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Galerie Galerie met de l’avant une féminité renouvelée avec sa nouvelle expo Silicon Vallée

Galerie Galerie met de l’avant une féminité renouvelée avec sa nouvelle expo Silicon Vallée

Rendre l’art numérique accessible, plus particulièrement les pratiques hors normes, tel est le coeur de la mission de Galerie Galerie. Cela se traduit d’abord par son espace, transposition d’une vraie galerie avec un bureau, des pièces qui accueillent chacune une oeuvre, une salle de bain (qui vaut le détour avec son squelette dansant et sa bouteille de boy tears), et un(e) stagiaire non-rémunéré(e) non-genré(e) qui répond aux clics des visiteurs avec de l’information pertinente. Un clin d’oeil aux très nombreux postes de stagiaires dans le milieu des arts visuels, un secteur où les femmes occupent par ailleurs une majorité des emplois administratifs.

Pour Sophie Latouche, qui est à l’origine du design que Gabrielle Bernatchez a codé et intégré, il était primordial que la navigation puisse se faire de façon intuitive: «Je voulais que les gens se disent: on rentre dans un espace. Donc tu rentres, tu vas à gauche, tu vas à droite, y a des portes.» «C’est comme des clichés des deux côtés en fait, renchérit Marie-Charlotte Castonguay-Harvey. Des clichés des galeries telles qu’on les connait: avec les murs blancs, les planchers de béton et les Macs. Avec des trucs super clichés du web, genre les filles chevalières vraiment sexy!» Une façon de reprendre le pouvoir sur les stéréotypes véhiculés sur le web pour se les réapproprier.

Pour la présente exposition Silicon Vallée, qui sera en ligne jusqu’au 18 décembre, les fondatrices ont eu envie de questionner l’hétéronormativité et la mainmise du sexe masculin dans le domaine de la technologie, où les femmes représentent pourtant environ la moitié des utilisateurs.

«Pour cette édition-là, l’approche qu’on a prise, c’est qu’on voulait des artistes qui allaient avoir des pratiques qui vont vraiment reprendre des trucs de la féminité, ou qui vont vraiment faire soit du code, du web ou du gif à leur manière, et aller chercher des éléments plus kitschs», résume Sophie Latouche, elle-même artiste en art numérique.

«C’était pour faire référence aux grands centres comme Silicon Valley [dans la région de San Francisco], mais aussi Silicon Docks à Dublin, qui sont tous les deux les centres de tech[nologie], et ces centres de tech-là sont très connus pour [leur] manque de diversité», déplore Sophie Latouche.

Gros mandat, qui aurait facilement pu tomber dans la lourdeur. Les fondatrices ont plutôt opté pour le contraste entre le sérieux de leur réflexion et l’aspect éclectique et coloré des oeuvres choisies. L’exposition met ainsi de l’avant des réalisations jouant avec les codes, questionnant et se réappropriant la féminité avec énormément de ludisme et d’autodérision. 

On peut ainsi vivre un déconcertant parcours de magasinage sur la Plaza St-Hubert, avec tous les clichés que cela comporte, programmé par Marie Darsigny, que l’on connait davantage pour ses écrits et dont on découvre ici un autre aspect de sa pratique. 

Jess Mac crée des explosions de couleurs et d’éléments tous plus mignons les uns que les autres détournés de leur sens dans de multiples déclinaisons d’utérus animés en gifs, alors qu’Émilie Gervais, artiste du code, épaulée de Laure Bardou à la création sonore, détourne le symbole du coeur pour composer des têtes de mort animées. «C’est vraiment une esthétique qui va chercher le cute ou le féminin, commente Sophie Latouche, mais qui se le réapproprie pour dire autre chose.»

En plus de ces oeuvres déstabilisantes, l’équipe de Galerie Galerie souhaite pousser plus loin la réflexion entourant le thème. Par le biais de son infolettre, l’équipe invitera d’autres artistes ou écrivaines afin «d’enrichir la réflexion déjà entamée». Les abonnés ont déjà eu droit à un texte de la poète et libraire Daphné B., qui se penchait sur la culture de la “sad girl”, et d’autres envois sont prévus afin de pouvoir revoir l’expo d’un regard neuf.

