Qui êtes-vous et quel est votre parcours?
Je m’appelle Benoît Ritzenthaler, j’ai un parcours atypique, je suis passé par pas mal de métiers avant d’arriver à la bière en 2003. J’ai tour à tour été: moniteur de ski, accompagnateur en moyenne montagne, ouvrier agricole, bibliothécaire. J’ai également fait du développement universitaire et entre temps, j’ai effectué mon temps de service national en temps qu’objecteur de conscience durant lequel j’ai découvert le brassage de bière, dans ma cuisine… C’était en 2001.
J’ai été salarié d’une brasserie pendant 8 ans avant de vouloir brasser d’autres bières que des “blanches”, “blondes”, “ambrées” et “brunes” à la belge. Avec un groupe de copains, nous avons mis un “coup de pied dans la fourmilière” en créant une nébuleuse appelée: Front Hexagonal de Libièration (FHL). Mon premier acte militant à été de démissionner de mon poste confortable de brasseur, pour créer ma brasserie et mettre en place de nouvelles bières. À cette époque, faire des bières houblonnées et amères, en France, c’était quasi impensable. On est un groupe de copains encore soudés actuellement, on fait de la bière en se marrant et tant pis pour ceux à qui ça ne plait pas.
J’ai créé la Brasserie de la Pleine Lune en 2011 suite à ma démission. J’ai travaillé tout seul pendant presque 18 mois, avant d’accepter que je ne pouvais pas tout faire tout seul.
Plusieurs années plus tard, j’ai fait parti du petit groupe qui à fait sécession avec le syndicat des brasseurs industriels pour participer à créer le Syndicat National des brasseurs indépendants. Malheureusement, par manque de temps, je ne peux que très modestement participer.
Aujourd’hui, la Brasserie de la Pleine Lune, c’est 2600 hl et 8 salariés, nous cherchons à ce que chaque personne qui travaille à la brasserie ait un vrai contrat qui permette d’avoir un projet de vie derrière. En gros, nous refusons l’«uberisation» de notre société et nous le mettons en place au jour le jour.
Votre emploi et titre actuel?
Je suis brasseur et gérant de la Brasserie artisanale de la Pleine Lune. Je m’occupe de la pile de paperasse journalière, des plannings en tous genres, de la relation bancaire, de la veille technique et la veille organoleptique (plus plaisante), des projets. Et mon petit plaisir est de créer les recettes, les mettre en place avec Georges mon associé et brasseur qui est plus en charge de la production en général.
Dans quelle ville?
La brasserie est située à Chabeuil, à côté de Valence dans la Drôme. C’est aussi à une centaine de kilomètres au sud de Lyon, à 100 km au nord d’Avignon et à 100 km à l’ouest de Grenoble. En gros, nous sommes prêt de tout et loin de rien.
Un mot pour définir le type de travailleur que vous êtes…
Instinctif.
D’où vient votre intérêt pour la microbrasserie?
En mars 2000, j’ai été appelé sous les drapeaux pour faire mon temps de service militaire. Ayant refusé de porter les armes, j’ai passé 20 mois dans une bibliothèque d’Histoire à Grenoble, où j’ai découvert qu’il était possible de faire sa bière soi-même sur la toile, grâce à un forum québécois qui s’appelait, si ma mémoire ne me joue pas de tours, le babillard.
Je ne pensais pas que ça allait devenir mon métier, mais j’ai su provoquer ma chance en 2003 pour me faire salarier dans une microbrasserie près de chez moi. La bière plus on la découvre, plus on l’aime!
Qu’est-ce qui rend votre bière unique?
J’aime les bières légères et houblonnées. Du coup, logiquement, j’ai développé ce genre de bières dans la brasserie. Nous avons été parmi les premiers en France à faire des IPA, nous avons été parmi les premiers à faire des collaborations avec d’autres brasseries (avec la brasserie du pays flamand à l’époque), nous avons été les premiers à se lancer dans les lagers houblonnées (Pale Lager et India Pale Lager). J’aime la finesse dans la bière et l’équilibre, j’aime boire une bière, et une fois fini, savoir que je peux en reboire une seconde, j’aime travailler sur des bières accessibles au plus grand nombre, sans la moindre concession. J’aime innover en avance des modes. Et tout ça, nous le brassons tous les jours avec passion…
Quelle est la taille de la brasserie?
