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Les Singulières: beauté au pluriel

Les Singulières: beauté au pluriel

On l’a vu récemment dans les médias avec les sorties controversées des ministres Thériault et Vallée, puis celle de Marie-France Bazzo: le féminisme, en 2016, ne fait pas l’unanimité. Pourtant, force est de constater que la représentation des femmes dans toute sa diversité est encore loin. C’est dans ce contexte que s’insère le projet Les Singulières.

Composé de portraits photo et d’entrevues, le projet met en lumière le point de vue de femmes d’origines diverses sur les questions de l’acceptation, de la beauté, de la diversité, de la validation et de l’identité, porté par trois femmes dans la trentaine issues du milieu culturel.

Tout commence avec Janick Sabourin, maquilleuse de profession, qui nourrit l’idée d’un projet sur la diversité et qui sollicite la photographe Julie Artacho, dont c’est le cheval de bataille des dernières années, notamment avec ses collaborations avec This is better than Porn et Nous sommes les filles. Parce qu’elles veulent donner la parole aux femmes sous forme de texte, elles font appel à Catherine Éthier, animatrice à Code F à Vrak tv, chroniqueuse pour Métro et anciennement pour Urbania, pour compléter le trio qui s’investit depuis corps et âme dans cette aventure inspirante et valorisante.

« J’avais cette fois envie de me glisser le pied dans un projet féministe en toutes lettres et en torse bombé, de prendre la parole, mais surtout de la donner à des femmes qui, chaque jour (comme nous toutes) vivent le regard, l’insécurité, l’injustice et la pression de ceux et celles qui estiment qu’elles ne correspondent pas aux standards de beauté, expose Catherine Éthier. Qui y correspond, pour l’amour du saint-ciel? »

Selon Janick Sabourin, la démarche des Singulières se révèle un exutoire, non seulement pour les participantes mais pour les instigatrices: « Comme on se reconnait dans [le] discours [des interviewées], c’est libérateur, même si ce n’est pas moi qui est en train de répondre à ces questions-là et qui se met en situation de vulnérabilité. »

« Je me rends compte que c’est comme ça que j’évolue, en entendant les autres parler et en me questionnant. Je pense que t’as des gens pour qui de lire sur des filles qui parlent de leur apparence, ça aide aussi », affirme Julie Artacho. « C’est pas parce qu’on est différentes physiquement qu’on se rejoint pas sur plein d’affaires. » Les entrevues lui permettent de constater la pluralité des démarches: « On est vraiment pas rendues au même chemin, mais tout le monde veut vraiment aller vers le même point. Dans des chars différents. À des vitesses différentes. »

L’un des objectifs principaux des Singulières est d’exposer la diversité. Les trois femmes souhaitent donc « ratisser large: dans tous les domaines professionnels, dans toutes les sphères socio-économiques, dans toutes les sphères culturelles aussi. » De tous les formats de corps, de toutes les origines aussi. Une préoccupation qui trouve écho dans l’actualité: « Du côté de la diversité, la simple polémique du Black Face dans le magazine Véro a récemment démontré toute l’éducation et le travail qu’il y a à faire. Tout le monde n’a pas droit aux mêmes opportunités et quand c’est le cas, on te vent ça comme un privilège crémé de pitié », se désole Catherine Éthier.

Pour rendre justice aux femmes qui partagent leur point de vue avec Les Singulières, le mot d’ordre est donc fidélité. D’abord dans la « mise en beauté » par Janick Sabourin, qui a beaucoup réfléchi sur la signification de cette expression qui dépasse pour elle l’apparence, et où les participantes ont le dernier mot. « La femme se dévoile telle qu’elle est selon ses propres critères. Dans le fond, elle n’a pas le choix de se sentir belle, parce que c’est elle qui définit sa propre beauté à elle. » 

