dépassé pour la fin de la campagne le 16 juillet dernier. Son projet? Lachapelle atelier, une marque de vêtements où la taille n’est plus au centre de l’attention. Rencontre.

Bonjour Viviane! Comment en êtes-vous arrivée à créer votre marque?

C’est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Je travaillais en éducation et un ami m’a demandé de faire un clip. Je suis assez intense comme personne alors je me suis lancée à fond. J’ai découvert que j’étais à l’aise dans le milieu de la mode. L’idée est claire depuis janvier 2019. L’éthique était la première priorité, le local la deuxième.

Comment l’histoire de Lachapelle atelier est-elle liée à la vôtre? 

C’est venu de ma réalité en tant que femme ronde dans une société où je ne trouvais pas des choses qui me plaisaient, faites à Montréal. Ça vient aussi de ma jeunesse: je suis née avec des formes. Je me suis toujours bien nourrie, j’ai toujours fait du sport, mais mon médecin m’a dit: “tu ne vas pas maigrir des mollets, tu es faite comme ça”. Ça, c’est dans l’ADN de Lachapelle. Quand j’ai travaillé en boutique, j’ai senti un réel besoin d’avoir des vêtements «grande taille» minimalistes, comme ceux que j’aime porter, mais que je me casse la tête à trouver. 

«Quand j’étais jeune, je coupais les étiquettes! Ça m’a beaucoup marqué, car j’étais terrorisée à l’idée que quelqu’un voit ma taille. C’est fou, j’avais 9 ans!»

Crédit: Antoine Turcotte

Quel est votre processus créatif?

Il s’agit plus d’un morceau simple que d’un vêtement fashion. On met mes idées ensemble, on ajoute une manche ou des poches. J’essaie le vêtement dans un tissu moulage puis on fait des ajustements et un prototype dans un vrai tissu que j’ai choisi. On part ensuite en production et on fait la gradation dans les autres tailles.

Qu’avez-vous appris du milieu de la mode que vous n’aimeriez pas refaire?

Il y a quelque chose de l’ordre du non-dit qui m’intéresse pour le branding, aussi simple que dans le nom de la marque: il n’est pas écrit «grande taille». C’est quelque chose qui m’énervait. Je veux offrir un produit qui va du 10 au 24, donc décalé par rapport aux tailles habituelles. Je ne suis pas prête à avoir un magasin physique. J’ai eu de mauvaises expériences, je voudrais offrir une expérience en boutique plus qu’un magasinage.

Il était important pour vous de faire du «slow fashion»?

J’aime porter mes vêtements à l’année et les changer de côté. Mon top Chantal se portera probablement mieux l’été ou au printemps – il est beige pâle – mais l’idée c’est que les tissus sont tellement de qualité qu’ils vont rester beaux à l’année. Les tailles sont jumelées par deux donc elles sont ajustables, aussi parce que le corps de la femme a tendance à fluctuer. Je trouve dommage d’investir dans un vêtement qui soit trop grand trop vite. Il y aura deux collections par année, une avant l’hiver et une avant l’été. J’aimerais aussi impliquer des artistes dans chaque capsule, car j’ai grandi dans ce milieu-là.

Pour remplacer les tailles traditionnelles, il y aura des pictogrammes. Dites-nous en plus.

Il y a quatre icônes, un pour chaque valeur**, c’est ludique: il y a un pingouin, un origami, une fleur et une grande roue. Il y aura un tableau en ligne pour faire un choix éclairé. Nos quatre tailles seront un X (équivalent au 10-12), deux X, trois X, quatre X, mais elles ne sont pas affichées dans le vêtement. J’ai vu beaucoup trop de fois des clientes s’empêcher de prendre un morceau qui leur allait bien dans du 10, car elles disaient être un 6 ou un 8. Je ne pense pas que mes icônes puissent changer ça, mais je le dis dans la vidéo: quand j’étais jeune, je coupais les étiquettes! Ça m’a beaucoup marqué, car j’étais terrorisée à l’idée que quelqu’un voit ma taille. C’est fou, j’avais 9 ans! 

«Je trouve magnifique de voir de la peau, des bourrelets […] Être gros n’est pas péjoratif.»

Plusieurs marques créent leurs sections «taille plus» à part, comme s’il ne s’agissait pas de la norme…

C’est bien que Forever 21 fasse une section plus size. Est-ce que je trouve leurs produits satisfaisants? Non, mais on va vers le positif. Chez Lachapelle je ne veux pas que ce soit stigmatisé, c’est pour ça que je décale jusqu’au 10-12, considérée comme une taille normale en boutique. Sur le site, il ne sera pas inscrit «femme» ou «homme». La première collection est plus pour les femmes – elle a été faite sur mon corps – mais si un gars essaie une des chemises et qu’elle est belle sur lui, tant mieux! 

La société pousse les femmes «taille plus» à complexer. Ça dérange quand elles s’assument et prennent place dans l’espace public…

On est sur le bon chemin, mais il y a du travail. Moi-même j’ai du mal à me dévoiler. Avant j’étais toujours en noir, couverte. Si on me demandait «pourquoi tu t’habilles comme ça ?», je n’avais pas de réponse, c’est le plus difficile. Tu te trouves belle, mais tu n’oses pas. Pour la première collection, il s’agira de choses japonisantes avec de longues coupes. Mais je trouve magnifique de voir de la peau, des bourrelets. Je fais des efforts pour porter des leggings au gym sans mettre quelque chose qui cache les genoux. Pourquoi je n’aurais pas le droit? Ce sont des mécanismes ancrés, il y a une éducation à faire. Être gros n’est pas péjoratif.

Je veux également avoir un espace blogue sur la plateforme où le public pourra proposer des articles, dessins, poèmes. Pour notre premier post, j’ai demandé à une amie en médecine de penser à un article qui parle de la différence entre être en santé et être grande taille. Cet IMC qui nous a traumatisés à l’école! On sera contents de creuser le sujet.

Avez-vous une équipe à vos côtés?

Je suis seule dans le projet, mais j’ai beaucoup d’aide de mes proches. J’ai engagé un patroniste avec qui je fais les vêtements qui est exceptionnel. Je suis le modèle de base, j’ai un corps assez standard. Pour la vidéo, je l’ai fait avec des gens avec qui je travaillais quand je faisais du clip. C’est Caraz, que j’adore, qui l’a réalisé, et la maison Romeo & Fils a fait la postproduction. La première fois que j’ai vu le vidéo en salle de montage, j’ai fondu en larmes: ça a concrétisé un rêve. Il n’y a pas de flafla, c’est vraiment moi. Je n’aurais pas pu faire ça toute seule. 

Il y a eu un accueil considérable avec la campagne de sociofinancement. Cela vous donne-t-il confiance pour la suite?

Je suis contente d’avoir des gens derrière moi. Maintenant j’ai l’impression que je ne le fais plus juste pour moi. Je reçois des témoignages vraiment touchants. Tout ce mouvement est épeurant, car je ne m’y attendais pas, mais c’est tellement pour une bonne cause, c’est hot! Je suis contente de pouvoir faire la différence. Ce n’est pas encore fait, mais c’est mon bout de chemin et j’en suis fière.

**Les quatre valeurs de Lachapelle atelier: matière écoresponsable, ambition, inclusion, qualité > quantité. 

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