Close
Guillaume Libersat, cogérant de la Brasserie du Singe Savant

Guillaume Libersat, cogérant de la Brasserie du Singe Savant

Qui êtes-vous et quel est votre parcours?

Je suis Guillaume, 34 ans, proviens de la côte ouest du nord de la France, juste en face de l’Angleterre. Passionné depuis tout petit par mille choses, j’adore «bidouiller», découvrir, apprendre et partager à peu près tout ce qui me passe par les mains. J’ai commencé par démonter l’horloge de ma grand-mère pour comprendre ce qu’il y avait dedans et… Je l’ai cassée, évidemment! Mais depuis, je me suis amélioré, enfin j’espère. Vers l’adolescence, j’ai commencé à croiser le monde du logiciel libre et suis tombé amoureux de sa philosophie: encourager l’expérimentation, la partager et l’entreprendre collectivement. Depuis ce jour, j’ai toujours mené des projets dans cette idée, avec à la sortie de mes études (recherche en informatique), la création d’une coopérative dédiée à l’innovation sociale et culturelle, puis un espace de coworking autogéré pour enfin monter une microbrasserie.

Quelques mois après les premiers pas, Valentin me rejoint, puis Pierre une année après. À partir de ce moment, la machine était lancée à plein régime, à trois de front épaulé par le crayon d’Hervé, qui nous suit depuis le début!

Votre emploi et titre actuel?

Nous sommes tous les trois cogérants du Singe Savant. Pour ma part, je gère la partie fermentation et la R&D sur les process pour la partie production. Nous écrivons les recettes avec Pierre, en fonction des envies et aspirations. J’endosse aussi la responsabilité sur la communication, en équipe avec Hervé, notre graphiste qui dépote! Et dernier poste et non des moindres: je suis en charge de l’évolution, construction et maintenance de notre matériel de brassage (on fait beaucoup de DIY ici). Ah oui et j’ai failli oublier: on est tous les 3 profs le samedi, pendant notre école de brassage. De leur côté, Pierre gère le brassage et la partie commerciale, tandis que Valentin s’occupe de l’administratif, des livraisons et de la filière de revalorisation des bouteilles.

Dans quelle ville?

Nous sommes à Lille, dans le nord de la France, parfois appelée «Capitale des Flandres». C’est une belle ville, mais qui a malheureusement une (trop?) forte culture de la bière régionale (majoritairement industrielle), pas forcément évident pour le paysage craft du coup! Des fois, on nous dit même que sous 8° d’alcool, ce n’est pas de la «vraie» bière, imagine!

Un mot pour définir le type de travailleur que vous êtes…

Geek.

D’où provient votre intérêt pour la microbrasserie?

Dans ma coopérative précédente, je travaillais sur des projets parfois abstraits, parfois artistiques, mais toujours souvent compliqués à expliquer. Et puis un jour, j’ai eu l’envie de partir vers quelque chose de plus concret, plus physique. Tout ceci, sans pour autant renier mes idées, mon éthique, ma passion du numérique et mon envie de créativité. Alors, j’ai fouillé ce breuvage que j’aimais tant en tant que consommateur: la découverte de la potentielle complexité, de toute la combinaison au niveau des ingrédients et techniques ainsi que les possibilités de «bricoler» du numérique autour des process m’a très vite séduit.

Après un mois de lecture non-stop de papiers de recherche des universités américaines (tellement à la pointe par rapport à chez nous) et une visite des microbrasseries de la Gaspésie, le projet d’une microbrasserie locale, moderne, socialement responsable a fleuri dans ma tête et je m’y suis lancé sans trop réfléchir; juste en écoutant cette nouvelle vocation qui était en train de naître en moi. Un énorme merci d’ailleurs à Francis de Pit Caribou qui, je crois, m’a vraiment fait me décider suite à sa rencontre dans son pub: je n’ai jamais reçu un accueil aussi chaleureux et déjanté dans un lieu qui servait d’excellentes bières. Difficile de résister!

Qu’est-ce qui rend votre bière unique?

Je ne pense pas que nos bières soient particulièrement uniques. Il y a tellement de créativité dans le monde que nous nous inspirons tous les uns des autres. S’il existe des courants artistiques, c’est bien que tout le monde se copie à un moment donné! Alors, je pense que c’est la même chose pour nous tous du mouvement craft: on s’inspire des autres, on refait à notre sauce.

