Démocratiser la plante indigène d’Amérique du Nord, l’asclépiade commune, comme isolant hivernal du futur et de le faire de façon locale ainsi que dans le respect de la nature et de l’environnement, c’est la mission des cofondateurs de Lasclay, Gabriel Gouveia et Philippe Langlois. Mi-novembre, les Québécois proposeront des mitaines rembourrées de soie d’asclépiade qui est un isolant thermique, imperméable et écoresponsable.
Gabriel a un baccalauréat en design de produit et Philippe est designer graphique de formation. Ils se sont rencontrés lors d’un microprogramme d’été d’entrepreneuriat à l’Université Laval, le Startup Fuze, durant lequel ils ont alimenté pendant un mois un blogue sur le développement durable.
«On a commencé en 2016 à travailler ensemble, à avoir une vision similaire de l’environnement et de ce que l’on voulait que les entreprises fassent, raconte Philippe. On s’est dit qu’il n’y a pas meilleure façon que de le faire nous-mêmes. Lasclay, c’est pour montrer l’exemple, montrer que c’est possible de faire une entreprise au Québec qui puisse être rentable avec un produit qui contient ce qui est cultivé ici.»
Intéressé par les plantes indigènes et les plantes envahissantes, c’est grâce à un ami que Gabriel Gouveia s’est penché plus particulièrement sur l’asclépiade, en a cueilli et a fait des expérimentations. L’air contenu au sein des fibres attachées aux graines constitue un rempart contre les transferts de chaleur. Les fibres sont en plus naturellement enduites d’une cire qui repousse l’eau, donc elles gardent au chaud et au sec.

Commencer petit
Les cofondateurs considèrent que l’industrie de l’asclépiade a été lancée officiellement en 2014, lorsqu’une entreprise de transformation s’est mise à faire des manteaux, conjointement avec une coopérative d’agriculteurs. Si elle a fait faillite, elle a tout de même ouvert la voie avec un tissu d’asclépiade en rouleau qui remplace le synthétique ou le duvet et permet aux entrepreneurs de tirer des leçons.
«Avec nos mitaines, on pense un peu à l’envers. Un peu comme une personne qui s’achète sa première paire de bas en mérinos, découvre le mérinos, l’apprécie et au final, se convertit au mérinos. Après ça, peut-être le chandail, la combinaison… Des mitaines, c’est plus facile à faire qu’un manteau. On peut faire un premier produit en mode lean startup», s’enthousiasme Philippe Langlois.

Et Gabriel Gouveia d’ajouter: «Commercialement, ça faisait du sens. Vendre un manteau isolé à l’asclépiade à 800$ – 1000$ avec la technique qu’on utilise pour rembourrer la mitaine en ce moment, ça serait compliqué et cher. Tandis qu’une paire de mitaines, entre 40$ pour du synthétique fabriqué au Bangladesh ou autour de 80$ pour de quoi plus responsable fabriqué au Québec… ce n’est pas inaccessible.»
Il faut entre 30g et 50g de soie d’asclépiade pour fabriquer une mitaine. Pour la doublure et l’extérieur de la mitaine, les entrepreneurs ont pour le moment choisi d’utiliser du polyester vierge.
«Il y a une grosse réflexion qui a été faite. Avec les délais qu’on a, au point de vue de l’accessibilité et de la variété des mises en forme, c’est le polyester qui gagne. Tant qu’à prendre du synthétique, on va s’arranger pour que ce soit recyclable. À l’extérieur, ça fait aussi une toile imperméable et respirante, à l’intérieur, c’est aussi un polyester, mais avec un effet polaire qui est confortable. Si on défait la mitaine, on a juste de l’asclépiade et du polyester, c’est facile à trier», explique Gabriel.
Il précise que les options animales comme le cuir et la laine étaient exclues. Quant au chanvre, au lin et à la viscose, ils représentaient des options complexes, car peu de choses ont encore été développées à ce niveau et qu’ils sont plus chers. À terme, il envisage du polyester recyclé pour améliorer l’empreinte écologique, mais celui déniché au Canada se trouve en Colombie-Britannique et requiert de trop gros volumes pour l’entreprise.
Intérêt prononcé
Fin septembre, les cofondateurs écrivent une publication sur Facebook pour faire connaître leur produit. S’ils s’attendaient alors à une centaine de réponses, un mois plus tard, quelque 7 000 personnes montraient leur intérêt. La sous-traitance leur permet de répondre à la demande.
Les premières mitaines ont été conçues par les deux entrepreneurs et leur designer textile basés à Québec, l’asclépiade a été cultivée au Lac-Saint-Jean et le polyester est tissé à Saint-Jean-sur-Richelieu pour ensuite être assemblé en Beauce. Elles devraient être disponibles à la vente à la mi-novembre.
«Travailler avec des fournisseurs d’ici, ça peut vraiment faciliter la tâche. On est dans le même fuseau horaire, on parle la même langue et les références sont faciles à comprendre. La surprise qu’on a eu, c’est la différence entre la communication écrite et verbale. Parfois, c’est bien de détailler par écrit ce que l’on veut, d’autres fois, c’est bien d’appeler la personne et que tout se règle en 5-10 minutes», témoigne Philippe.
Un défi de fabrication a toutefois été rencontré puisque l’asclépiade est à la fois légère et volatile.

«Quand tu piges dans ton sac d’asclépiades, ça vole partout et ça fou un peu le bordel dans un atelier, reconnaît Gabriel. Il faut adapter la place où c’est fait et c’est à nous de le prévoir, en plus de payer pour ça. Quand la production à plus grande échelle a été lancée, notre fabricant de mitaines nous a dit que les employés étaient un peu tannés parce que ça rentre dans la face, bien que ce soit végétal. On avait déjà parlé avec des cultivateurs qui ont le même problème lors de la manipulation quand ils la font sécher pour la mettre en sacs, par exemple. Ils utilisent des masques et des ventilateurs. En ayant parlé avec les acteurs du milieu, on est capable d’utiliser leur expertise. Beaucoup d’entrepreneurs sous-estiment la nécessité de collaborer avec ses fournisseurs.»
À la fin de la saison, les cofondateurs pourront faire un premier bilan de leur expérience, puis ils pourront penser à la suite, notamment à d’autres accessoires hivernaux et à une distribution en magasins.