Par Roxanne Bélair
« Parce que c’est une évidence! » s’exclame en riant Ji Won Jeong, quand on lui demande pourquoi produire un film le plus écoresponsable possible. Adjointe de production pour le tournage de Falcon Lake, produit par Metafilms et réalisé par Charlotte Le Bon, Ji Won s’est appropriée le programme de On tourne Vert et s’est assurée qu’il soit respecté par l’équipe de tournage. Les outils proposés par ce programme ont été si bien suivis par l’équipe, que la production a reçu la plus haute accréditation de On tourne vert. Zoom sur une initiative qui se répand lentement et qui pourrait bien devenir une norme.
« Les tournages, on va se le dire, c’est hyper polluant! » affirme Ji Won. En effet, on estime qu’un long métrage produit environ 1 000 tonnes de CO2, « l’équivalent de 10 000 allers-retours Montréal-Toronto ou de la consommation annuelle en CO2 de 100 Québécois » affirme Valérie Daigneault, directrice de la grappe audiovisuelle au Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ).
Initié par le Conseil québécois des événements écoresponsables (CQEER), le BCTQ et Québécor, le programme On tourne vert est officiellement né le 30 avril 2021, « mais on y travaille en concertation depuis 2017, souligne Valérie. On a été freiné par la pandémie mais depuis son lancement, plus de 20 productions québécoises ont reçu une de nos accréditations » explique Valérie.
Comment ces productions ont-elles fait pour obtenir une accréditation? « Nous avons mis en place trois niveaux : ENGAGEMENT, PERFORMANCE et EXCELLENCE » explique Caroline Voyer, présidente-directrice générale du CQEER. Dans chacun d’eux, des actions choisies par la production parmi une liste pré-établie doivent être accomplies. Pour les niveaux deux et trois, il faut obtenir un certain nombre de points; chaque action permettant d’en accumuler. Également, des preuves doivent être fournies ainsi qu’un audit documentaire. Finalement, pour le niveau trois, une visite sur le plateau d’une personne de On tourne vert est prévue. »
Le tout peut sembler exigeant, mais comme le souligne Ji Won, « la plupart des gestes que l’on peut faire sont d’une simplicité désarmante ! Et la visite de On tourne vert sur notre plateau nous a aidés à mettre en place nos mesures écologiques et à nous ajuster. Ce n’est pas du tout une police, au contraire. » Caroline Voyer va dans le même sens : « Bien sûr qu’on aurait pu avoir des exigences plus élevées, mais notre but n’est pas de faire peur. À l’inverse, on souhaite que sous peu les gens soient tellement éco-conditionnés, que ça devienne presque gênant de ne pas tourner vert! Notre programme veut aider les productions à être plus vertes et on les accompagne dans ce virage, notamment en fournissant deux guides de ‘’bonnes pratiques’’. Un en contexte normal de production, et l’autre en contexte de pandémie. »
Évidemment, le milieu du cinéma et de la télévision étant ce qu’il est, les questions de temps et d’argent se posent quand on s’apprête à modifier certains comportements sur un plateau de tournage. Tourner de façon écologique demande-t-il plus de temps?
« Je dirais que là où ça demande plus de temps, c’est dans la préparation » affirme Ji Won. L’équipe de régie doit bien préparer les installations qui faciliteront la mise en place des gestes écologiques. Un technicien qui va vite fumer une cigarette n’a ni l’habitude ni le temps de chercher une boîte à mégots. S’il ne la voit pas, la cigarette ira à terre. » Ji Won ajoute que ce qui prend du temps, c’est qu’on doive s’arrêter dans nos actions et se demander ce qui est le mieux à faire : de mettre ce contenant dans une poubelle ou dans le recyclage, par exemple. Ainsi, idéalement il y a une personne sur le plateau qui peut répondre à ce genre de question. C’est une question d’éducation, mais il suffit d’apprendre une fois le bon geste à faire et, doucement on change nos habitudes et ça prend moins de temps. »
De toute façon, On tourne vert ne demande pas au gens d’être parfaits. « La question n’est pas juste de savoir si tu fais tel geste ou pas, mais à quel point tu le fais. Si tu le fais de temps en temps, c’est déjà ça. Si tu le fais tout le temps, c’est encore mieux !» soutient Ji Won.
