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À la rencontre des Québécois en affaires à Toronto: Marc Rozender de Thin Blue Line Cheese

À la rencontre des Québécois en affaires à Toronto: Marc Rozender de Thin Blue Line Cheese

Toronto est-elle plus prospère en affaire que Montréal? Quels atouts a-t-elle? Mais surtout, pourquoi certains Québécois décident-ils d’entreprendre dans la plus grande métropole canadienne? Baron donne la parole à Marc Rozender, propriétaire d’une fromagerie à Toronto.

 

Bonjour Marc! Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours professionnel et personnel?

Je suis né à Montréal et j’ai travaillé plusieurs années dans l’industrie aérienne en Europe. Les attentats du 11 septembre 2001 ont heurté de plein fouet l’industrie et ma copine et moi nous sommes retrouvés sans travail. Nous avons travaillé un temps à New York dans le bartending, mais nous n’avons pas réussi à obtenir un permis de travail, ce qui nous a ramenés au Canada.

Mon père habitait alors à Toronto donc je l’ai rejoint pour retenter ma chance dans l’industrie du tourisme. Je vivais sur une rue peuplée de petits cafés et d’épiceries, mais je me suis demandé: «Où est le fromage?». Je me suis rappelé des petites échoppes qui parsemaient New York et je me suis dit que je pourrais ouvrir le même genre d’établissement dans mon quartier à Toronto.

Avez-vous bénéficié de ressources pour fonder votre entreprise?

Comme je n’avais pas d’emploi quand j’ai fondé Thin Blue Line Cheese, j’ai suivi un programme intensif de deux mois en démarrage d’entreprise. J’ai ensuite tout fait pour contracter un prêt. J’ai aussi eu la chance de trouver un espace à louer tout près de chez moi. Avant d’ouvrir boutique, j’ai enfin pris soin d’en apprendre plus par moi-même sur la fabrication du fromage auprès de distributeurs et en faisant mes propres recherches sur le web.

La formation m’a donné l’opportunité de socialiser et de créer un réseau de soutien avec d’autres entrepreneur.es. Quand on se lance en affaires seul, on se demande si on est capable de le faire, et en rencontrant d’autres personnes, on se trouve des atomes crochus et on partage nos expériences pour trouver un prêt, créer un plan d’affaires; des éléments fondamentaux à la création d’une entreprise, peu importe le domaine.

Avez-vous des employés?

Ma copine m’a aidé à décorer la boutique lors des premiers mois, et je me suis occupé du reste. Après quelques mois, j’ai pu embaucher deux autres employés.

Votre échoppe offre-t-elle exclusivement des fromages canadiens?

Au début, je ne voulais que des fromages canadiens, surtout du Québec, et j’en offrais beaucoup plus que n’importe quel autre vendeur torontois. Puis, de plus en plus de clients m’ont demandé des produits français, voire européens, car Toronto compte beaucoup d’immigrant.es et touristes issu.es de ce continent. Nous offrons maintenant près d’une centaine de sortes de fromages, dont la moitié sont européens, et l’autre canadiens, en plus du pain frais et de charcuteries.

Le fromage est un aliment normalement associé à la France. Est-ce que le fait d’être Québécois (French Canadian!) joue en votre faveur?

Absolument, beaucoup de mes clients sont des Québécois qui ont aussi déménagé dans le quartier. Beaucoup d’écoles francophones sont situées là. L’échoppe est en quelque sorte devenue un point de repère pour de nombreux habitués francophones de la France et du Québec.

Avez-vous déjà pensé revenir à Montréal?

L’idée m’a traversé l’esprit, mais il y a déjà beaucoup de fromageries établies à Montréal, peut-être pas dans les banlieues, mais définitivement sur l’île. Je retourne au moins deux fois par année à Montréal pour explorer et essayer les produits des marchés Jean-Talon et Atwater, ainsi que d’autres échoppes de fromage. Ma mère, ma soeur et sa famille vivent toujours sur le Plateau, donc j’y vais également pour leur rendre visite.

Quelles sont les différences principales entre Toronto et Montréal en général et spécifiquement dans votre domaine?

Je pense que c’est un type d’environnement similaire sur le plan du logement et du trafic. J’adore marcher dans Montréal. Dans les deux villes, tenir une fromagerie est un labour of love [travail d’amour], parce que le coût marginal pour le fromage est beaucoup plus bas (environ 40 %) que pour d’autres produits comme, disons le café. Je suis un foodie, je pense à la nourriture constamment, donc je me voyais très bien pratiquer ce métier à Toronto comme à Montréal, on ne se lance pas dans cette industrie pour l’argent. Une différence torontoise serait l’éclosion de petits lieux éphémères selon les tendances.