Nous produisons 2500 hl soit environ 1600 BBL annuel dont 2000 hl de bières certifiées biologiques. En gros, nous avons une unité de production de 20 hl et 12 fermenteurs de 20 hl.
La progression est d’environ 20 % annuel avec comme objectif d’être aux alentours de 4000 hl en rythme de croisière dans 2 ou 3 ans.
À quoi ressemble votre espace de bureau?
Ça ressemble à un espace où une tornade serait passée. Ce talent me permet de mettre un bureau parfaitement rangé en désordre en moins de 10 minutes, c’est le seul moyen pour moi de m’y retrouver sans effort…
Avez-vous une façon d’organiser vos journées afin d’optimiser votre travail?
L’organisation de mes journées est assez simple. Je commence toujours par faire le point avec Cyril et Georges (relation client, production), on définit les urgences et les importances et on ne s’arrête plus tant que tout n’est pas géré. Chaque lundi donne lieu à une réunion d’équipe qui permet de briefer des taches et d’échanger sur les difficultés à venir, ou les petites victoires qui s’annoncent. Nous essayons de toujours savoir qui fait quoi et de respecter le planning.
Quels «trucs» conseilleriez-vous pour améliorer la productivité?
Sois fainéant! Faire les choses, vite et bien du premier coup pour ne pas avoir à revenir dessus derrière. Ne jamais remettre au lendemain ce qui est faisable le jour même. Travailler en équipe demande que chaque maillon de la chaine soit fiable.
Je dirais aussi: ne jamais acheter du matériel d’occasion, il coûte vite plus cher que du neuf et prend un temps fou, car tout le temps en panne.
Peut être que l’élément le plus important pour gagner en productivité est de désinstaller Facebook de son cellulaire, regarder matin et soir quelques minutes suffit amplement. Les réseaux sociaux sont chronophages et addictifs.
Vous êtes meilleur que vos collègues de travail pour…
Je ne suis pas meilleur, nous sommes tous complémentaires.
Je pense savoir écouter. Je ne dirige pas, je coordonne des talents, je suis têtu et loyal!
Quel est votre plan d’affaires pour contrôler la croissance de votre microbrasserie?
Un bon comptable et surtout des tableaux de bord. Globalement, je sais à peu près à chaque moment ce qui se passe dans la brasserie.
La croissance surtout à 2 chiffres, ça coûte cher et ça peut être un facteur de naufrage. Nous avons, plutôt par hasard, beaucoup de ventes sur place. Ceci nous permet de financer la croissance. Pour être précis, 13 % de notre chiffre d’affaires se fait sur place. Nous espérons maintenir ce chiffre dans les années à venir.
Il est prévu encore 2 années de croissance un peu folle, puis une stabilisation de la production et des ventes pendant au moins 5 ans. Clairement, il est important de savoir s’arrêter de croitre, sinon le métier n’apporte plus le même fun. Nous allons déménager la brasserie dans l’année dans un bâtiment que nous construisons. Ce bâtiment est calibré pour ne pas pouvoir brasser plus de 4500 à 5000 hl annuels, ce qui sera un bon rappel à l’ordre si nous avons la tentation d’en faire plus.
Quelle est votre stratégie afin de faire connaitre votre bière?
Première règle: ne jamais mentir, ne jamais arnaquer un client.
La stratégie commence par faire une bonne bière accessible en goût et en prix. Trop souvent la bière est considérée comme un produit de luxe, mais pour nous c’est un produit populaire qui doit le rester. Nous préférons une distribution locale, bien que celle-ci soit assez large sur l’hexagone grâce à nos distributeurs indépendants.
Un peu bizarrement, la brasserie n’a jamais eu besoin de pousser des portes pour vendre, c’est un luxe rare. Mais qui implique de savoir répondre aux demandes entrantes de la manière la plus fiable possible. La fiabilité c’est aussi savoir dire “non” à une demande, car nous avons déjà un client avec les mêmes références dans ce village ou dans un rayon très proche en ville. Nous souhaitons avoir de vraies relations de confiance avec nos clients.
