Du 26 juin au 1er juillet prochain, le festival Mtl en Arts, qui met à l’honneur l’ébullition artistique montréalaise et ses acteurs revient sur la rue Sainte-Catherine. Au programme: créations en direct, expériences participatives, ambiance effervescente et conviviale, vente et diffusion d’arts visuels en tout genre sur plus d’un kilomètre. Fondé il y a 20 ans, l’événement souhaite être chaque année un lieu d’inspiration et d’échanges entre le public et les artistes. Les oeuvres de plus de 150 artistes seront une nouvelle fois mises en lumière durant ces quelques jours et inutile de préciser que Mtl en Arts est devenu un incontournable pour les amoureux des talents locaux. Entrevue avec l’artiste peintre David Farsi originaire de Paris qui réalisera une fresque chatoyante s’inscrivant dans le courant du vitalisme qu’il a fondé.
Formé à l’École Boulle à Paris, David Farsi oeuvre à Montréal depuis une vingtaine d’années. Ses traits de pinceaux à la fois candides et éclatants de couleur entrent dans un rapport intime avec la matière. L’artiste peintre qui a aussi été parmi les premiers à expérimenter avec l’art numérique nous confie son parcours, ses sources d’inspiration, ainsi que son rapport au marché de l’art.
Bonjour M. Farsi! Qu’est-ce qui vous a mené à devenir artiste à Montréal?
Disons que je me considère plutôt Terrien. Ceci dit, je suis né à Paris et je vis à Montréal. J’ai la double nationalité, mais cette réalité n’influe pas sur moi. Quand on vit au Canada, on n’imagine pas que le Québec détient sa propre personnalité. Vers 1994, j’ai été interpellé par l’art numérique. La peinture était le pixel et l’écran, le support, ce qui m’a fasciné. Graphiste de formation, j’ai beaucoup voyagé à travers le monde, mais ce qui m’a attiré au Québec est la révolution au niveau du travail numérique qui concordait avec un projet de ma création. Je voulais me trouver à un endroit à la pointe de cette technologie, donc j’ai plié bagage et je suis venu ici pour le vent de changement qui soufflait sur le monde numérique de la métropole, plus que la nature ou le décor de ses environs. Le côté pictural de la chose m’intéressait cependant plus que l’aspect du jeu vidéo dans lequel Montréal se démarque. C’était quelque chose que je n’avais pas saisi au départ, mais j’ai voulu quand même créer une oeuvre qui a pris 8 ans de ma vie dans cette effervescence.
J’aimais aussi la tranquillité de la ville. Surtout l’hiver, je rentrais de l’atelier aux petites heures du matin et c’était magique de marcher sous la neige. Maintenant, j’avoue que j’en ai un peu marre du froid [rires]. J’apprécie encore le changement des saisons sur le plan des couleurs, car mes oeuvres sont très colorées,et c’est toujours aussi extraordinaire, voire irréel de se balader dans l’automne indien. Même si je suis quelqu’un de la ville, j’aime bien aller me ressourcer de temps en temps dans la nature.
«J’essaie de ne pas trouver la recette pour faire de l’argent. Si c’est dans ton coeur d’être artiste, tu perceras de toute façon. Le principal est de conserver la santé. Je dis toujours aux jeunes que la seule chose acquise est qu’ils sont nés et qu’ils vont disparaître. Personne n’a trouvé la solution pour rester. L’espace-temps qui nous est alloué, nous ne le connaissons pas, alors autant travailler pendant celui-ci en restant fidèle à soi-même.»
Vos peintures sont surréalistes, imaginatives et empreintes de couleurs éclatantes. Comment définiriez-vous votre style artistique?
En Europe, j’ai créé un mouvement avec un groupe de peintres qu’on appelle le vitalisme. Ensemble, nous organisions des soirées vitalistes où j’ai eu la chance de rencontrer de grands maîtres de la peinture. Beaucoup de gens me disent qu’ils voient une tendance vers [Salvador] Dalí dans mes oeuvres, mais je conserve ma propre écriture, je raconte des histoires. Chaque petit tableau est doté d’une histoire, et il ne se répète pas malgré les demandes des marchands de faire des répliques et je me bats pour ça depuis plus de 45 ans. Je continue mon histoire. Sinon, je suis toujours attiré par les matières scintillantes comme les paillettes ou les billes de verre. En fin de compte, j’essaie toujours de faire vibrer le tableau avec les matières.
Qu’est-ce qui vous inspire à créer? Quelles sont vos influences principales?
Les gens. C’est à travers les rencontres que s’effectue le déclic. Je tire mes influences de ce que les gens me confient. J’ai beaucoup de mal à trouver l’inspiration à partir d’un paysage. Je ne vais pas prendre mon chevalet devant un objet et me mettre à dessiner par exemple. Aussi, je peins toujours 10 ou 15 tableaux en même temps, et cette collection de tableaux raconte une histoire à part entière. Si vous les mettez côte à côte, vous vous trouverez devant un plus long récit. Or, ils sont voués à se séparer et voyager. Quelqu’un qui va acheter l’un des tableaux s’approprie une partie de cette grande trame narrative.