S’il y a quelque chose d’unique chez le Singe Savant, c’est probablement dans notre approche: autofinancement au maximum, autoconstruction de notre matériel de brassage, recettes écrites selon nos envies sans se soucier du «marché», oser, quitte à se planter (en France, on accepte très mal l’échec) pour mieux apprendre, refuser de passer par les distributeurs et un grand attachement à notre environnement social et naturel. Pour moi, s’il y a quelque chose qui rend notre bière unique, c’est notre démarche sincère, entière et engagée.

Quelle est la taille de la brasserie?

Voilà une excellente question! La brasserie change quasiment toutes les semaines, on ne fait que changer de tanks en ce moment. Mais, je dirais que l’année dernière on était à ~120HL et là, on migre vers ~500HL tout doucement. On est petit et on souhaite le rester: nous préférons largement partager le paysage avec plein de petits acteurs créatifs et indépendants plutôt que de se faire la guerre entre grosses brasseries qui s’endorment très vite et oublient leurs racines et valeurs.

À quoi ressemble votre espace de bureau?

À un gros bordel! On lutte tous les trois contre l’entropie du monde, mais je crois qu’il gagne quand même très souvent. On est aujourd’hui dans 100m², ça devient intenable, mais au moins, on est devenu des rois de l’optimisation au mètre carré! Heureusement, on déménage bientôt dans un lieu trois fois plus grand pour la production, on va enfin arrêter de jouer au limbo avec les flexibles!

Avez­-vous une façon d’organiser vos journées afin d’optimiser votre travail?

Oui, on est super organisés dans un contexte super chaotique. Je m’explique: rien n’est figé, réglé très à l’avance. On aime laisser les opportunités arriver, les choses se faire naturellement. On les provoque parfois, mais on ne va jamais trop vouloir calculer. En revanche, lorsqu’une contrainte arrive, on s’y prendre juste à temps pour la gérer, être agile et faire en sorte qu’elle s’organise parfaitement pour être efficace et gérer la situation. On travaille beaucoup dans une manière inspirée des méthodes Agiles mais sans le formaliser plus que ça.

Quels «trucs» conseilleriez­-vous pour améliorer la productivité?

Faire en sorte que chacun se sente au mieux dans l’entreprise pour qu’il/elle puisse se donner à 100%. Être positif avec ses collègues, partager les bonnes vibes, savoir communiquer et se faire confiance c’est pour moi les clés pour que chacun puisse donner au mieux.

Vous êtes meilleur que vos collègues de travail pour…

Repeindre mes chaussures couleur houblon! J’ai développé une petite spécialité sur ça… À chaque fois que je délevure ou prépare un enfutage, il y a *toujours* un truc qui m’explose à la figure et la moitié finit systématiquement sur mes chaussures… bref, j’ai arrêté de les nettoyer!

Comment contrôlez-vous la croissance de votre microbrasserie?

On laisse le Singe grandir, on n’essaye pas de la contrôler! Tout ce qu’on sait, c’est qu’on ne souhaite pas croître indéfiniment: notre taille finale est déjà réfléchie et nous souhaitons une microbrasserie pérenne, ancrée avec sa communauté locale forte plutôt qu’un modèle «start-up» qui peut faire l’effet d’une bulle qui éclate très vite et peut retomber du haut de sa croissance fulgurante et artificielle. Bref, quelque chose de résilient et à taille humaine.

Quelles sont vos stratégies afin de faire connaitre votre bière?

Nous utilisons beaucoup les réseaux sociaux et essayons de concentrer notre distribution la plus localement possible. Nos valeurs sont claires, affichées et nous les tenons: je pense que c’est en partie grâce à ça que notre micro commence à être adoptée par les Lillois.es car nos valeurs ont fait sa réputation peu à peu.

À propos du design, qu’est-ce que votre marque représente?

Le Singe Savant, c’est une théorie de maths à la base. Prenez un singe, mettez-le devant une machine à écrire et donnez-lui potentiellement un temps infini: il saura alors vous écrire une pièce de Shakespeare en comptant sur la chance des statistiques.

Derrière notre nom se cache donc aussi cette démarche: donnons-nous le droit d’expérimenter, de faire des choses qui peuvent parfois paraître naïves aux yeux de certains; ne nous privons surtout pas de la sérendipité! Sur ce fond, on a collé une image moderne qu’on aime bien; celle d’une brasserie bien urbaine, au design street/pas trop sérieux, mais néanmoins léché qui donne un personnage emblématique, celui du singe avec son monocle et sa casquette! D’ailleurs, vous savez que nous ne sommes que ses sujets et que c’est lui le vrai boss?

