Programme B
L’institut national de l’image et du son (inis) vient de mettre en place une formation en ligne pour prévenir le harcèlement dans le milieu culturel intitulée «Une fois de trop». Rafael Ouellet, réalisateur très sensible au sujet, a posé des gestes concrets pour que ses plateaux de tournage soient exempts de toutes formes de harcèlement. Il a participé au projet en témoignant dans un des balados de la plateforme.
Vous expliquez que vous avez réussi à surmonter vos colères pour devenir un réalisateur plus agréable et patient. Comment avez-vous fait?
Pour changer, j’ai tout d’abord fait un examen de conscience et j’ai réalisé l’ampleur de ma colère. Puis, j’ai décidé de mieux gérer. Il fallait ensuite que j’arrive à reconnaitre que tout le monde faisait de son mieux, que les jeunes apprennent et que c’est complètement normal. Ça ne s’est fait pas du jour au lendemain. À l’époque, même quand j’étais dans la colère, je désamorçais la situation en m’excusant quelques jours après. Mais, c’est vrai que j’ai dépassé les bornes. J’étais jeune et je manquais de confiance en moi. Je ressentais le syndrome de l’imposteur.
Selon vous, le milieu du cinéma et de la télé a changé ses dernières années. Les réalisateurs ressentent moins le besoin d’être un «mâle alpha» pour se faire respecter. Avez-vous quand même ressenti une résistance aux changements autour de vous?
Je ne sais pas s’il y a eu de la résistance… Des réalisateurs harceleurs, on n’en rencontre de moins en moins, c’est sûr. Mais j’entends encore des gens raconter des blagues salaces, des propos un peu déplacés, des commentaires, parfois sur des jeunes ou même des enfants. Ça crée des malaises en plateau. Mais, ce n’est pas la fin du monde. Le problème, c’était surtout l’accumulation des cas. Si c’est seulement anecdotique, ça affecte moins le quotidien des gens. En général, j’ai l’impression que les gens ont pris conscience du problème du harcèlement. On a passé le cap du talent qui vient avec de l’attitude. Aujourd’hui, on préfère un acteur un peu moins bon, mais plus facile pour travailler.
«Maintenant on cherche des solutions, on veut montrer des exemples positifs. Tout le monde s’est réveillé et très rapidement.»
La figure du «mâle alpha» est-elle encore présente dans certains domaines d’après vous?
Probablement, et il y en a encore dans mon domaine aussi. J’ai une amie qui travaille pour l’intégration des femmes dans les milieux masculins et ce n’est vraiment pas gagné. Ça dépend beaucoup de l’écosystème, je pense. Mais il reste beaucoup de chemin à faire, quel que soit le domaine.
Est-ce que c’est vous qui avez approché L’inis pour participer au projet ou l’inverse?
Ils sont venus vers moi. Ça fait plusieurs fois que je prends le micro pour parler des abus de pouvoir ou encore de l’encadrement des scènes de sexualité. Donc je pense que mon point de vue a intéressé L’inis.
Pourquoi avoir accepté de témoigner?
C’est important parce qu’il y a toujours place à l’amélioration. Je ne pense pas qu’on va retourner en arrière, mais il faut continuer à en parler. Puis, si mon histoire peut en influencer quelques-uns, quelques-unes, tant mieux. J’essaye d’amener ma brique au bâtiment. C’est aussi une façon pour moi d’exprimer mes péchés. J’ai osé raconter des choses que tout le monde n’a pas envie de dire. On n’entend pas souvent les réalisateurs parler; comme si c’était dangereux de mettre sa tête sur le billot. J’ai aussi eu envie quelque part que les gens qui ont subi mes écarts tombent là-dessus, c’est une forme d’excuse. Puis, je pense que c’est primordial de prendre la parole, on a une influence dans notre milieu et il faut l’utiliser positivement. J’espère que d’autres vont le faire, pour construire ensemble quelque chose de beau.
Comment faire d’après vous pour éviter le harcèlement?
Je dirai que la clé, c’est la loi du nombre. Plus les gens sont sensibilisés, moins ça se passe. Les gens en haut de la pyramide doivent aussi y mettre du leur. Ce que j’aime présentement, c’est qu’on est moins dans une ère d’accusation comme au début du mouvement #moiaussi. On a passé le cap du spectacle. Maintenant on cherche des solutions, on veut montrer des exemples positifs. Tout le monde s’est réveillé et très rapidement. La sensibilisation et les ressources se sont multipliées en très peu de temps et ça, ça aide. Il faut continuer dans cette voie.
➡️ Pour en savoir plus sur la formation: rendez-vous sur unefoisdetrop.ca