Si c’est l’aspect féministe qui a surtout été abordé jusqu’à maintenant, la prévalence du sexisme sur le web rendant le tout nécessaire, les fondatrices n’oublient pas les problématiques liées au racisme et à l’orientation sexuelle, et espèrent approfondir le débat dans un avenir rapproché, notamment via l’infolettre.

Le vernissage de Silicon Vallée était le premier entièrement numérique pour Galerie Galerie: le premier, pour l’exposition C LA VIE ¯\_(ツ)_/¯, avait eu lieu dans un espace physique et avait donné lieu à un double défi, celui de transposer les oeuvres numériques dans un contexte tangible.

Les trois femmes ont ainsi créé un événement à leur image, prenant une distance par rapport aux autres vernissages en ligne auxquels elles avaient déjà pris part, qui les avaient laissées ambivalentes: «Tu sais pas t’es où, tu sais pas comment ça fonctionne, raconte Sophie Latouche à propos de ses expériences précédentes, alors on veut le rendre assez user friendly. C’est très nostalgique aussi, on est allées chercher des esthétiques de chat qui sont vraiment caramail, hotmail.» Tout ça dans un but précis: ne pas se prendre au sérieux et rejoindre un maximum de gens: «On ne veut pas que le vernissage en ligne soit plate.» L’objectif a été atteint, on le confirme: il ne l’était pas.

Ainsi, Sophie Latouche, Marie-Charlotte Castonguay-Harvey et Gabrielle Bernatchez ont mis le paquet. Sur trame sonore de la chanson Toxic de Britney Spears, on pouvait trouver, en plus des trois oeuvres disposées en autant de pièces, un “chat roume”, virant le plus souvent à l’absurde avec des participations de “Philippe Couillard”, “Britney Spears”, “Gerry Boulet” et une patate douce. Ne manquaient plus qu’un éclairage tamisé et des ballons pixélisés, une esthétique festive tout droit sortie du meilleur (et du pire) du début des années 2000 et un “party room”, soit une pièce photomathon où apparaissaient tous ceux et celles qui publiaient sur instagram avec le hashag #Galeriegalerie, pour compléter le portrait.

Que ce soit pour ses vernissages, pour les artistes qu’elle choisit de présenter ou pour des événements non-planifiés (notamment la performance des «bums de l’art» Enfants de chienne, qui ont non seulement visité leur premier vernissage physique mais également pris possession de la galerie virtuelle quelques jours en septembre durant l’expo C LA VIE ¯\_(ツ)_/¯), Galerie Galerie jouit d’un terrain de jeu dont les limites sont sans cesse repoussées. «Tout est un peu nouveau, tout est à inventer», confirme Sophie Latouche. «Pour l’événement du vernissage, on s’y [est] lanc[ées] d’une manière qu’on sait qui va fonctionner, qu’on sait qu’on est capables de faire, mais peut-être qu’après l’avoir fait on va se dire: on pourrait faire ça la prochaine fois et amener ça…»

Exploration et originalité riment toutefois avec difficultés de cadrer dans les cases de financement existantes. «On a décidé d’aller au bout de l’idée et de ne pas essayer de la transformer ou de trop l’adapter», déclare Sophie Latouche. Pour l’instant, les fondatrices évaluent l’idée de s’enregistrer comme OBNL [organisme à but non-lucratif], option pour laquelle le premier vernissage leur a permis d’amasser les fonds nécessaires au dépôt de la demande.

L’hiver sera donc consacré à évaluer les options, à préparer les prochaines expositions, et à tisser une communauté qui dépasse Montréal, notamment dans la région de Québec, où vit Gabrielle Bernatchez, et le Saguenay-Lac-Saint-Jean, où le terreau de création numérique est fertile. Les expos de Galerie Galerie peuvent être consultées de n’importe où, à n’importe quelle heure, par n’importe qui: aussi bien élargir le public le plus possible.

Comme le constate Marie-Charlotte Castonguay-Harvey, «c’est un peu absurde avec tout ce qui se fait sur le web et avec tout le temps qu’on passe sur le web qu’il n’y ait pas autant de plateformes de diffusion en ligne.» Les trois cofondatrices s’appliqueront donc à prouver, une expo à la fois, que Galerie Galerie a sa raison d’être. 

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