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Simon Blais: La fibre artistique et entrepreneuriale depuis 30 ans

Simon Blais: La fibre artistique et entrepreneuriale depuis 30 ans

Ce printemps marque le trentième anniversaire de la Galerie Simon Blais. Situé dans le coeur du vibrant Mile-End et fondé par le couple Simon Blais et Sylvie Cataford, ce lieu où converge art contemporain et art moderne, émergence et expérience, a su se hisser parmi les plus réputés de son domaine. Grâce à ses nombreuses expositions et une panoplie d’artistes représentés, mais aussi grâce à son cofondateur éponyme qui gère et oriente la galerie.

L’exposition «Depuis 30 ans, maintenant» se visite avec rétrospection et émotion. 30 oeuvres par 30 artistes sont mises en lumière jusqu’au 29 juin à la Galerie Simon Blais. L’équipe a souhaité célébrer sa troisième décennie en présentant le travail d’artistes qui témoignent de l’ascension de la galerie. «Entre les coups de cœur et les œuvres phares, l’idée est de montrer une production représentative de chaque artiste dans un moment fort de la galerie», nous indique le communiqué.

Les oeuvres sont accompagnées des commentaires des six membres de l’équipe qui permettent aux visiteurs d’en savoir plus sur le contexte de création et le lien de l’artiste avec la galerie. Peu conventionnels, ces courts textes façonnent également une proximité avec le public. Marc Séguin, Éliane Excoffier, Michel Goulet, Edmund Alleyn, Isabelle Guimond, Joan Miró, Françoise Sullivan, Marcel Barbeau, Betty Goodwin, Jean-Paul Riopelle, Guido Molinari ou encore Michel Campeau font tous partie de l’histoire de la galerie. Une histoire marquée par l’évolution constante.

L’art des affaires

Après avoir passé 10 ans en tant que gérant puis responsable d’une galerie d’art spécialisée en estampes, Simon Blais fait le saut et fonde son propre espace de diffusion et de représentation d’art. «En 1989, je me sentais prêt, j’étais mûr pour être mon propre patron, j’avais assez confiance en moi pour ce projet», se remémore celui qui à l’époque était âgé de 33 ans. Son épouse, avec qui il partage un vif intérêt pour les arts depuis toujours, l’accompagne dans cette démarche, bien qu’elle lui cède le leadership global. «Ce qui est formidable c’est que Sylvie, qui travaillait dans le milieu de la santé, a laissé son emploi et on s’est lancé comme ça dans l’aventure, de façon audacieuse. On a plongé dans le vide, vraiment, avec déjà deux jeunes enfants.»

Comme pour toute nouvelle entreprise en quête de réussite, lancer son projet comporte son lot de défis et d’adaptation. Quel risque cela représentait-il d’ouvrir sa galerie en 1989? «De toute façon, lancer une galerie d’art, c’est difficile. Je pense que je ne le ferais pas aujourd’hui», lance d’emblée le cofondateur, accusant des coûts encore plus dispendieux en 2019.

Simon Blais et Sylvie Cataford. Courtoisie Galerie Simon Blais.

Toutefois, ce dernier s’estimait conscient à l’époque de ce qu’impliquerait son rôle de galeriste et patron. «Opérer une galerie, c’est devoir faire la promotion des autres. Il faut avoir confiance, faire des choix d’oeuvres, d’artistes, et [s’occuper] des relations humaines avec la représentation d’artistes. On ne vend pas des objets, on vend des objets qui sont faits par des individus. Donc, lancer une galerie, c’est risqué, ça demande beaucoup de détermination, de la conviction, de l’argent.» La prise de risque est réelle lors de la sélection des artistes, un choix fondamentalement subjectif. «[Ce sont des] gens qu’on choisit, les critères sont personnels, il n’y a rien de mathématique dans l’art, tout est très sensible et émotif! L’orientation que prend la galerie est à l’image de son ou sa propriétaire.»

