L’an passé, l’illustratrice Dali Wu remportait le prix de la meilleure oeuvre lors du festival Mtl en Arts. Ce qui séduit dans son travail? Sa signature artistique multiculturelle et ancrée dans une symbolique mystique qui parle à l’Homme. En effet, l’artiste questionne l’éthique et aime brouiller les pistes entre ici et ailleurs, pensée philosophique et spontanéité, Orient et Occident à travers son univers graphique riche en textures et en détails. Rencontre.
De quelle manière l’art s’est-il imposé dans votre vie?
Mon alliance avec l’art est accidentelle, mais fatale. Ma vie est semblable à celle de beaucoup des post-80 de la Chine: un enfant unique qui appartient à la «génération beatnik», bref, une génération du «moi». Mes parents étaient très occupés alors j’ai passé mon enfance avec mes grands-parents. Un jour, ma grand-mère m’a donné un coton-tige avec une bouteille de Mercurochrome afin de calmer la petite Dali turbulente, puis ce geste a défini ma vie; le dessin et l’art sont devenus les parties les plus intimes de ma personne. Chaque fois que mes parents m’ont manquée, je dessinais en vue de me libérer de la solitude.
Progressivement, mon entourage a aimé mes oeuvres, leur bonheur est devenu le mien et ils m’ont poussée afin d’exposer mes œuvres, de participer à des festivals, etc. Puisque nous sommes faits des autres et par les autres, notre société et notre culture, notre langage et notre réalité sont étroitement liés et imbriqués. Il faut une profonde réflexion métaphysique ou une méditation clairvoyante pour se rendre compte de cette interdépendance. D’ailleurs, j’ai été très touchée par une citation de Van Gogh: «Petri de la brillance utopique émaillée… L’art moderne sera gospel qui apportera la lumière pour le monde.» Cette phrase a sculpté mon âme, elle est aussi une force qui allume ma vocation d’être une artiste. Je crois donc que l’art est le chemin illuminé pour éclairer toute forme de douleur, même s’il n’est pas fait uniquement pour cela.
«Chaque fois que mes parents m’ont manquée, je dessinais en vue de me libérer de la solitude.»

Vous êtes née en Chine, avez étudié en France et résidez présentement au Québec. De quelle manière votre pratique artistique est-elle influencée par ces différentes cultures?
Je suis entrée dans le monde de l’art par l’apprentissage de la peinture chinoise traditionnelle, alors je vois souvent ce monde avec un regard esthétiquement oriental. Ce regard est ma racine, il me détient. C’est pour cela que des éléments orientaux apparaissent souvent dans mes œuvres. Ensuite, c’est une intention que j’ai de réconcilier l’esthétique extrême-orientale et la culture visuelle contemporaine. Cela me représente, tout simplement.
Les études et les expériences que j’ai eues en France et au Canada m’ont ouvert l’esprit, ainsi, je comprends beaucoup mieux la perspective cavalière de la peinture chinoise qui est à l’opposé du spécifique, représentant l’absolu d’un paysage. Comme la «fusion des horizons» herméneutique; les différentes cultures m’aident mentalement, ainsi que dans ma pratique et ma façon d’interagir avec moi-même et le monde.
«La chose la plus difficile dans la création, c’est de se sentir à l’aise. On prend ce qu’on aime puis on l’exprime dans une oeuvre, on montre ce qu’on voit en tant qu’individu doté d’une vision unique.»
Comment définiriez-vous votre style artistique?
Je n’ai jamais essayé de trouver mon style, mais peut-être que cela est finalement la source même de mon style! Depuis l’enfance, mon travail est souvent considéré comme «spécial». Heureusement que les enseignants étaient tolérants, ils ne m’ont jamais forcé à «corriger» quoi que ce soit! La chose la plus difficile dans la création, c’est de se sentir à l’aise. On prend ce qu’on aime puis on l’exprime dans une oeuvre, on montre ce qu’on voit en tant qu’individu doté d’une vision unique… C’est la rareté de l’art qui nous libère du train-train quotidien. Notre âme désire la liberté.

Qu’est-ce qui vous inspire à créer?
Mon identité en tant qu’étudiante étrangère m’impose de jongler fréquemment entre les différentes écritures et langues, et j’aime ce multiculturalisme! J’ai d’ailleurs l’habitude de comprendre et métamorphoser les langages de toutes sortes, il s’agit de mon inspiration artistique principale.
Souvent, j’aime refléter les visions et les impacts que j’ai au quotidien, et je souhaite que mon art soit introspectif. Quand j’étais au collège, je suis tombée sur une série de livres sur l’art du XIXe siècle et des courants de l’époque. J’ai été renversée par le style subversif de la «fin du siècle», avec le symbolisme et le romantisme, et en particulier les expressionnistes, qui utilisaient des traits grossiers et des couleurs chatoyantes. Depuis, mon inspiration est devenue un peu plus ambiguë et multiple. Mais l’art du 19e siècle reste ma préférence.
Puisque les artistes deviennent souvent «malgré eux» des entrepreneurs, quels sont les plus grands défis auxquels vous faites face?
Selon moi, c’est tout simplement une question de définition. L’artiste «de profession» est depuis sa naissance un-e entrepreneur-e, mais pas forcément l’artiste qui transcende toutes les techniques et tous les matériaux.
Honnêtement, c’est une belle période en ce moment pour être artiste. On a plusieurs pistes pour gagner notre vie, comme le crowdfunding, la vente en ligne, etc. Ce qui reste difficile, c’est de réaliser une œuvre «timeless».

Vous avez remporté l’an passé le prix de la meilleure oeuvre à Mtl en arts avec «It is always hard to ask their souls stay behind». Pouvez-vous me parler de cette oeuvre?
Elle signifie en français «Il est toujours difficile de demander à leur âme de rester derrière». Acrylique, aquarelle, encre sur toile, numérique. Yukio Mishima a dit: «L’humain n’a en fait que deux possibilités: être fort et droit, ou bien se donner la mort.» Pour le deuxième cas, puis-je l’interpréter comme «céder à la mort»?
J’ai dessiné des motifs et des formes courbes dans ce tableau. J’aborde le fait que tout change et tout se déforme constamment. J’essaye aussi de soulever ici notre difficulté à rester intact devant le monde phénoménal: le noir et le blanc s’entremêlent, ils reflètent le mal et la vertu, le pire et le meilleur, à la manière d’amis-ennemis… Et aussi la naissance et la passion, ce sont des visages alternatifs de la mort et la haine.
Cette oeuvre est internationalement appréciée. En plus du prix de la meilleure œuvre à Mtl en Arts, elle a remporté le premier prix de Top Art Magazine «Creative Quarterly» No. 49. J’ai également eu la chance de l’exposer dans plusieurs endroits du monde.

Qu’est-ce que vous apporte le festival Mtl en Arts?
Je me suis fait beaucoup d’amis grâce à ce festival, et j’ai eu plusieurs opportunités de collaboration. Un moment tout spécial aussi: une poète était très émue devant l’une de mes œuvres et elle m’a écrit un poème pour me remercier. Mtl en Arts, c’est une belle expérience!
Quels sont vos projets à venir?
Je vais continuer mon art, collaborer à l’international, et je vais essayer de créer un roman graphique existentialiste. C’est un projet qui me fait rêver depuis très longtemps! J’aimerais aussi gérer une galerie à Beijing [Pékin], mais le plus important pour le moment, c’est d’achever mon diplôme doctoral à l’UQAM, mon projet «trans-image» et de réaliser mon exposition personnelle qui relie tout ça ensemble.