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Fermer son entreprise et renaître de ses cendres

Fermer son entreprise et renaître de ses cendres

En 2016, après un épuisement professionnel accentué par des difficultés financières, Annik De Celles ferme son entreprise. C’est en parlant de sa situation qu’elle découvre qu’elle n’est pas la seule à vivre une phase difficile, propre à la fin d’un projet entrepreneurial. Ainsi née l’idée du guide «L’après Inc. ou comment vivre sa sortie entrepreneuriale positivement», co-écrit avec Cynthia A. Sheehan, Marie-Josée Drapeau et Josée Blondin.

Rencontre avec Annik De Celles, toujours aussi entreprenante et désormais directrice générale de Septembre Éditeur.

Quelle a été la genèse de ce guide?

Je pensais qu’une fois mon entreprise vendue j’aurais un poids en moins, mais non. En parlant avec d’autres entrepreneurs je me suis rendu compte qu’on traversait tous cette phase dans le tabou et qu’il y avait des solutions pour la faciliter alors j’ai décidé d’écrire le livre.

J’ai parlé à plusieurs entrepreneurs ayant vécu toutes sortes d’expériences: la double faillite – personnelle et entrepreneuriale -, la vente, car ça ne répond plus aux besoins familiaux ou encore quand leur objectif était de prendre leur retraite à un jeune âge. Les enjeux sont différents, mais il reste des points communs: devoir parler à ses employés, gérer son temps et son couple à travers ça, avoir parfois le goût de ne plus fermer quand on a un regain d’énergie, aborder le sujet de la fermeture sur ses réseaux sociaux ou avec ses partenaires, rebondir après la fermeture car une partie de nous s’envole avec l’entreprise, etc. De plus, on ne parle pas souvent de ce sujet, alors qu’il y a de l’aide qui existe.

«Fermer n’est pas nécessairement échouer, c’est un pas vers autre chose.»

Vous avez écrit ce livre avant la pandémie. S’applique-t-il à une fermeture d’entreprise causée par la crise actuelle?

Je dirais que c’est un mauvais et bon timing. On a commencé ce projet il y a plus d’un an et demi, mais la réflexion ne change pas. Certains céderont leur entreprise à un plus jeune membre de la famille, d’autres vendront à un bon prix, tandis qu’avec la crise certaines entreprises ont tiré leur épingle du jeu. Il y a toutes sortes de modèles, mais ce dont on parle dans le livre revient à la base; l’humain derrière tout ça, le ressenti et les étapes.

C’est un guide pratique donc le but est de donner des exemples et un soutien moral pour que l’entrepreneur connaisse ses ressources. C’est sain d’en parler dans une société qui veut garder ses entreprenants actifs. Moi je ne suis plus entrepreneure, mais je suis toujours une personne entreprenante! Si on écoute et qu’on soutient nos entrepreneurs à travers cette crise, ils rebondiront mieux pour faire repartir l’économie québécoise aussi, ils sont un moteur.

L’un des chapitres s’intitule «Gérer le sentiment d’échec», un sentiment qu’on a tendance à dévaloriser socialement. Est-il inhérent à tout entrepreneur.e?

Oui, on est à la fois critique et résilient. On a confiance en nos décisions, mais on vit avec leurs conséquences.

Par exemple, je parlais à quelqu’un qui a vendu son entreprise. Content de son plan de vie, il voyait ceux qui l’avaient repris faire des choix que lui n’aurait pas faits. Alors il se questionne: ai-je légué mon entreprise à la bonne personne? Aurais-je pu donner plus d’énergie? J’ai eu je ne sais combien d’offres pour repartir mon entreprise alors je ressens parfois ce sentiment, c’est comme laisser aller son bébé. Le sentiment d’échec nous pousse à aller plus loin, il faut juste en parler. Fermer n’est pas nécessairement échouer, c’est un pas vers autre chose.

Sentez-vous un isolement chez les entrepreneur.es québécois.es?

Oui, surtout quand on quitte ce milieu très serré. La beauté du Québec est d’avoir un milieu entrepreneurial où les gens se côtoient. Il y a beaucoup d’entraide, on l’a vu avec l’initiative «Le panier bleu». Malgré la compétition, chaque entrepreneur sait que l’autre travaille fort. On a tendance à s’unir, mais quand on quitte le milieu, c’est l’impression de faire cavalier seul qui prime. On parle dans le livre des différents moyens de garder contact avec le milieu pour se sentir toujours entrepreneur, car il y a une perte d’identité. Le but est aussi de retrouver sa valeur personnelle, car on est toujours beaucoup plus que son entreprise, on était une personne agitée avant et on le reste après.

«Il est plus ou moins intense, mais le passage à vide est un deuil nécessaire. On se fait souvent dire «c’est juste une entreprise», mais c’est une grosse partie de notre vie et de notre amour propre.»

Vous avez mené une vingtaine d’entrevues pour appuyer ce guide. Qu’en retenez-vous?

Le plus marquant est l’étape du passage à vide. Plusieurs n’osaient pas en parler. Plus ça allait, plus ils se dévoilaient sur cette étape. Je me rappelle d’un entrepreneur qui a décidé de construire un chalet pour se garder occupé. Il s’est retrouvé deux semaines à regarder le mur, car il avait juste repoussé cette phase. D’autres ont pris d’emblée le taureau par les cornes en ne faisant rien pendant un mois. Une autre est partie en voyage humanitaire en Afrique en se disant qu’elle pourrait aider au lieu de s’apitoyer sur son sort, mais par moments elle n’était pas capable de sortir de sa chambre. Il fallait qu’elle passe au travers de ses sentiments par rapport à son entreprise.

Il est plus ou moins intense, mais le passage à vide est un deuil nécessaire. On se fait souvent dire «c’est juste une entreprise», mais c’est une grosse partie de notre vie et de notre amour propre. C’est un livre qui devrait aussi être lu par les familles d’entrepreneurs, je pense, pour mieux comprendre ce qu’il se passe dans la tête d’un proche.

Quels conseils donneriez-vous à un.e entrepreneur.e sur le chemin de la fermeture?

On parle moins du côté administratif dans le livre, mais c’est nécessaire de se faire accompagner par un comptable ou le CTEC (Centre de transfert d’entreprise du Québec) pour faciliter les étapes et s’enlever un poids.

Ensuite, beaucoup d’entrepreneurs ne pensent pas en avoir besoin, mais il y a aussi l’aide psychologique. C’est important de garder un œil sur les proches, il y a des ressources pour eux et nos émotions les affectent.

Voir un conseiller d’orientation est aussi une bonne idée, ne serait-ce que pour faire un bilan de ses compétences et rebâtir sa confiance en soi. Les entrepreneurs sont des gens hyperactifs, habitués à travailler sept jours sur sept, alors se retrouver à ne rien faire est difficile.

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