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TriCycle, des insectes qui tournent rond à Montréal

TriCycle, des insectes qui tournent rond à Montréal

Élever des insectes comestibles en ville en les nourrissant avec des résidus organiques tout en utilisant leurs excréments sous forme d’engrais, c’est le pari de TriCycle.

Très engagée dans l’économie circulaire locale, l’entreprise montréalaise – qui a remporté le concours Mouvement Novae 2020 pour sa «vision très novatrice et holistique» – aspire à mieux nourrir la planète en mettant les insectes dans nos assiettes. Nous avons discuté avec trois des cinq «asticots» engagés dans cette entreprise: Louise Hénault Ethier (directrice R&D et innovation), Didier Marquis (directeur de la commercialisation et du marketing) et Alexis Fortin (directeur des opérations).

L’équipe de TriCycle.

Un projet en chrysalide sur les bancs de Concordia

«J’ai démarré mon programme doctoral à Concordia en 2016 et très vite, j’ai eu l’idée de développer une ferme d’élevage d’insectes comestibles, raconte Didier Marquis. Après avoir étudié la géographie environnementale, je voulais me pencher davantage sur les solutions que sur les problèmes.» Des connaissances communes le mettent en contact avec une ancienne élève de Concordia: Louise Hénault Ethier, chercheuse en sciences de l’environnement aux compétences complémentaires. 

«J’avais déjà commencé des recherches sur l’entomophagie [NDLR: la consommation d’insectes par l’être humain] et écrit des articles sur le sujet, mais d’un point de vue théorique», déclare cette dernière. Le doctorant et la chercheuse décident de s’associer. Les premières recherches sont lancées dans les laboratoires de l’UQAM et au Biodôme de Montréal, et TriCycle est lancée en janvier 2019. Cofondatrice de la nouvelle Centrale Agricole qui offre une synergie accrue entre producteurs, la compagnie s’est installée dans ses locaux.

Entre-temps, Alexis Fortin, spécialiste du compostage et de la gestion des matières organiques qui achève sa maîtrise à l’École de Technologie Supérieure (ÉTS), rejoint l’équipe réunissant aujourd’hui 8 personnes. 

Surcycler les résidus pour une diète optimisée

L’idée d’exploiter les déchets locaux est venue des limites du compostage et de la volonté de trouver une alternative aux céréales. «Le compostage est souvent un gaspillage de matières organiques de bonne qualité, déplore Louise Hénault Ethier. Par ailleurs, nous souhaitions remplacer le son de blé et la moulée à poule (composée de maïs et de soya) – qui sont les nutriments classiquement donnés aux insectes d’élevage – par d’autres solutions», explique Louise Hénault Ethier. 

Crédit TriCycle.

«Dans le compostage, on met tous les déchets dans le même trou et le même système, abonde Alexis Fortin. Alors que nous souhaitons les classer selon leurs caractéristiques. Certains résidus ont une valeur et nous les remettons dans la chaîne alimentaire en les donnant à nos insectes»

C’est ainsi que TriCycle a mis sur pied un système de revalorisation de résidus organique locaux «propres et traçables» issus des entreprises agroalimentaires, offrant une diète optimisée à l’élevage.

Au menu des insectes: mycélium (racines de champignons), pulpe de fruits et de légumes, drêches de brasserie, restes de pain, fèves de cacao et autre mets qui améliorent leurs qualités nutritionnelles. «Nous pouvons produire environ 8 tonnes d’insectes comestibles et valoriser 80 tonnes de résidus en une année», se réjouit l’équipe. Chez TriCycle, l’économie circulaire fait tourner l’alimentation des insectes et leurs déchets.

«Nous invitons les chefs à développer des recettes plus intéressantes que les barres de protéines qui se trouvent actuellement sur le marché avec notre produit utilisé sous forme de poudre.»