Puisque les artistes deviennent souvent «malgré eux» des entrepreneurs, quels sont les plus grands défis auxquels vous faites face? Quelles solutions?
J’ai eu cette chance d’être artiste depuis mes 16 ans, mais j’étais dans la rue pendant mon adolescence. Pour se démarquer dans l’art pictural, il faut se battre, il faut aller vers l’avant. Le défi consiste à vivre dans l’incertitude de recevoir un chèque à la fin du mois, tout en restant fidèle à soi-même. J’ai toujours essayé d’être moi-même. Un jour, j’espère que les gens vont s’inspirer de ce que j’ai fait et de devenir une référence, de la même manière que le sont devenus les maîtres anciens, et pour cela, je dois me remettre en question, me mettre en danger en permanence. Il faut limiter les moments de confort.
Je ne suis pas marchand, je suis un artiste. Aujourd’hui on dit aux artistes, surtout ceux picturaux, de tenir boutique eux-mêmes et qu’ils n’ont pas besoin des galeries, mais en fin de compte, être artiste n’est pas synonyme d’être marchand ou critique d’art. C’est votre métier à vous de rencontrer et raconter l’artiste, c’est à vous de le faire, de la même manière que c’est au galeriste de se battre pour qu’il puisse percer et entrer dans les collections privées.
Aujourd’hui, il n’y a plus de marchands, seulement des boutiquiers. J’essaie de ne pas trouver la recette pour faire de l’argent. Si c’est dans ton coeur d’être artiste, tu perceras de toute façon. Le principal est de conserver la santé. Je dis toujours aux jeunes que la seule chose acquise est qu’ils sont nés et qu’ils vont disparaître. Personne n’a trouvé le temps pour continuer et rester. L’espace-temps qui nous est alloué, nous ne le connaissons pas alors autant travailler pour rester fidèle à soi-même. Autrement dit, un artiste ne peut pas réussir seul. Il faut qu’il puisse compter sur des gens aussi importants que l’artiste comme le marchand et le critique d’art.
Vous allez concevoir une oeuvre évolutive de 80 pieds de longueur avec l’aide du public dans le cadre du festival Mtl en Arts cette année. Pouvez-vous me parler de cette oeuvre en question nommée «Bleu ciel»?
Je vais créer «Bleu ciel» avec 7-8 jeunes avec qui le Groupe Paradoxe travaille pour les aider à s’en sortir dans la vie. Ils passeront une journée avec moi habillés en combinaison et nous allons créer ensemble le fond de l’oeuvre en expérimentant avec les formes et les mouvements. La grande fresque sera divisée en 20 petits tableaux donc on ne va pas seulement se contenter de rouler du bleu dessus. Nous allons chercher des effets qui représentent la joie, le drame et plusieurs autres sentiments afin de produire une oeuvre lyrique aux tons de bleu, argent, or et blanc. Ensuite, il faut faire attention au moment de nommer une pièce, car il guide les gens vers une idée préconçue. J’ai toujours donné un nom aux oeuvres en ayant l’histoire qu’elle raconte en tête. Ici, «Bleu ciel» se rapporte à la vie et à la teinte la plus sage de la gamme des couleurs.
Qu’est-ce que vous apporte le festival Mtl en arts?
L’événement me permet de rencontrer des gens et de m’éclater. Aussi, j’ai droit à un grand atelier extérieur, un canevas de 80 pieds de long dans un autre environnement. Je suis aussi heureux de travailler avec des jeunes et d’être dans la nature, dans l’espace de vie de tous les jours, le stress de la météo, avec les gens qui m’entourent, me pousse à une véritable performance. Les gens pourront admirer l’évolution du tableau depuis des tables installées, profiter d’un repas et de la musique. Le premier jour est souvent magique. Ce sera comme un défoulement où tout le monde pourra revêtir une combinaison et balancer de la peinture sur de la musique sans contraintes. Après, c’est du travail de remplissage.
Quels sont vos projets à venir?
Je n’ai jamais bénéficié de subventions. J’ai tout accompli avec mon propre argent. Je suis navré qu’un certain nombre d’artistes qui ont un certain talent n’arrivent pas à continuer. Les subventions sont en grande partie mal distribuées. Les jeunes artistes passent 80% de leur temps à trouver les moyens pour peindre et 20% de leur temps à créer. J’ai essayé d’inverser cette tendance avec le temps pour arriver à une certaine notoriété de confiance. Pas nécessairement une reconnaissance monétaire de la part des donateurs et sociétés privées d’argent, mais je prépare quand même une foule de projets assez onéreux.
J’aimerais dans l’avenir créer une école, un atelier pour toutes les générations où toutes sortes de techniques et médiums seraient enseignées et y transmettre mon expérience de plus de 40 ans dans le métier.