Vous avez vu son travail un peu partout dans la ville, que ce soit avec l’affiche bleu franc de Papier 16, la signalétique des bibliothèques Marc-Favreau dans Rosemont, Saul-Bellow à Lachine ou encore celle de la Cinémathèque québécoise, flambant neuve, qui se déploie au fil des semaines. Et c’est sans compter les couvertures de livre, qui sont de plus en plus nombreuses à porter sa griffe.
À écouter Jolin Masson parler de sa feuille de route variée, un constat s’impose: le designer adore collaborer et son parcours est forgé par des rencontres marquantes, des collègues inspirants et par un amour du design qui se traduit par un souci du travail bien fait.
Gradué d’une technique en design du collège Ahuntsic et d’un bacc en design graphique à l’UQÀM en 2011, Jolin Masson est travailleur autonome et heureux de l’être. « T’as la chance de travailler avec plein de gens, et ça c’est quelque chose que j’adore. » Que ce soit avec Audrey Wells et Marc Larivière de Supersymétrie, de Catherine D’Amours de Nouvelle Administration, de Mathieu Cournoyer de Bureau Principal, de Patrick Bisson de Studio Multiple, ou encore de ses débuts avec l’Atelier Louis-Charles Lasnier, toutes ces collaborations lui permettent d’amener les projets plus loin et de défricher toujours un peu plus les terrains de jeu que sont l’édition, la signalétique ou le design d’environnement.
Un autre aspect du travail de pigiste que Jolin Masson apprécie: la responsabilité. « Je pense que t’es plus investi dans les projets: si jamais il y a quelque chose qui merde ou quoi que ce soit, c’est toi qui est redevable directement; t’as pas une compagnie en haut de toi pour te backer. »
L’un des mandats marquants du designer est sans contredit le visuel de la foire Papier, qui avait lieu la fin de semaine dernière. L’affiche de Papier 16, avec ses deux feuilles parallèles se dressant fièrement l’une derrière l’autre sur fond bleu, marquait la fin d’une trilogie aux couleurs primaires.
« Papier 14 était très dans les courbes, dans les pliages pour Papier 15. Pour Papier 16, la foire [avait] la volonté aussi d’explorer un peu plus ce qui est sculptural, donc on savait qu’on voulait aller chercher une tridimensionnalité. », résume le designer.
Plusieurs défis entrent en jeu dans la création de l’identité graphique de la foire Papier, mandat dont Masson assure l’entière responsabilité depuis 2014 et sur lequel il prêtait auparavant main forte à Louis-Charles Lasnier depuis 2012. « C’est une quarantaine de galeries qui exposent à chaque fois, donc c’est un peu touché d’aller mettre une oeuvre en particulier ou d’aller illustrer quelque chose sur la feuille », expose-t-il.
La signature visuelle de Papier a bénéficié d’une belle reconnaissance du milieu: un prix Grafika en 2015 pour Papier 14, et un Prix Type Directors Club TDC62 pour Papier 15.
La prochaine édition de la foire marquera le dixième anniversaire de Papier, en plus de tomber pile sur les célébrations du 375e anniversaire de Montréal. « On a déjà la réflexion qui est entamée de manière préliminaire pour Papier 17. On sait qu’on a envie de faire quelque chose de cool, quelque chose qui fesse. À suivre. »
Autre pan de sa pratique en design, Jolin Masson fait tranquillement sa marque dans le monde de l’édition québécoise. Il collabore régulièrement avec les maisons d’édition Cheval d’août, Écosociété pour sa collection régulière et Lux avec sa collection Lettres libres. « Je pense qu’il y a de plus en plus de maisons d’édition qui réalisent que oui, le design graphique peut avoir un côté décoratif, mais qu’en même temps, de bien faire les choses, c’est pas nécessairement plus compliqué ou plus dispendieux, mais ça peut avoir un impact dans leur reconnaissance. »
En témoigne la jeune maison d’édition Cheval d’août, qui a misé sur une identité graphique singulière et accrocheuse dont la grille a été conçue par Xavier Coulombe-Murray au design et Daniel Canty à la direction artistique. « C’est une grille qui est superbe, des choix typographiques vraiment vraiment biens. », commente Jolin Masson, heureux de collaborer avec l’éditrice Geneviève Thibault, « qui a une belle sensibilité et qui fait confiance aux gens avec qui elle travaille ».