Un modèle d’économie circulaire en circuit court

Plusieurs partenaires locaux fournissent à TriCycle les résidus qui serviront d’aliments aux insectes: le producteur de jus Loop, la Brasserie Harricana, les champignons Blanc de gris et Champignons maison, la Boulangerie Jarry et Chocolat Monarque. «Tous nos partenaires sont situés dans rayon périphérique de 20 km de notre ferme d’élevage», souligne Didier Marquis. Car l’entreprise met le circuit court au coeur de sa démarche. «Au lieu de nous demander quelle est la diète optimale d’un ténébrion, nous regardons quels sont les déchets disponibles dans notre écosystème pour les introduire dans la diète de nos insectes sans nuire à leur productivité», explique Louise Hénault Ethier.

Larves déshydratées. Crédit TriCycle.

Quant aux déjections, elles seront utilisées à compter de l’été 2020 sous forme de poudre fertilisante sur presque toute la surface des jardins communautaires de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville. «Nous espérons pouvoir produire une vingtaine de tonnes par année», précise Didier Marquis. L’équipe effectuera des tests dans les jardins pour mesurer la croissance des plantes et leur productivité.

La diète originale mise en place chez TriCycle peut réserver quelques surprises. «Nous avons constaté que certains insectes peuvent prendre des couleurs différentes en fonction de ce qu’ils mangent, lance Louise Hénault Ethier. L’alimentation peut également donner des changements au niveau de leur composition nutritionnelle et de leur goût. Nous ferons prochainement plus de tests pour optimiser leur goût et leur texture.» 

Les insectes: gastronomie d’avenir?

On connaît l’impact des 336 millions de tonnes de viande produites dans le monde sur le réchauffement, la déforestation et la consommation d’eau. L’introduction d’insectes dans la consommation peut se faire sous forme de poudre incorporée dans des recettes mais aussi de produits frais, ce qui demande un changement dans les habitudes.

TriCycle effectue présentement un travail de sensibilisation auprès des restaurateurs. «Nous invitons les chefs à développer des recettes plus intéressantes que les barres de protéines qui se trouvent actuellement sur le marché avec notre produit utilisé sous forme de poudre. Mais nous travaillons aussi avec l’ITHQ pour développer des recettes créatives avec nos produits frais, explique Didier Marquis. Nous vendons également des larves pour la confection de gâteries pour animaux de compagnie, mais notre objectif est de nous concentrer sur l’alimentation humaine».

Entre la boulangerie Jarry et TriCycle, le circuit de l’économie circulaire débouchera bientôt sur des biscuits proposés en boutique. «La boulangerie moud sa propre farine et nous redonne du son de blé – qui irait sinon au compost – que nous introduisons dans l’alimentation de nos insectes. Ensuite, nous redonnons à la boulangerie de la poudre pour la confection de biscuits contenant 50% de poudre d’insectes. Ces produits devraient être commercialisés prochainement», se réjouit Louise Hénault Ethier. 

Crédit TriCycle.

Selon la chercheuse, les insectes sont intéressants au niveau nutritionnels car il sont source de protéines et contiennent également de nombreux oligoéléments, du zinc, du fer, de la vitamine B12, et du magnésium. Par ailleurs, ils seraient bénéfiques pour la digestion et le système immunitaire.

Et au niveau des papilles, que goûtent-ils? «En fonction de la manière dont on le prépare. le goût sera différent, explique Louise Hénault Ethier. L’insecte déshydraté à basse température a un goût qui peut rappeler les algues, les céréales ou le  champignon cru tandis que les insectes grillés à plus haute température ont le goût de chocolat ou de noisettes grillées. On peut également jouer avec les associations. Par exemple, en mélangeant nos insectes avec des champignons dans un sauté, ces derniers développent un goût proche de la viande». 

Il suffit de dépasser la barrière psychologique pour apprécier, nous disent les associés de TriCycle, qui prévoient une diversification des produits à venir incluant notamment des dumplings cuisinés à partir de ténébrions frais. D’ailleurs, «le quart de la population mondiale consomme déjà des insectes», nous dit Didier Marquis. Prêt.es à essayer?

🐛 TriCycle

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