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FME: 15 ans sous le signe de la communion

FME: 15 ans sous le signe de la communion

C’était la septième fois que nous franchissions la route Montréal-Rouyn pour cette célébration joyeuse de la musique émergente durant la fin de semaine du travail. Jamais nous n’avions encore vécu d’édition aussi froide, mais la température ne nous a pas empêchés de revenir vers Montréal lundi matin avec le coeur bien plein de moments mémorables, à la fois musicaux et humains.

Si on pressentait déjà que l’hommage à Richard Desjardins dans son coin de pays terminerait de manière inoubliable la fin de semaine, la participation surprise de l’icône abitibienne a dépassé nos attentes, agissant comme le climax de cette quinzième édition.

Après avoir eu lieu à Montréal, dans le cadre des FrancoFolies, puis à Québec au Festival d’été, c’est vraiment au nord de la 117 que le contexte était le plus favorable pour voir ce spectacle. Peu importe qui de la brochette impressionnante d’artistes défilait sur scène (parmi eux, Philippe B, ayant réalisé le disque hommage, point de départ de cette aventure pilotée par Steve Jolin; Bernard Adamus, les Soeurs Boulay, Fred Fortin et Safia Nolin), la foule s’enflammait et reprenait les refrains de ces pièces connues et aimées. C’est pendant la pièce Les Yankees que Desjardins est apparu au micro. Il fallait voir l’expression sur le visage de Klô Pelgag, fébrile comme une enfant s’apprêtant à rencontrer le Père Noël, en attendant son arrivée, puis entendre l’excitation se propager dans la foule alors qu’on réalisait ce qui était en train de se passer.

La scène avait été montée sur le lac Kiwanis, et le lieu prenait tout son sens malgré le froid pénétrant qui se manifestait par une fine bordure de glace sur le lac et par une contraction prononcée des orteils. D’abord parce qu’il a permis d’accueillir 12000 personnes, selon le décompte officiel, soit plus du quart de la population rouynorandienne. Ensuite parce que Desjardins, empreint d’une pudeur taquine, nous a appris que dans un bosquet tout près, à l’âge de 15 ans… (nous n’en dirons pas plus que lui). Finalement parce d’apercevoir le coucher de soleil se refléter sur le lac puis les lumières de la ville prendre la relève avait quelque chose de saisissant. On aurait presque souhaité que le spectacle début plus tôt pour pouvoir en profiter plus longuement.

À ce spectacle lumineux ont précédé une entrée en matière de l’inventive et talentueuse Klô Pelgag, accompagné de ses musiciens arborant tous un uniforme de gardiens de sécurité, puis d’une prestation planante de Matt Holubowski.

Soigner les sens

Une constante à chaque édition du FME est le souci d’offrir de quoi régaler tous les sens: l’ouïe, évidemment, grâce à une programmation soignée, mais aussi le goût, notamment par un repas gratuitement offert à la soirée d’ouverture (et un très généreux banquet lors du souper pour le volet pro, traditionnellement le samedi soir), et la vue, grâce à direction artistique de Karine Berthiaume, qui a le don de susciter les attentes et de les dépasser tout en se renouvelant chaque année.

Pour cette présente édition, la thématique reprenait des éléments importants de la culture des peuples des Premières Nations: corneilles, conifères, lignes et formes géométriques se mariaient en un tout dépouillé d’autant plus efficace.

Ce choix de scénographie n’était pas anodin: si nous pouvons retenir une chose de cette 15e édition, c’est la volonté de communion avec les communautés autochtones environnantes, notamment la communauté anichinabée de Pikogan, avec laquelle l’équipe du FME a collaboré pour le Pow-wow cette année.

Cette collaboration entre les deux communautés a pris la forme d’une journée de partage culturel le vendredi, sur la rive du lac Osisko, à Noranda. Appelé Makwa, la légende de l’ours, l’événement s’est conclu par une procession et un grand rassemblement où les familles, nombreuses, ont assisté à un conte entremêlé de danse traditionnelle et de tambours, et où la qualité d’écoute du public abitibien a été encore une fois de plus exceptionnelle.

La venue du trio électro-autochtone A Tribe Called Red, programmé pour le spectacle d’ouverture, a également contribué à cet échange. Il faisait bon d’apercevoir autant d’adolescents venus des communautés autochtones environnantes spécialement pour la formation, la foule dansant d’un rythme commun.

Un chapelet de découvertes

Chaque année, on se rend au FME pour y faire des découvertes, ayant appris avec l’expérience que ce ne sont pas forcément les noms que l’on connait déjà dans la programmation qui nous feront vivre nos meilleurs moments.

Parmi nos coups de coeur, mentionnons la multi-instrumentiste Emily Wells, femme orchestre à mi-chemin entre la virtuosité d’Owen Pallett et l’ambiance feutrée et sensuelle de Massive Attack, qui se produisait à l’Agora des arts le vendredi. Évoluant dans une tour de claviers, drum pads et tambours, et utilisant également son violon et un séquenceur pour sa voix, l’Américaine a livré une performance sans faille qui en a ébloui plus d’un.

Dans un tout autre registre, nous avons adoré Barry Paquin Roberge pour son univers festif délicieusement débridé, un grand bordel funk débordant de joie et de brillants «su’l chest» le samedi soir, ainsi que les Belges It It Anita pour leur fougue rentre-dedans rappelant par moments At The Drive-In et leur volonté de sortir du cadre, autant par la disposition des musiciens sur scène que par leur prise de possession de la salle comme son extension. Certainement l’une des meilleures performances du festival.

