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Faire de la BD au Québec: Défis et succès

Faire de la BD au Québec: Défis et succès

Alors que le marché du livre stagne, un bon vent propulse la bande dessinée québécoise. Pourtant, plusieurs défis guettent les éditeurs indépendants.

Avec le succès de la série Paul de Michel Rabagliati, tout porte à croire que l’avenir brille pour la BD québécoise, qui a vu ses ventes doubler en six ans. Rencontrés cet hiver, Luc Bossé de Pow Pow, et Marie-Claude Pouliot de Nouvelle Adresse, confirment cet engouement. Les difficultés financières des petits éditeurs assombrissent le tableau, mais les deux Montréalais entrevoient de nombreuses opportunités de croissance pour la BD d’ici. 

Obstacle numéro un: l’argent. «C’est impossible sans les subventions», affirme Luc Bossé, le fondateur de la maison d’édition Pow Pow. Il explique que ce sont les éditeurs qui portent les risques financiers en avançant les fonds. L’impression des ouvrages représente un coût substantiel. «On n’est payés qu’après la sortie des livres, et la BD, ça prend du temps à faire, observe Marie-Claude Pouliot, cofondatrice de Nouvelle Adresse. C’est dur de rentabiliser le travail qu’on fait.»

D’après Luc Bossé, les marges des éditeurs se situent entre 5% et 15% du prix de vente d’un ouvrage. À Pow Pow, le tirage tourne autour de 2 000 à 3 000 exemplaires par titre. De son best-seller La Petite Russie, tiré à plus de 6 000 exemplaires, il en a retiré «deux piasses par livre».

Atteindre un seuil de rentabilité

Quand Marie-Claude Pouliot et Renaud Plante ont fondé Nouvelle Adresse avec en septembre 2019, ils ont rejoint l’éditeur Front Froid. Cela leur a permis d’appliquer à des subventions immédiatement, sans attendre les délais imposés aux nouveaux éditeurs par les organismes subventionnaires.

Marie-Claude Pouliot et son associé occupent des emplois en dehors de Nouvelle Adresse. «C’est un peu notre projet en dilettante, on veut qu’éventuellement il marche et nous fasse vivre», dit Mme Pouliot.

Renaud Plante (à gauche) et Marie-Claude Pouliot (au centre) à l‘Expozine 2016. À droite, Jimmy Beaulieu, ex-éditeur de Mécanique Générale, une maison d’édition québécoise de bandes dessinées. L’Expozine est un rendez-vous annuel pour la micro-édition, les fanzines et la BD, qui se tient à Montréal. Crédit: Naé/MC Pouliot.

Il y a trois ans, Luc Bossé affirmait avoir de la difficulté à vendre ses livres. Il pense avoir désormais atteint « une sorte de masse critique dans le catalogue » lui garantissant des revenus réguliers. Ce succès arrive presque dix ans après la fondation de Pow Pow. « Pour la première fois, je commence à sentir que je suis peut-être à un point tournant, que ça va commencer à être plus facile, relève-t-il. Je mets des guillemets autour de ça, car ça ne sera jamais facile.» Preuve que le vent a tourné, Pow Pow s’est agrandi d’un deuxième employé à temps partiel. Mais Luc Bossé et son équipe travaillent toujours de chez eux. 

«Au Québec, beaucoup d’adultes se décomplexent et commencent à lire de la BD.»

Autre défi à relever; surmonter la taille limitée du marché québécois. Pour les éditeurs, l’exportation de leurs livres est cruciale. Luc Bossé a tenté de pénétrer le marché anglophone en traduisant certains de ses titres. «L’anglais, ça ne se passe vraiment pas bien… Le marché est complètement différent», déplore-t-il. 

Les opportunités se trouvent plutôt outre-Atlantique, et en français. « L’Europe permet de faire de plus gros tirages qu’ici, donc de réduire les coûts de production», explique M. Bossé qui a vendu avec succès plusieurs titres en France. Il s’y déplace annuellement pour y présenter ses livres et a participé cette année encore au festival d’Angoulême, la grande messe française de la bande dessinée.

Luc Bossé garde le stand de Pow Pow au Toronto Comic Arts Festival, en mai 2019. Crédit: Marc Tessier
Luc Bossé, debout, au stand Pow Pow lors du Festival de BD de Montréal 2018. Crédit: Pow Pow

Séduire de nouveaux lecteurs

«Au Québec, beaucoup d’adultes se décomplexent et commencent à lire de la BD, croit Luc Bossé. En 10 ans j’ai vu un changement de mentalité par rapport à “la bande dessinée c’est pour les enfants”, je l’entends encore — mais moins souvent.»

D’après le Rapport Gaspard sur les ventes de livre au Québec, les bandes dessinées ont généré plus de 12,8 millions de dollars de ventes en 2018, contre seulement 6,9 millions en 2012. Les ventes impressionnantes des titres jeunesse expliquent pour une large part cette croissance.

En ce qui concerne les romans graphiques, publiés entre autres par Pow Pow ou Nouvelle Adresse, les chiffres restent bas, même s’ils croissent. En 2018, les romans graphiques ont généré 586 000 dollars de vente au Québec, soit 4,5% du marché de la BD et 0,3% du marché du livre au complet.

«Quand j’entends des gens dire que c’est l’âge d’or de la BD québécoise, je suis un peu tannée, confie Marie-Claude Pouliot. Ça donne l’impression qu’après il y aura un déclin. Peut-être qu’on pourrait dire que maintenant, les Québécois se mettent à lire de la BD.»

Quelques titres publiés chez Pow Pow. Crédit: Pow Pow.

Pour M. Bossé, le travail de terrain est crucial. Réfléchissant sur ses difficultés passées, il pense avoir voulu faire grossir Pow Pow trop vite. Il explique être désormais retourné aux racines du marché québécois, en participant à des petits salons avec ses auteurs.

Malgré les difficultés, l’avenir sourit aux éditeurs de romans graphiques et de bandes dessinées, animés par une passion pour leur travail et un lectorat en pleine croissance. Luc Bossé et Marie-Claude Pouliot affirment que le Québec recèle de talents à publier et qu’il y a de la place pour d’autres éditeurs. «Il n’y a pas de compétition entre nous, pas de conflit», assure Luc Bossé. «On est tous très amis, approuve Marie-Claude Pouliot, souriante. Tout le monde va aux lancements des autres, c’est vraiment un milieu très collaboratif.» 

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