Il estime que la notoriété, très longue à mettre en place, constitue l’enjeu le plus laborieux de son travail. «Quand on travaille avec de jeunes artistes, au début ils n’ont pas de réputation, pas de carrière, c’est à nous marchands de faire ça. Et lorsque vous êtes deux débutants [la galerie et l’artiste], d’où vont venir les clients? Qui va faire confiance à votre jugement?».

Mais alors, comment asseoir une réputation? Selon Simon Blais, il s’agit de présenter des artistes pertinents, de s’associer avec des personnes qui apportent de la nouveauté, de miser, à l’instinct, sur les bons joueurs. Beaucoup de paris ont jalonné et jalonnent encore son quotidien. «Au début, les conservateurs des musées vont être très prudents, ils vont attendre souvent des années avant de se déplacer. Il faut vraiment qu’il y ait tout un «buzz» et des artistes importants associés à la galerie pour que ces gens, qui sont influents auprès des collectionneurs, se déplacent», indique-t-il.

C’est en se plongeant dans ses souvenirs qu’il énonce que l’édification de sa réputation fut un travail de longue haleine, et qu’elle doit continuer d’être nourrie aujourd’hui.

Exposition «Depuis 30 ans, maintenant». Crédit photo: Guy L’Heureux.

La collaboration et l’équilibre comme mission

Il a aussi été essentiel de s’entourer d’une équipe solide afin de pérenniser la galerie d’art. C’est pourquoi, dès le départ, le couple engage des adjoints. Ce sont des employés à qui ils peuvent déléguer des tâches, des «personnes de confiance», fidèles aux mêmes valeurs que le duo instigateur depuis longtemps. Parmi ses quatre adjoints, François Babineau oeuvre dans la galerie depuis ses débuts et Catherine Léonard depuis 20 ans.

La famille et la cohésion sont primordiales pour le couple Blais-Cataford. «On a même un enfant qui est né au début de la galerie et qui faisait ses siestes dans la galerie à l’époque, se rappelle-t-il en souriant. La famille a toujours été présente, ça a aussi coloré mes choix professionnels. J’ai choisi avec mon épouse de ne jamais ouvrir le dimanche par exemple. Il faut qu’on ait une vie et que mes employés aussi. Mon personnel, je l’espère, ressent qu’il peut respirer et que tous sont appréciés.»

L’un des postes est un poste «tremplin», comme l’appelle le cofondateur. Il a toujours été occupé par une femme et, après son expérience au sein de la Galerie Simon Blais, cette quatrième adjointe trouve souvent une opportunité ailleurs. «Une est partie au musée de Rimouski, une autre a monté son entreprise de consultation en art visuel, c’est Catherine Orer et elle a beaucoup changé les choses ici, raconte-t-il. Plus on a du métier et de l’expérience, plus c’est formidable de voir passer des jeunes collaboratrices et collaborateurs qui nous amènent beaucoup d’idées nouvelles, des façons de travailler différentes et qui n’ont pas d’idées préconçues… Car c’est un vrai problème, si on reste sur ses idées reçues.»

S’adapter, innover, avancer

Le changement est, pour ainsi dire, un vrai «leitmotiv» chez le galeriste. Alors que le marché de l’art vit une crise aux débuts des années 90, Simon Blais intègre l’art moderne sur papier, plus abordable à l’époque, à l’éventail de sa galerie qui, jusqu’alors, présentait des oeuvres contemporaines et notamment des estampes. «J’ai ajouté un volet à l’offre de la galerie et on a été remarqués encore plus […] Des collectionneurs venaient alors voir les Riopelle, Ferron, Hurtubise, et au passage, ils voyaient aussi nos jeunes. L’un a toujours nourri l’autre. D’avoir réorienté la galerie en 1990, ça m’a tranquillement amené sur des pistes où je me suis mis à vendre des oeuvres du marché secondaire de l’art moderne.» Il se développe ainsi un créneau qui deviendra une ligne directrice pour la galerie dès 1994. Il déjoue quelques conséquences néfastes de la crise et rebondit. D’une contrainte nait une nouvelle expertise.

