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Food’elles : le ventre, vecteur social et politique

Food’elles : le ventre, vecteur social et politique

Un père gréco-éthiopien, une mère franco-italienne et de nombreux voyages constituent son goût développé pour les spécialités culinaires du monde entier. Après une désillusion professionnelle et un mois au Nicaragua qui change la donne, Tsahaï Papatakis revient à Montréal avec son idée d’entreprise confirmée. C’est ainsi que naît Food’elles, OBNL qui permet à ses clients de commander sur son site des plats cuisinés par des femmes réfugiées et issues de l’immigration. Rencontre. 

Un projet près du cœur

Avant Food’elles – organisme cofondé avec Claire Futin qui s’occupe de la stratégie marketing –, la Française s’est frottée au déploiement de systèmes informatiques pour les ressources humaines. «J’ai toujours eu l’envie d’avoir un travail à impact. J’avais choisi les ressources humaines un peu naïvement (rires), croyant être au service des employés. Je me suis retrouvée à servir les intérêts de grands groupes», avoue-t-elle. Tsahaï Papatakis perçoit l’informatique, moins lié à l’humain, comme plus facile au quotidien pour éviter d’être attaquée dans ses valeurs. «J’ai atterri dans ces métiers qui ne me plaisaient pas vraiment, mais c’était intéressant et bien payé. Qui dit bien payé dit confort difficile à quitter (rires), mais j’avais cette idée qui me trottait dans la tête.»

Arrivée à Montréal en 2019, l’instigatrice de Food’elles cherche un travail, sachant qu’elle veut créer un projet qui lui ressemble. «Arriver dans une nouvelle ville et être entrepreneure peut être déstabilisants. J’ai continué dans le même domaine et, pendant six mois, l’idée a fait son chemin. J’ai participé au Coopérathon, une expérience qui m’a mise en confiance et qui m’a permis de découvrir l’écosystème montréalais», se souvient-elle.

Fin décembre 2019, c’est le grand saut avec une démission et un séjour mi-volontariat mi-tourisme au Nicaragua. «Je me suis retrouvée dans une coopérative de café gérée par des femmes. Cette expérience a conforté mes certitudes et m’a donné l’idée de Food’elles».

Food’elles : le ventre, vecteur social et politique
Tsahai Papatakis. Crédit: Amandream

L’idée derrière cette entreprise d’économie sociale lancée en janvier 2021 représente ce qui lui tient à cœur depuis longtemps: casser les barrières culturelles et faire en sorte que les gens se comprennent. «Ça participe à la tolérance et au vivre ensemble. C’est souvent l’ignorance qui mène à la méfiance et à des choses très alarmistes qu’on peut entendre dans certains médias, notamment français. La cuisine est une approche positive de la diversité culturelle. Elle crée du partage.»

Aujourd’hui, Food’elles est en plein déménagement vers un nouveau local et propose des menus concoctés par ses deux cuisinières, Saïra Amin et Carina Albuquerque, respectivement originaires du Pakistan et du Brésil.

Et si la fondatrice avait une des cuisines à faire découvrir? «Je dirais la cuisine brésilienne. La cuisine pakistanaise est plus connue comme elle ressemble à la cuisine indienne. J’avais des a priori, je voyais la cuisine brésilienne comme une cuisine assez lourde, comme celle de Cuba, alors qu’il y a des plats raffinés avec du poisson», précise la fondatrice. Il y a toute l’influence africaine, dans la région de Bahia. La Moqueca est notamment un très bon plat: c’est un plat en sauce avec poivrons, tomates, huile de palme rouge et lait de coco, donc bon pour la santé. On fait la version végé avec l’option morue. C’est un plat coloré, qui fait voyager, et c’est très surprenant!»

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Saïra Amin, cuisinière chez Food’elles. Crédit: Hugo Comte

Soutenir des projets d’impact

Face à la pandémie, Food’elles a connu son lot de défis. Fin février 2020: début du plan d’affaires. «J’avais en tête un traiteur corporatif pour les événements. Au bout de quelques mois, je me suis dit qu’il fallait changer. On est passés tout en ligne et pour les particuliers.» À cela s’ajoute le risque, déjà vécu, qu’une cuisinière attrape la COVID et ne puisse pas venir cuisiner ou l’incertitude constante des mesures gouvernementales, véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête. «On a l’avantage d’être un service essentiel, mais créer une entreprise dans un contexte de confinement n’est pas toujours évident, on a besoin de réseauter et faire des partenariats. À distance, c’est moins évident de gagner la confiance de quelqu’un.»

La fermeture des restaurants aidant à trouver des équipements, Food’elles a pu profiter de l’augmentation des livraisons à domicile. «Tout le monde commande, donc c’est un sujet beaucoup plus actuel. Au début, quand je parlais du projet à des gens de PME Montréal, je n’étais pas prise très au sérieux. J’ai remarqué un changement d’approche», explique Tsahaï Papatakis. Les gens ont aussi envie de soutenir des projets d’impact, des projets locaux, d’où le développement de plateformes comme Radish, une coopérative qui fait de la livraison de repas.»

L’aspect plus négatif? Se retrouver en compétition avec une grande partie des restaurants montréalais qui ont créé leur site et sont passés en mode livraison. «Dans un contexte ‘normal’, on n’aurait pas eu toute cette concurrence.»

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Carina Albuquerque, cuisinière chez Food’elles. Crédit: Tsahai Papatakis

Aider les femmes dans leur développement

Profondément féministe, l’entrepreneure estime que les femmes doivent pouvoir faire ce qu’elles veulent indépendamment de leur culture, convaincue que la cuisine est un bon moyen pour ces femmes d’avoir un travail, de sortir de chez elles, de socialiser mais aussi de se développer personnellement. Food’elles est une bonne entrée en matière mais pas un aboutissement. «Cuisiner est ce qu’elles font souvent à la maison de manière naturelle, donc c’est quelque chose qui est facile pour elles, mais en même temps, je n’ai pas envie d’avoir une démarche ou je dis ‘vous avez un emploi dans la cuisine, c’est bon, on en reste là.’»

Sur le long terme, l’envie est là de mettre en place un programme pour les aider à définir leur carrière professionnelle. «L’idée est de dire que la cuisine permet de développer de nouvelles compétences transposables dans d’autres métiers et les aider à valoriser ces compétences. Mon parcours en ressources humaines me donne cette vision: tu as telle compétence, il te manque telle autre pour atteindre ton objectif. Comment tu peux la développer? J’aimerais pouvoir utiliser tout ça.»

🥘Food’elles

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Image en couverture: Saïra Amin et Carina Albuquerque. Courtoisie: Food’elles

Pour en apprendre plus sur l’entrepreneuriat d’impact, consultez notre dossier.

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