La collection Lettres libres de Lux, dont les couvertures imprimées sur du papier kraft et qui recourent à une répétition d’un motif inspiré du contenu du livre, ne donne pas sa place non plus sur les présentoirs. C’est en travaillant avec Catherine D’Amours de Nouvelle Administration (dont on vous parlait ici) que le designer amorçait sa relation avec la maison d’édition, qui se poursuit toujours. Même chose pour Écosociété, dont la grille graphique a été conçue par Catherine D’Amours: « C’est une grille qui est très dans le blanc, mais qui permet d’accommoder plein de styles d’illustration et elle a été développée pour ça. », résume Masson, qui a par ailleurs hérité du mandat. Il travaille chacun des concepts avec différents illustrateurs et l’équipe d’Écosociété. « C’est un bonbon à faire à chaque couverture. »
« C’est pas vrai que tous les designers graphiques peuvent faire du livre, affirme le designer qui se décrit par ailleurs comme un avide lecteur. Alors je me trouve incroyablement chanceux. »
Pour Masson, la sensibilité à la tridimensionnalité développée ces dernières années est essentielle à son travail: « Souvent, les designers on a tendance à tout voir en aplat, parce que le papier est en aplat, l’écran est en aplat. Mais quand tu construis des emballages ou des livres, il faut une certaine sensibilité pour comprendre comment ça se déploie. » Parce qu’une quatrième de couverture fait partie d’un tout plus grand, le livre, et que les indications créées en signalétique s’insèrent dans un milieu qui n’est pas neutre. « Oui, c’est ton projet, mais il vit dans l’espace, il est vu par des gens dans l’espace: l’espace est habité, c’est pas non plus une chambre blanche ou un rendu SketchUp. »
Si son entrée dans ce monde en soi qu’est la signalétique s’est faite un peu par hasard, grâce au contact de Louis-Charles Lasnier et de son équipe qui en faisaient déjà, le designer multiplie ses contributions dans des projets marquants. Il a ainsi contribué à celles des bibliothèques Marc-Favreau et Saul-Bellow, projets pilotés par Studio Multiple. Ces dernières semaines, il assiste sur le plan de la signalétique le studio Bureau principal, qui est aussi en charge de refaire l’identité et l’image de marque de la Cinémathèque québécoise, sur laquelle souffle un vent de renouveau. « C’est un mandat qui est super plaisant à faire; en même temps c’est un lieu de diffusion qui est incroyable, que tout le monde aime. »
« Quand tu fais de quoi en signalétique, ou quand tu fais n’importe quoi en design, t’as toujours envie de faire des trucs qui sont remarqués, qui sont très bold, qui sont colorés. Sauf que parfois, c’est pas le ton à avoir. » L’humilité et la vision d’ensemble du projet doivent parfois primer, comme pour les deux projets de bibliothèque, où l’architecture tient une place prépondérante. « Ce qu’il faut, c’est de rester sobre et de laisser la place à l’architecture. Par contre, si quelqu’un cherche la signalétique, il faut qu’il la trouve tout de suite. »
Le designer empathique
Lorsqu’on lui demande quelle qualité est nécessaire à tout bon designer, Jolin Masson n’hésite pas: « Empathie, écoute, communication: tout ce qui fait une bonne relation de couple, que ce soit avec des clients ou d’autres personnes dans d’autres sphères de ta vie. » L’empathie est selon lui particulièrement importante: « Il y a beaucoup de designers graphiques qui vivent dans un monde qui ne contient que du design graphique, on est dans nos petites bulles. Et des fois, on ne réalise pas que les clients ne parlent pas le même langage que [nous], n’ont pas la même sensibilité que [nous]. » Plutôt que de s’en offusquer ou d’en rire, la solution constructive est de trouver un terrain d’entente pour se comprendre. « Ça demande du temps, ça demande de l’énergie de concevoir un argumentaire que tu présentes à ton client, affirme-t-il, mais c’est essentiel pour que ton client comprenne ces choix-là. »