Même constat pour les médiums artistiques, la galerie s’ouvre au fur et à mesure des années aux pratiques diverses, comme la photographie en 2000. Simon Blais acquiesce; il ne tient rien pour acquis et préfère le mouvement.

Exposition «Depuis 30 ans, maintenant». Crédit photo: Guy L’Heureux.

 

M. Blais a également toujours investi dans le marketing, un élément qu’il apprécie particulièrement, contrairement à plusieurs de ses pairs. «J’ai su placer des publicités dans Le Devoir, dans les médias artistiques, les revues d’art. J’ai beaucoup dépensé d’argent pour faire connaitre la galerie et les artistes, ce qui fait qu’on bâtit une image publique qui est aujourd’hui plus grande que ce que j’imaginais. Certaines personnes connaissent la galerie sans même être venues!» En effet, le nom de la galerie semble résonner pour beaucoup comme celui d’une institution, d’une galerie pionnière. Toutefois, ses fondateurs ne souhaitent jamais projeter l’image d’une «vieille galerie». «Avec notre programmation, on fait beaucoup de choses, c’est dynamique et ce sera toujours dynamique», promet-il.

«La galerie a survécu parce que je me suis accroché, je n’avais pas le choix. Mais j’ai toujours eu un sens de l’entrepreneuriat qui a fait que j’ai pris des risques. J’ai monté des échelons dans la qualité, la réputation des artistes, j’ai fait des projets fabuleux en achetant ou en promettant d’acheter des oeuvres à des prix pour des centaines de milliers de dollars sachant que c’était la seule façon de faire des expositions colossales au bon moment», atteste-t-il.

Un avenir à la fois physique et digital

Aujourd’hui, l’un des challenges qui s’imposent au milieu des arts est sans contredit les transactions via internet ainsi que les communications numériques. M. Blais suit de très près les diverses plateformes marchandes comme Artsy, il publie également de nombreuses photos de ses expositions sur son site web.

«Je conclus beaucoup de ventes en utilisant le courriel avec des clients à l’autre bout du pays, s’enthousiasme-t-il. On fait confiance à mon jugement, à la galerie. Il y a des gens à qui je ne parle jamais en face! Je suis persuadé qu’il faut changer nos façons de faire le commerce de l’art. C’est encore très traditionnel: on fait une expo, un vernissage, on sert du vin, c’est très vieux jeu. Ça tire doucement à sa fin, le monde transite sur internet. Mon plus grand désir, c’est de trouver de nouvelles façons de commercialisation et de diffusion des images sans changer notre manière d’être non plus. On ne veut pas devenir racoleurs.»

À ce sujet, il nous confie qu’internet contribue amplement à démocratiser l’art et permet de se rapprocher des plus frileux. Car qui n’a jamais été gêné de pousser la porte d’une galerie, malgré la gratuité de la majorité des expositions? La Galerie Simon Blais utilise aujourd’hui des moyens ludiques tels que des concours Facebook ou encore Instagram afin de chercher une clientèle qui se déplacent peu, voire pas du tout. Fidèle à son tempérament entrepreneurial, Simon Blais est enjoué à l’idée de multiplier les canaux de communication avec le public. «Il faut aller chercher les jeunes comme ça. Ils sont intéressés à l’art, ils consomment des images, et il faut leur apprendre à se fier à notre galerie et à notre site transactionnel.»

Si trente ans séparent désormais son lancement en affaires de ses certitudes d’aujourd’hui, sa mission principale est restée la même: faire évoluer la galerie, ses acteurs, ses influences et ses créations, pour s’ajouter encore de belles années au compteur.

➡ L’exposition «Depuis 30 ans, maintenant» est à découvrir jusqu’au 29 juin à la Galerie Simon Blais, au 5420, boulevard Saint-Laurent, Montréal: plus d’infos.

Galerie Simon Blais

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