Nous n’avions toujours pas eu la chance d’attraper le phénomène Jean-Michel Blais en spectacle, et sa prestation gratuite le dimanche à l’Agora des arts est apparue comme l’occasion parfaite pour remédier à la situation. Les pièces de Blais, de grandes envolées où la poésie surgit du contact avec les touches blanches et noires, ont eu l’effet d’un baume sur ce dimanche gris empreint de nostalgie pour la fin de semaine qui tirait à sa fin.

Entre les pièces, le pianiste s’adressait au public pour expliquer ce qu’il s’apprêtait à entendre, exhortant les gens à se permettre d’«exister» pendant sa performance et à ne pas se sentir mal de bouger ou aux enfants de babiller. Il faut dire que Blais adore quand la vie et ses bruits infusent dans sa musique, l’enregistrement de son album II ayant été fait dans sa chambre à coucher où l’insonorisation n’était pas optimale. Cette démarche de démocratisation de la musique classique, un peu comme l’a fait dans la dernière décennie Chilly Gonzales avec ses deux Solo Piano, ne manque pas d’intéresser un nouveau public à la musique classique. Un autre des moments forts du festival.

L’histoire d’amour entre Rouyn-Noranda et Pierre Kwenders a connu un nouveau chapitre jeudi, sur la scène extérieure en ouverture d’A Tribe Called Red. Le musicien montréalais, que nous avions découvert dans une performance torride au Diable Rond pendant les Quartiers d’hiver en 2015, connait une belle trajectoire de succès, autant au Québec en général que dans la capitale du cuivre en particulier, et le public a réservé un bel accueil aux nouvelles pièces tirées de son nouvel album Makanda, qui sortait quelques jours plus tard. Il était précédé de La Bronze, qui a livré une performance énergique et sincère, invitant son ami Louis-Philippe Gingras, qui se produisait aussi pendant le festival, à faire sa «Parc à chiens», à laquelle elle prête sa voix, avant de se lancer dans la foule pour faire sa première session de «body surfing» à vie (à voir sa face réjouie, on se doute qu’il y aura récidive).

Pendant ce temps à l’Agora des arts, l’ambiance se déployait tout en douceur, avec Philippe B qui a offert une magnifique performance, puis le tranquille et enveloppant Andy Shauf, qui était accompagné d’une troupe de musiciens, dont deux clarinettistes, ce qui donnait encore plus de profondeur à ses pièces.

Qui dit FME dit bien entendu spectacles surprises. Cette année, nous avons pu attraper The Seasons sur la presqu’île du lac Osisko dans une prestation endiablée, Duchess Says en plein jour, sur le bord d’une piscine, Stéphane Lafleur dans une Maison Dumulon plus que bondée, pour un spectacle où reprises et chansons d’Avec pas d’casque dans leur plus simple appareil étaient au menu, ou encore Laura Sauvage, qui nous a offert un généreux spectacles au Pub Chez Gibb à Évain. La petite terrasse s’est rapidement remplie à pleine capacité et les curieux moins ponctuels se sont assis sur l’herbe pour ne rien manquer du concert, où elle a joué pratiquement l’entièreté de son tout nouveau “The Beautiful”, en plus de ses pièces moins récentes, dans une performance particulièrement rock et réjouissante. À découvrir absolument si ce n’est déjà fait.

En rafale, nous avons aussi vu Catherine Leduc présenter son spectacle Un bras de distance avec le soleil à l’Abstracto à un public réjoui, Sarah Toussaint-Léveillé nous démontrer la veille dans le même Abstracto sa virtuosité (la musicienne fait ce qu’elle veut de sa voix et de ses doigts, que ceux-ci reposent sur une guitare ou une contrebasse), Fuudge dans une prestation généreuse en fuzz et en cheveux, Betty Bonifassi et un concert tout en intensité, Le Bleu (duo formé d’Adèle Trottier-Picard et Nicolas Basque de Plants and Animals) dont c’était la première fois qu’on attrapait les mélodies, King Abid qui a fait danser son public, Canailles en plein après-midi pour le concert familial, qui a profité pour dédier la pièce Ramone-moi aux enfants présents, Chocolat qui a fait exploser le Cabaret de la Dernière chance, décidément trop petit pour la demande, et dont le claviériste/saxophoniste Christophe a remporté le prix du outfit le plus audacieux du festival, Mehdi Cayenne qui s’est très bien sorti d’une performance dans un contexte difficile – des gens affamés en situation de réseautage – et Antoine Corriveau, deux fois plutôt qu’une: de soir dans une prestation décapante à deux batteries, et de jour dans une version plus introspective, au Parc botanique à Fleur d’eau.

Nous avons aussi profité de notre passage pour visiter ceux qui animent la vie culturelle de Rouyn-Noranda à l’année longue: L’Écart, qui comme à son habitude, présentait une triple exposition pendant le FME (La Forêt s’en vient de Christian Messier, Je suis désemparée, s.v.p. communiquez avec moi, d’Annie Paulhus Gosselin ainsi qu’Une vitrine, deux feuilles de papier et une roue de Pascale LeBlanc Lavigne), mais également une installation/performance du Rouynorandien Hubert Jacob, un artiste de la relève ayant fabriqué des instruments de musique interactifs influençant des projections vidéo psychédéliques. Nous avons aussi visité la galerie Rock Lamothe, située sur la 8e rue dans Noranda, ouverte depuis le mois de mars, qui en était vendredi à son septième vernissage.

Un dernier mot pour remercier encore une fois l’équipe organisatrice du FME pour une 15e édition aussi réussie, l’équipe stellaire de bénévoles, particulièrement nombreux cette année, à la radio CFME et particulièrement aux Princesses Hot-dogs pour l’invitation.

À l’année prochaine Rouyn-Noranda!

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Crédit photos: Maryse Boyce

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