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Pedro Barbosa d’E-Bola Music

Pedro Barbosa d’E-Bola Music

Qui êtes-vous et quel est votre parcours?

Je vais faire un bref aperçu de ma carrière dans l’industrie de la musique, qui a commencé dans la vente au détail chez HMV. Je faisais partie de l’équipe de gérance du gros magasin qui vient de fermer. C’était le bon temps du CD! 

Après avoir passé 3-4 ans dans la vente au détail, je suis allé en télé. J’ai travaillé pour MusiquePlus et MusiMax à peu près quatre ans aussi. Je m’occupais des DJs, de tous les reportages en différé de l’émission de nouvelles et j’étais producteur de l’équipe aussi sur quelques-unes des émissions. Puis la philosophie de la boîte a changé, et elle a été achetée par une grosse compagnie. Il y a quelque chose de très fondamental qui ne fonctionnait plus pour moi à ce moment-là. 

J’avais d’autres ambitions: travailler dans le disque. J’ai donc été repêché par une boîte qui s’appelait Novem, qui a beaucoup développé des artistes québécois ici et en France. J’ai d’ailleurs été leur dernier directeur artistique. J’ai sorti les disques de Natasha St-Pier et d’Arielle Dombasle pendant que j’y étais. Ensuite, suite à des événements, j’ai fait le saut assez radicalement vers une autre compagnie de disque, Indica. À ce moment-là j’ai comme plafonné dans l’industrie de la musique. 

Comme j’avais besoin d’un changement, j’ai quitté pendant deux ans pour m’occuper de Disney et Fox Searchlight. J’ai bien aimé cette expérience, mais ma passion a toujours été la musique. Je suis donc retourné vers la musique à mon compte depuis quelques années. Ma compagnie s’appelle E-Bola Music. Je suis indépendant et je reste un peu sous les radars. Je développe les artistes vers d’autres labels ou leurs propres labels. Je crois que le seul métier en musique que je n’ai pas touché, c’est la radio.

Étant indépendant, quelle est votre approche avec les artistes?

Mon désir est vraiment d’aider les artistes à comprendre leur industrie, de les encourager à rester autonome, à moins qu’il y ait vraiment un partenaire sérieux qui ne soit pas là pour les exploiter. J’aide les artistes à produire, que ce soit du contenu sonore, visuel, une image de marque. Je ne fais pas tout ça seul non plus. On engage et on monte des équipes avec eux dépendant de leur style, de leurs ambitions et de ce qu’ils ont comme moyen. Je les aide aussi à chercher du financement pour les aider à faire avancer leur carrière. Cela fait six ans que je fais ça. Je travaille avec des artistes de très différents styles. Ça va du speed métal au jazz, world, je touche vraiment à tout. Et puis j’ai des partenaires en publishing, dans le milieu des éditions, ici et ailleurs. Je n’évolue pas uniquement au Québec et dans le Canada, je connais le marché international aussi ce qui me permet de développer les talents dont les albums sont exportables.

Vous me disiez tout au début de notre rencontre que vous avez un avis radical sur l’industrie la musique?

Il y a des aspects de l’industrie qui changent très lentement, et qui ne changeront pas parce qu’il y a des murs à défoncer. Il y a des vérités qui ne se disent pas. Il y a des choses qu’il ne faut pas dire, des secrets. Donc parfois, je dis des choses et je sens que ça énerve certaines personnes. Les raisons pour lesquelles je ne travaille pas chez un label, c’est parce que je suis très proche de l’artiste. Je vois l’industrie pour ce qu’elle est vraiment. Le côté naïf de l’artiste, parfois ça me fait rire et parfois ça me fait pleurer. Mon côté radical c’est que je mets les choses sur la table, je les dis comme elles sont.

Qu’est-ce que vous critiquez dans l’industrie musicale maintenant?

Je pourrais critiquer les modèles de différents pays. Ce qui est bien chez nous, c’est qu’on a des subventions. C’est génial, mais des fois on a l’impression que ce n’est pas pour tout le monde. C’est la politique qui existe dans ces structures qui ferme la porte à des artistes qui le méritent.Parfois c’est difficile d’accepter qu’on nous donne pas l’aide pour cet artiste-là, alors que l’artiste d’à côté, qui n’en a pas besoin, reçoit. C’est cet aspect-là qui me dérange. Et ça on ne peut pas vraiment le dénoncer. Je crois qu’on peut tirer de belles leçons en s’inspirant de la façon de faire ailleurs, de s’adapter un peu, continuer à changer, parce que les subventions c’est génial, mais si tu ne fais que les attendre pour faire de quoi, tu risques d’attendre longtemps.