Comment et par qui votre design a-t-il été conçu?

Le design a été brainstormé collectivement, mais la vraie patte graphique a été apportée par le 4e Singe, plus discret néanmoins, aussi clé de notre succès: celle d’Hervé, ami de longue date et qui est avec nous depuis le début. Il nous réalise toutes nos étiquettes, logo et supports graphiques. Sans lui, le Singe serait beaucoup plus fade!

Qu’est-ce qui vous inspire et vous motive à aller au travail chaque jour?

Niveau inspiration, je crois que mes ami.es artistes (coucou Véro!) m’ont beaucoup apporté. J’ai toujours eu la chance d’avoir des créatifs autour de moi et c’est dingue comme c’est stimulant. Cumulé avec mes autres amis qui eux sont plutôt dans le mouvement des communs et qui ont toujours de super projets positifs, tu prends du coup la vie sur ses bons côtés!

Aujourd’hui, ce qui me motive sur notre projet, c’est à la fois la super équipe qu’on forme et notre clientèle qui est absolument géniale! Je crois qu’on s’est fait adopter par les Lillois.es, et vraiment, on a une chance extraordinaire d’être aussi suivi et de recevoir régulièrement des messages qui font chaud au cœur. Merci, vraiment!

Quel est le meilleur conseil qu’on vous ait donné?

Je crois que la découverte de l’effet de la méditation m’a sauvé plusieurs fois pendant mon parcours d’entrepreneur. Un énorme merci à Marc-Antoine qui m’a initié, à Montréal d’ailleurs. Je ne pratique pas du tout régulièrement, mais je sais m’en servir lorsque je sens que mon corps et mon esprit tournent trop vite. C’est une super manière de redescendre, prendre du recul, se relaxer pour repartir du bon pied. Bien meilleur qu’une prescription médicale et beaucoup plus efficace à mon goût.

Quel est votre meilleur truc pour sauver du temps?

Dormir! Quand t’es super fatigué, tu ne sais plus t’organiser, n’importe quel verre d’eau te paraît être un océan, tu paniques, tu n’es plus rationnel et tu ne sais plus quoi mettre dans quel ordre. Bref: dors, médite, fais du sport; si ton corps est en forme et bien éveillé, tu seras super efficace et tu gagneras beaucoup de temps!

Quels ont été vos plus grands défis en tant qu’entrepreneur?

Pour ma part, je crois qu’être capable de lâcher prise a été assez difficile. Au début, je voulais tout contrôler, avec des yeux partout, sur tous les sujets. La peur que quelque chose rate, probablement? Et puis j’ai appris à faire confiance, accepter qu’une erreur soit une forme d’apprentissage et qu’on s’en remet souvent. Depuis, je me sens beaucoup plus serein et j’accepte beaucoup plus facilement l’imparfait qui nous compose tous. J’ai vu la différence de relation avec mes collègues au fil du changement se libérer. Et clairement, c’est vraiment plus agréable comme ça, pour eux et pour moi.

Quels seraient les conseils que vous donneriez à quelqu’un qui souhaite démarrer une brasserie?

De commencer doucement. Prendre le temps de maitriser le sujet pour passer à l’étape supérieure, de se méfier des goûts «standards» et de se faire plaisir pour trouver sa voie et son public peu à peu. Choisissez quelqu’un avec le.laquelle vous sentez qu’il.elle partage fortement vos valeurs. Les compétences viennent en second plan, c’est toujours quelque chose qu’on peut acquérir si la motivation est là.

Avez-vous des nouveautés à venir?

Oui, plein de choses! Nous déménageons dans un local trois fois plus grand, mais nous ouvrons surtout notre TapRoom à quelques pas de la future brasserie! Cela signifie qu’on pourra être encore plus proche de notre public et que nous allons pouvoir commencer à nous amuser à faire du vieillissement et pourquoi pas.. Plus encore!

À la fin d’une journée, quelle sorte de bière buvez-vous pour vous détendre?

Je suis un grand fan des bières légères en alcool, au corps rafraîchissant, bref quelque chose de très buvable, bien sec et avec un beau travail dans la subtilité. Parmi mes préférées, les acides ont une belle place, mais aussi les sessions (I)PA ou encore les köslchs ou saisons.

🍻🇫🇷 Brasserie du Singe Savant

site web | facebook

Close
0