En dehors d’une poignée de concerts présentés pendant l’été, l’esplanade du stade olympique avait la mine basse. «Il fallait animer plus souvent le Parc olympique, y créer plus d’harmonie avec le quartier d’Hochelaga», raconte Eva Muratore, chargée du projet des Jardineries, propulsées par La Pépinière.
Depuis cinq ans, La Pépinière prend des sites urbains emblématiques ou sous-exploités sous son aile pour leur insuffler une mission culturelle et économique durable. À travers ces villages, l’organisme remet le citoyen au cœur de l’aménagement des villes. Plus que des consommateurs, les individus s’y investissent activement. «La population reconnaît de plus en plus son rôle à jouer et la nécessité de mettre la main à la pâte pour mieux vivre ensemble», observe Eva Muratore.
Une fois les projets de renouvellement urbain bien établis, ils sont progressivement remis entre les mains des citoyens. Depuis ses bureaux dans le quartier d’Hochelaga, l’organisme à but non lucratif accompagne et conseille ainsi les jeunes initiatives comme Les Jardineries.
Les premiers projets imaginés par La Pépinière, dont le Village au Pied-du-Courant et les Jardins Gamelin, attirent l’attention de La Régie des installations olympiques (RIO). Cette dernière engage l’organisme pour apporter un vent de fraîcheur à l’esplanade Financière Sun Life.
Après des consultations avec le quartier, l’équipe réalise que le site se trouve au cœur d’un désert alimentaire, c’est-à-dire une zone où il est impossible de se procurer des aliments frais. De ce besoin a germé l’idée de planter un jardin potager et initier le voisinage à l’agriculture urbaine. On munit également l’espace d’un four à bois traditionnel pour cuire des pizzas à badigeonner de pesto frais du jardin. Ce qui n’est pas mangé nourrit la terre grâce aux boîtes de compostage. Un poulailler, des hamacs, et un café-biergarten complètent le tableau.
Une programmation épurée
La Pépinière chapeaute tous ces efforts grâce à une équipe de six employés dont le salaire provient de subventions obtenues au fil des années. Sans le bar et le café, qui à eux seuls génèrent 80 % des revenus de l’organisme, les Jardineries ne pourraient toutefois pas exister. D’autant plus que La Ville de Montréal a retiré son soutien financier après la deuxième édition: «cette année, on est seulement financés par la RIO, et une trentaine de bénévoles mettent la main à la pâte, de l’entretien du jardin à l’animation d’ateliers», déclare Eva Muratore.
Avec moins de financement, l’organisation a tenté une formule moins axée sur l’événementiel. «On voulait tester l’achalandage naturel du lieu, et permettre aux gens de s’approprier les scènes et les jardins. Par exemple, le micro est ouvert au public tous les vendredis, que ce soit pour réciter de la poésie ou s’exercer au karaoké», explique la directrice. En fournissant la tribune et le matériel, Les Jardineries agissent à titre d’entremetteurs pour alimenter le sens parfois négligé du voisinage en ville.
Mais le défi humain et financier du projet est lourd à porter sur les épaules d’une petite équipe. Le manque de visibilité a également entravé la publicité autour de l’espace. «On a beau se trouver près de la station Pie-IX, personne ne savait de quoi il en retournait. On nous demandait si c’était privé, s’il fallait des billets pour entrer, si on était affilié aux Jardins botaniques», se rappelle Eva Muratore.
Il reste que, trois ans plus tard, la mission sociale du site a fait son chemin dans l’esprit des gens. «Quand on pense au stade olympique, on pense maintenant au développement durable, à l’agriculture urbaine et l’initiative citoyenne. C’est un grand saut pour une vieille et grande structure qui a du mal à se défaire de son image commanditée. C’est un nouveau souffle bien nécessaire au quartier», estime-t-elle.
Un espace éphémère demande une connaissance des problématiques et des collaborations avec des acteurs clés du quartier. «Sans mission sociale, si on avait uniquement voulu faire la fête, je pense qu’on se serait fait lancer des tomates.» Cela dit, l’espace teste une foule d’idées créatives. «On a vu de tout en matière d’événements, de la peinture sur corps au yoga, en passant par la dégustation de kombucha!»
La nature en héritage aux citoyens
La Pépinière a peut-être jeté les bases des Jardineries, mais c’est «l’implication spontanée des gens fait vivre le site», insiste Eva Muratore, à tel point que l’organisme n’organise que les événements d’ouverture et de fermeture de la saison actuelle. «On vise une programmation entièrement créée par les citoyens, plus on gagne en crédibilité dans le quartier.» La démarche authentique de l’organisme lui a d’ailleurs valu près d’une trentaine de collaborateurs, tels que le YMCA et le nouvel organisme de réinsertion sociale, la Récolterie. «La première année, nous avons sorti le jardin de terre. La deuxième année a vu nos acquis se consolider, et la troisième année annonce notre ancrage dans le quartier.»
Noyés dans la profusion d’activités culturelles à Montréal, les espaces éphémères cherchent toujours à se positionner de manière efficace, surtout par rapport aux festivals payants. «Il n’y a pas de bénéfices financiers à gérer un espace éphémère. Tous les revenus sont réinvestis dans des activités gratuites, la mobilisation et la consultation citoyenne.»
Les projets de La Pépinière commencent néanmoins à faire écho auprès de philanthropes et de fondations privées. «On sent un mouvement se mettre en marche et, avec lui, les mentalités risquent de changer», espère-t-elle.
Les Jardineries
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