En ce qui concerne la question de l’argent, Caroline Voyer affirme que ça ne coûte pas plus cher. Au Québec, comme l’initiative est encore nouvelle, il n’y a pas de données, mais celles qui viennent de la Colombie-Britannique montrent que des économies sont réalisées. En effet, comme l’explique Caroline, il y a plein de petits gestes écologiques qu’on peut mettre en place et qui font économiser de l’argent. Des exemples?
« Dernièrement, j’ai recommandé à une production qui voulait acheter des verres récupérables, de plutôt encourager les gens sur le plateau à apporter leur propre tasse. Ça semble anodin mais ça fait une différence énorme au niveau budgétaire et, évidemment pour la planète puisque, ultimement, le bon geste à poser est celui qui réduit la consommation à la source, donc forcément c’est moins d’argent dépensé! » De plus, pour aider les productions à sauver du temps et donc de l’argent, On tourne vert propose une liste de fournisseurs écoresponsables.
D’autres trucs pour économiser tout en étant vert? « Une boîte de récupération pour les masques de procédure est une dépense, mais si on achète nos masques de la compagnie qui fabrique ces boîtes, celles-ci sont gratuites » affirme Caroline. « Ou encore, cesser d’offrir de la viande rouge au repas peut réduire considérablement la facture d’une production et est un bénéfice majeure pour l’environnement. » De son côté, Ji Won explique que lors du tournage de Falcon Lake, la marche au ralenti des véhicules était interdite. « Ça a demandé aux chauffeurs de s’adapter, mais ça a fait une différence sur l’argent dépensé pour l’essence. »
Justement, le changement dans les habitudes que nécessite un tournage vert entraîne-t-il une certaine réticence dans les équipes de tournage? « Au début du tournage, j’ai fait signer une sorte de contrat à tous les techniciens dans lequel ils s’engageaient à respecter les gestes écologiques qui leur incombaient, et ça s’est bien passé » explique Ji Won. « Je pense qu’il peut y avoir une certaine opposition quand on approche les gens avec une attitude disciplinaire ou de reproche, mais si on les informe de l’impact positif de leurs gestes, et si on éduque plutôt que de punir, alors ils s’impliquent. »
Le programme On tourne vert a d’ailleurs été élaboré justement dans une perspective de mobilisation de toutes les équipes de tournage. « On tourne vert a ceci de particulier qu’il propose une approche globale qui implique toutes les sphères de la production » explique Caroline. En Colombie-Britannique, en Ontario ou au Manitoba, les productions travaillent principalement avec un outil de calcul carbone. Notre programme à nous permet à chaque personne impliquée dans un tournage d’avoir un impact environnemental positif. Ça, c’est mobilisateur!»
Au Québec, l’outil de calcul carbone, prénommé Albert, en référence à l’organisme qui l’a élaboré au Royaume-Uni, est disponible depuis quelques temps et est pour l’instant peu utilisé par les producteurs, « peut-être parce qu’il n’y a pas d’incitatif » explique Caroline. Pourtant, cet outil de mesure de l’empreinte carbone d’une production est reconnu, gratuit, facile à utiliser et adapté au secteur! Albert offre même un plan de réduction de l’empreinte carbone et On tourne vert propose souvent des formations pour l’utiliser. Il n’y a vraiment aucune excuse pour ne pas employer Albert! »
Métafilms prévoit d’ailleurs d’utiliser cet outil lors de son prochain long métrage. « Métafilms souhaite tout mettre en œuvre pour être en cohésion avec son temps, c’est-à-dire pour que ses productions aient le moins d’impact environnemental possible » soutient Ji Won. « C’est clair que ça demande une adaptation, un changement dans les habitudes, mais notre secteur d’activité pollue et il faut l’admettre. Surtout se demander comment faire pour réduire et compenser. » Et quand des outils d’accompagnements tels que ceux de On tourne vert sont disponibles, il n’y a aucune raison pour que tourner vert ne soit pas, comme l’affirme Ji Won, une évidence.
