Annette Nguyen déniche ses vêtements uniquement en friperie depuis une dizaine d’années. Un système qui finit par ne plus convenir à cette avocate de profession qui a longtemps travaillé dans le commerce au détail.
«Qu’est-ce que je pouvais faire pour répondre à mon besoin de m’habiller? J’aime la nouveauté, mais pas cette façon de surconsommer avec la mode jetable et pas éthique. J’ai pensé à faire une sorte de troc, d’autres personnes avaient peut-être le même besoin, explique Annette Nguyen. La mode en tant que telle ne me passionne pas, c’est plutôt le business de la mode: la relation très intime que les gens ont avec leurs vêtements. Qu’est-ce qui fait que je vais plus adopter ce style versus ce style? Comment les gens se définissent-ils par rapport à ce qu’ils portent?»
C’est suite au succès d’un événement sous forme de pop-up en avril 2018 qu’Annette Nguyen se lance dans son projet Le Shwap Club. Le concept? Rien à vendre, tout à échanger.
«Les participantes font leur inscription sur place, payent les frais d’entrée et nous laissent leurs sacs. Pendant qu’on trie leurs vêtements, elles peuvent magasiner. Quand elles ont terminé, on est capable de leur dire combien de morceaux sont acceptés. Il n’y a pas d’étiquettes: chaque vêtement accepté te donne droit à n’importe quel autre morceau en boutique», précise la fondatrice.
Caché dans un immeuble au cœur du quartier Saint-Henri, le Shwap Club demeure, comme son nom l’indique, un club, forcément moins repérable qu’un magasin ordinaire. Un choix réfléchi par l’entrepreneure qui prépare déjà l’ouverture d’un deuxième local. «Pour que ça reste un club intime, il faut que les gens sachent pourquoi ils viennent. L’idée est que les filles viennent préparées, prêtes à échanger leurs vêtements.» Un concept qui désire promouvoir un magasinage plus conscient.
Une gang de troqueuses
Une simple visite au Shwap Club coûte 16$, tandis qu’un abonnement annuel s’élève à 90$. «Si tu es membre, tu ne payes pas chaque entrée et tu peux accumuler les crédits sur l’année. Si tu viens en simple visite avec dix morceaux et que tu trouves seulement deux pièces qui te plaisent, il va te rester huit crédits que tu ne pourras pas accumuler. Ce qui est le fun quand tu es membre, c’est que tu t’engages à consommer différemment et à faire du Shwap Club ta destination de choix pour magasiner.»
Avec aujourd’hui plus de 600 membres inscrites, le Shwap Club mise sur sa communauté, composée de femmes. La présentation et le rangement de l’espace, constitué d’un petit coin avec deux stations de tri, sont primordiaux aux yeux d’Annette Nguyen, qui ne lésine pas sur l’exigence.
«On ne m’a jamais dit que j’avais l’air d’une guenille! Avec un peu de patience, tout le monde peut s’habiller avec des vêtements usagés, on n’est pas obligés de chercher la dernière tendance pour avoir du style.» Elle affirme détenir une vision assez stricte pour établir si des morceaux ont le potentiel de plaire ou non. «Pour ne pas que les gens se disent: “c’est complètement démodé ici”», ajoute-t-elle.
«Les gens magasinent beaucoup en ligne, donc il manque gravement un contact humain. On ne touche plus autant au vêtement qu’on le faisait avant. Ici, on est dans un grand terrain de jeu. On accueille les filles par leurs prénoms, on connaît leurs histoires.»
Pour réguler ce qui circule dans les rayons du Shwap Club, dont la durée de vie est de quatre semaines avant de partir en don, les vêtements apportés passent plusieurs tests. «On regarde l’état général, puis la saison et si le vêtement est au goût du jour. C’est important que le morceau se retrouve directement sur le plancher. On commence à bien connaître notre clientèle, une femme début trentaine qui pourra porter ça dans la vie de tous les jours. Les gros talons, les robes courtes, ce n’est pas pour nous.»
Avec un modèle d’affaires unique – l’un des défis majeurs de l’entreprise – Le Shwap Club se veut minutieux sur l’inventaire, car la survie du concept alternatif en dépend.
Simplicité des échanges
«Je pense qu’on a trouvé notre ADN: une façon très franche de parler. Les gens peuvent s’identifier et ne sentent pas de prétention. Souvent les femmes se disent que c’est intimidant, qu’elles se feront juger par rapport à leurs vêtements. On fait donc attention à comment on leur répond.»
Ramener le plaisir au cœur d’une expérience qui devient impersonnelle, voilà l’un des objectifs d’Annette Nguyen. «Les gens magasinent beaucoup en ligne, donc il manque gravement un contact humain. On ne touche plus autant au vêtement qu’on le faisait avant. Ici, on est dans un grand terrain de jeu. On accueille les filles par leurs prénoms, on connaît leurs histoires. C’est cool de se faire dire en arrivant “hey salut comment ça va? T’as passé un bon week-end? Ça se passe bien la nouvelle job?”», croit l’entrepreneure.
Cette dernière a sauté le pas en prenant conscience de la surconsommation des gens qui ont les moyens de consommer différemment. «Il faut faire attention avec le fast fashion. Je comprends les enjeux qui viennent avec, mais il ne faut pas oublier que le commun des mortels n’a pas les moyens de s’acheter des vêtements locaux ou de consommer autrement. Le fast fashion comble un besoin réel du marché. Ce que je trouve dommageable c’est ceux qui ont les moyens de consommer plus vert et qui ne font pas ce choix.»
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On a reçu de la belle maille. Je suis toujours étonnée de nos belles récoltes, mais wow.
«Je suis dans cette tranche de gens qui peuvent se permettre d’acheter un peu plus cher et de qualité, alors pourquoi ne pas essayer de ne plus en faire un argument économique, mais quelque chose de ludique, bon pour l’environnement, au lieu d‘aller chez Zara ou d’acheter une pièce très cher qui va durer une saison ou deux? J’ai envie d’une façon différente de faire les choses.»