Nourrissiez-vous des préconceptions sur Toronto avant de vous y installer?

J’adore l’aspect multiculturel. Je me souviens que lorsque j’habitais à Stockholm en Suède, l’atmosphère cosmopolitaine des grandes villes comme Toronto ou New York me manquait. Dans celles-ci, il y a toujours un nouveau quartier, un nouveau truc à essayer. Par contre, il est vrai que Toronto ne prend pas bien soin de ses édifices, ce qui confirme l’idée que la ville est laide.

Les habitants de Montréal se concentrent bien plus sur les festivals, les arts, la musique et les restaurants, alors qu’à Toronto la vie culturelle n’est pas autant privilégiée. L’industrie des microbrasseries est assez impressionnante dans les deux cités. Mes employés travaillent aussi dans cette industrie qui explose en ce moment. C’est très excitant.

Quels défis particuliers avez-vous rencontrés?

Les choses étaient plus faciles au début. Commander du fromage à un bon prix auprès du distributeur est devenu plus ardu, et je cherche encore la raison à ce problème. Les vendeurs sont moins coopératifs qu’ils ne l’étaient auparavant, probablement parce qu’ils tentent de limiter les intermédiaires entre le producteur et le client et que le prix du fromage a monté ces dernières années.

Les fabricants de fromage et de charcuteries doivent aussi se prévaloir d’une licence fédérale très dispendieuse s’ils veulent exporter hors de leur province, ce qui complique la vente de fromages produits à l’extérieur de l’Ontario, même si nous partageons les mêmes normes sanitaires et les mêmes lois autour de l’alimentation. Ces barrières font que la commande de produits gruge beaucoup de temps et de ressources.

Rêvez-vous de produire un jour votre propre fromage?

Pas vraiment. Pour faire du bon fromage, il faut le faire vieillir pendant le procédé de l’affinage. Pour réaliser cette technique, il faut un permis spécial et beaucoup d’espace d’entreposage. Je devrais probablement ne faire que ça, et abandonner l’échoppe si je devenais fromager. Ce sont deux professions très différentes au final.

Quels sont vos plans d’avenir?

Le coût du loyer de l’espace menace toujours de me déloger au profit de franchises plus lucratives comme Starbucks. Je regarde présentement d’autres adresses qui pourraient s’avérer moins chères. Je pense varier mon offre pour demeurer concurrentiel, avec d’autres produits alimentaires et plus d’employés dans quelques années.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui aimerait lancer sa propre échoppe de fromages?

Si on veut connaître le succès, il faut tout d’abord beaucoup de circulation piétonne sur la rue de la boutique, surtout si le prix du loyer est élevé. Si on s’installe sur une rue qui n’est pas passante et/ou commerciale ou si le loyer est trop élevé, ça ne se passera pas bien.

Avant d’ouvrir Thin Blue Line Cheese, j’ai aussi parcouru mon quartier avec un questionnaire pour voir si une demande pour du fromage existait et j’ai demandé à plusieurs passant.es ce qu’ils et elles désiraient acheter. Donc, n’hésitez pas à faire connaissance avec votre quartier, et prenez soin d’en sélectionner un qui n’est pas trop dispendieux où vivre.

L’offre en fromages est tellement vaste et souvent l’apanage de l’élite et les client.es. sont souvent des fins connaisseurs. Je conseille donc de ne pas leur dire quoi faire ou d’être trop condescendant.e avec eux.

Obtenir son premier prêt représente enfin une autre paire de manches. J’ai cogné aux portes de toutes les banques et aucune n’a voulu me soutenir quand je leur disais que je voulais ouvrir une échoppe de fromages. J’ai finalement rempli une demande en ligne chez American Express en donnant une fausse raison: l’achat d’une voiture! Le taux d’intérêt était horrible, mais c’était tout de même un prêt. Heureusement, la boutique a connu un franc succès dès le premier jour 12 ans plus tôt. Il ne faut pas hésiter à faire preuve de persévérance sur le plan du financement.

Enfin, je conseille d’être créatif sur les médias sociaux. J’annonce les nouveautés et soldes de l’échoppe sur Facebook et Instagram, mais je publie aussi la nourriture que je prépare à la maison, souvent avec des produits de l’échoppe. À l’ère où les photos de bouffe ont la cote, les gens sont intrigués par le fromage utilisé et la recette, et ça leur donne envie de venir tenter le même plat en passant à la boutique. J’encourage aussi d’autres producteurs français comme les couverts et la vaisselle Émile Henry.

Thin Blue Line Cheese

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