Comment ressentez-vous la crise de l’industrie musicale, quels en sont les impacts sur vous?

Tout le monde sent les impacts. Je pense qu’il y a trop d’artistes en ce moment. Il y a énormément de talent, mais un pourcentage aussi, excusez-moi mon expression, de «merde». On se retrouve dans une situation où tout le monde peut créer de la musique à la maison et peut tout faire. C’est une réalité, mais c’est aussi un problème parce qu’un réalisateur et d’autres du métier existent pour une raison. La demande est donc plus petite que l’offre. Il y a d’autres facteurs également: le MP3 a officiellement disparu, le CD, ainsi que le vinyle. La valeur de la musique a pris un méchant coup. On dirait que les gens d’un certain âge, surtout les jeunes, ne veulent pas payer pour la musique. Donc il faut trouver d’autres moyens de faire de l’argent. Le streaming ne paye pas assez. .

Mais il y a un côté très positif à tout ça. Je vois des opportunités énormes avec les changements que l’on vit présentement. Ça nous force à penser autrement; les artistes également à s’éduquer au niveau de leur industrie, ce qui a toujours été un énorme problème. Je trouve que le décalage entre les professionnels et les artistes au niveau des connaissances du fonctionnement est énorme. 

Il y a des sociétés, des compagnies qui éduquent leurs artistes, mais l’industrie a été basée sur l’exploitation de l’artiste. Je ne devrais peut-être pas dire ça, je vais me faire taper sur les doigts, mais c’est la réalité. Donc ma philosophie et d’essayer de faire en sorte que l’artiste soit impliqué dans sa carrière, que les décisions viennent d’une équipe et pas seulement d’un gérant. On voit souvent le gérant comme un sauveur. C’est pour ça d’ailleurs que je ne fais presque plus de gérance, dans le fond c’est du baby-sitting. Moi je travaille avec l’artiste. 

Quelles solutions souhaiteriez-vous apporter à cette crise?

Le modèle a complètement changé, je crois que beaucoup d’intervenants de différents secteurs de l’industrie s’adaptent, c’est-à-dire que les distributeurs s’adaptent, les maisons de disque s’adaptent aussi. Les maisons de disques avec des revenus beaucoup plus bas ne peuvent pas se permettent de faire tout le travail non plus. Je crois qu’il va y avoir de plus en plus de collaboration. Je crois que c’est ça la clé. Je pense que les ententes du futur vont être plus basées sur le partage et la collaboration entre artistes et intervenants de l’industrie.

Qu’est-ce que vous cherchez à un événement comme les Rendez-vous des Pros des Francos?

J’assiste à beaucoup de conférences et d’événements, que ce soit ici ou en France et en Angleterre. Pour moi, ces rencontres sont géniales parce que ça permet de renouer avec nos partenaires. On n’est pas forcément là juste pour discuter de projets, c’est un moment où on se rencontre, on se parle de tout, de projets communs, des différences entre l’industrie de l’Europe et ailleurs. On ne voit jamais assez les gens. On a tendance à communiquer par email ou texto. Mais pour moi ça ne remplacera jamais le contact humain.

Comment est-ce que vous voyez l’avenir de l’industrie musicale?

Je crois que le Québec reste le territoire le plus diversifié musicalement. On fait de tout et c’est génial. On trouve de tous les styles, toutes les couleurs. J’aimerais vraiment continuer à contribuer au rayonnement des artistes ici. Je souhaite qu’on devienne plus proactifs, je veux aller de l’avant et sortir des artistes du Canada, du Québec et les amener ailleurs. C’est plus facile qu’on le pense.Il faut créer de plus en plus de ces opportunités-là : rassembler les gens musicalement.

Je crois que ce qui est intéressant, c’est que les frontières musicales ont été brisées. Aujourd’hui on est capable de se promener dans tout l’univers musical et de tout apprécier. Ce que je souhaite le plus c’est que la musique regagne sa valeur. À plusieurs reprises dans les dernières années j’ai dû réfléchir à tout ça et me dire, est-ce que je continue à faire ce métier-là ou est-ce que je fais autre chose? En parlant à des musiciens, des réalisateurs, on s’est posé ces questions. L’opportunité pour ceux qui veulent vraiment rester, c’est de créer quelque chose de différent pour que la valeur revienne et l’industrie continue à évoluer. 

NDLR: Les propos de cette entrevue ont été condensés.

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