J’ai longtemps fait tous les salons en tant qu’exposant, c’est épuisant et extrêmement frustrant de réciter son texte et de ne pas avoir le temps de bien parler de ses bières à des clients finaux en quelques secondes, parce que le suivant attend.
Du coup, j’ai changé mon fusil d’épaule et je suis allé à tous les festivals, mais en tant que visiteur. Cela permet de découvrir les revendeurs, ces personnes qui sont les intermédiaires, pouvoir faire passer les valeurs, l’éthique et parler de notre projet. Nous n’allons plus qu’à quelques festivals par an, bien ciblés, afin de remercier nos clients et de leur faire découvrir les nouveautés.
Nous faisons attention aussi à ce que nos bières restent distribuées par des indépendants, car l’indépendance de production doit se coupler avec une indépendance de distribution. J’ai eu récemment le cas d’une société qui appartient à un géant industriel de la bière qui m’a contacté, la réponse a été polie, mais ferme et sans détour!
Être sérieux, sans se prendre au sérieux!
À propos du design, qu’est-ce que votre image de marque reflète?
Nous avons une cohérence de graphisme qui vient justement de son incohérence. Lorsque j’ai créé cette brasserie, Fabien Lacaf m’a offert quelques dessins et j’ai toujours aimé la bande dessinée. J’ai toujours jalousé les personnes ayant du talent pour dessiner!
Comme je l’ai écrit plus haut, je suis un instinctif, j’aime la bière, la bande dessinée et la vie en général. Donc est naturellement venue l’idée de faire des étiquettes dessinées. Le dessin est l’un des fils conducteurs de notre communication, le jeu de mots un autre.
Qu’est-ce qui vous inspire et vous motive à aller au travail chaque jour?
Je ne me suis jamais posé cette question depuis que je suis brasseur, je n’ai jamais eu de mal à me lever le matin, même dans les moments les plus durs de la brasserie.
En 2011, je suis allé chercher des fûts vides sur un festival, j’étais épuisé par l’été, je suis arrivé, il y a eu un grand silence et tous les artistes, tous les techniciens, les organisateurs se sont mis à applaudir. C’est un grand souvenir pour moi et c’est pour ces gens à qui j’ai fait découvrir la bière artisanale houblonnée (en France en 2011, ce n’était pas rien), je me lève tous les matins.
Je dis souvent: nous faisons un métier où l’on se lève tôt pour que les gens puissent se coucher tard et heureux!
Quel est le meilleur conseil qu’on vous ait donné?
J’en ai plusieurs assez importants donc je ne pourrais pas juste en citer un seul
Marc de Greef, mon ancien patron: une entreprise c’est 20 % de routine et 80 % de tracas, le tout est de pouvoir gérer les 80 % de tracas avec un minimum d’énergie.
Yvan de Baets de la brasserie de la senne à Bruxelles: Brasse les bières que tu aimes, celles que tu as envie d’avoir dans ton verre.
Gwenaël Samotyj, brasserie des garrigues à Sommière: Tu es bon, tu brasses bien, lance-toi!
Dorothée Van Agt, Cave à bière Mozaic (Paris) et brasseuse AllegoriA: Voyage!
Avez-vous des nouveautés à venir?
Nous créons souvent en dehors de notre gamme régulière des nouvelles bières. Souvent en collaboration, ce qui permet un échange technique, de sortir de sa zone de confort et de faire de belles rencontres.
– Interruptus: c’est un Koyt à la myrthe brassée en collabo avec la brasserie du Haut Buech.
– Sylvester Stalune: une p**** d’IPA de la côte ouest, résineuse et amère à “l’ancienne”.
– Haze aka Mozaic: cryo Lager, une collabo avec AllegoriA.
-Sympathy for the Hops: une libre interprétation de milk IPA.
-L06: une session IPA de blé.
– Une bière au coquelicot qui n’est pas encore nommée
– Un Göse à la salicorne, qui n’a pas encore trouvé son nom non plus.
– Un Black Lager
À la fin d’une journée, quelle sorte de bière buvez-vous pour vous détendre?
J’ai une affection particulière pour les lager houblonnées c’est facile, sans prise de tête et reste sans concession.