Ces considérations ont également teinté le travail photographique de Julie Artacho et sa façon de diriger ses modèles. « Je veux pas trop diriger, parce que je ne veux pas trop placer les gens », expose-t-elle, habituée de travailler pour des magazines féminins. « Je veux juste qu’[elles] soient comme [elles] sont. D’enlever l’esprit amincir et « à l’avantage». À l’avantage de quoi? C’est toujours avoir l’air plus mince. »

Pour Catherine Éthier, qui doit résumer les propos de femmes qui se dévoilent (parfois pendant 4 heures!) dans leurs forces, leurs questionnements et leurs aspirations, le défi est d’« être à leur hauteur ». « J’aspire à mettre en mots tout ce qu’on ressent en studio; mon plus grand défi est de ne pas sombrer dans le geignard, la victimisation et la colère. Parce que je le suis en beau tabarli, avec tout ce que j’entends! Les femmes qu’on rencontre ne se dépeignent pas en victimes. Elles sont fortes, inspirantes et touchantes. » Les trois fondatrices mentionnent être émues et habitées par les entrevues une fois de retour chez elles. « On sort toujours des shootings ébranlées. »

Sont pour l’instant passées au studio l’indestructible Tanya Saint-Jean, l’illustratrice Gabrielle Laïla Tittley, la chanteuse et musicienne Safia Nolin, la collaboratrice à TPL Myriam Pageau-Harpin, la chanteuse Laurence Nerbonne, la musicienne et comédienne Ines Talbi, l’activiste Cathy Wong et la réalisatrice multimédia Valéria Petit, et la démarche est loin d’être terminée. Les portraits devraient être dévoilés à raison d’un par semaine, sur les médias sociaux d’abord, puis sur le blogue avec l’entrevue. « On n’a pas de deadline, on n’est pas payées pour faire ça, on le fait vraiment de bonne foi et parce qu’on y croit » résume Janick Sabourin.

« J’ai envie de changer les cassettes, souhaite Catherine Éthier. De présenter le vrai. La beauté dans toutes ses peaux, dans toutes ses âmes. J’espère inspirer, conforter, émouvoir, scandaliser et susciter risette, si possible, aussi. » Elle se dit touchée par la générosité des témoignages: « Je ne les connais pas, et elles m’ouvrent grande la porte du grenier, malgré les moutons de poussière. Je me sens privilégiée. Chaque fois, on m’invite à mettre mes bottes dans le bain. J’ai entendu des histoires terribles et d’autres, plus heureuses, mais racontées avec une telle résilience. »

Pour Janick Sabourin, la portée idéale du projet « serait que socialement, il y ait un vrai questionnement. Que le mot beauté ne soit pas juste associé au physique. » Pour elle, « tout le monde a quelque chose de beau. Tout le monde a quelque chose de touchant, ça [ne] passe pas par ce qu’on voit. » Julie Artacho est d’avis que la pression sociale n’apporte rien de positif aux gens qui la subissent. Elle souhaite que cesse la comparaison avec les autres. « On a besoin d’être autre chose qu’un esti de corps, ajoute Julie Artacho. On est tellement plus que ça. »

À ceux (et celles) qui seraient tentés de dire que le projet exclut les hommes, Julie Artacho spécifie: « C’est pas un projet de filles pour les filles, c’est un projet de filles pour les êtres humains. […] C’est important que tout le monde soit conscientisé à comment on est plus qu’un corps et qu’on ne devrait pas valider l’autre selon ce qu’il a l’air. »

Les Singulières s’appliqueront à donner la parole aux femmes pour creuser sous la façade et construire le dialogue. « J’ai envie que ceux et celles qui se font d’ordinaire timide, le temps venu de prendre la parole, se donnent le droit de parler, raconte Éthier. De lever le poing. D’être solidaires, même si toutes les têtes se tournent vers eux. J’espère que notre projet leur donnera ce courage. »

Crédit photos: Julie Artacho


Les Singulières
un projet photos et entrevues de Janick Sabourin, Julie Artacho et Catherine Éthier
site web | facebook

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