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De l’art depuis toujours : rencontre avec Félix Girard, artiste peintre et illustrateur

De l’art depuis toujours : rencontre avec Félix Girard, artiste peintre et illustrateur

L’illustrateur et artiste peintre Félix Girard, dont les œuvres visuelles se retrouvent un peu partout et dernièrement sur les canettes de bière de La Souche, est un passionné des arts depuis la tendre enfance. C’est avec générosité que l’artiste s’est confié à nous sur son parcours professionnel, ses inspirations, son secteur d’activité, mais aussi sur un événement personnel qui l’a incité à se lancer à bras ouverts dans le métier.

Qui êtes-vous, quel est votre médium de prédilection et pourquoi?

Je m’appelle Félix Girard, je suis un illustrateur et artiste peintre basé à Québec et je fais de l’illustration de manière professionnelle depuis bientôt 10 ans. Je suis surtout connu pour les étiquettes de la brasserie La Souche (plus de soixante réalisées à ce jour), pour les livres jeunesses que j’ai illustrés (une quinzaine), pour mes illustrations auprès de différents clients (Fred Pellerin, Parc Canada, Ministère de l’Éducation, etc.) et pour mes peintures personnelles que je vends en ligne et dans des évènements d’art depuis plusieurs années (sur felixgirard.com).

Je travaille surtout à la peinture acrylique de manière traditionnelle, mais je fais de plus en plus intervenir des procédés numériques (Cintiq, Ipad) à certaines étapes de mes illustrations. J’apprécie la facilité d’exécution et la versatilité du numérique pour les étapes d’esquisse et de composition, mais je préfère définitivement la peinture pour le rendu final.

Félix Girard, artiste peintre et illustrateur
«Sentiers de papier». Crédit: Félix Girard.

Quelles ont été vos influences artistiques à vos débuts et quelles sont celles d’aujourd’hui?

La maison familiale où j’ai grandi était remplie d’œuvres d’art de toutes sortes puisque mes parents sont tous deux des artistes peintres; il y avait évidemment plusieurs de leurs peintures respectives sur les murs mais également des sculptures, des dessins et d’autres œuvres d’art échangées au fil des années à différents artistes. J’ai donc grandi dans un milieu très stimulant à cet égard. Je me suis intéressé au dessin très tôt (dès la petite enfance) et je me suis mis à lire beaucoup de bandes dessinées de toutes sortes que je m’amusais à recopier.

Plus tard, je me suis intéressé aux encyclopédies de l’art qui trainaient dans la maison et j’ai découvert des artistes comme Dürer, Brughel, Dali et Vermeer. J’ai eu la chance par la suite de voir des œuvres réelles de tous ces peintres dans les musées européens et j’ai passé beaucoup de temps à étudier leur manière de faire. Mis à part les quelques cours de dessin que me donnait mon père (professeur privé de dessin et de peinture), je n’ai jamais eu de formation artistique à proprement parler. Je pense que mon style vient surtout des différentes influences que j’ai assimilées au fil des ans.

Comment organisez-vous votre horaire? Comment planifiez-vous le temps de cerveau disponible à la création et celui accordé à la gestion plus technique de votre entreprise?

Depuis que j’ai des enfants (6 et 3 ans aujourd’hui), je dois avoir un horaire de travail assez strict qui correspond plus ou moins à du 8h à 17h. Évidemment, il y a parfois des évènements ou des situations qui font déborder mon temps de travail, mais j’essaye de m’en tenir le plus possible à cet horaire pour faciliter la vie familiale.

Il m’a fallu un certain temps d’adaptation, mais avec les années mon cerveau semble entrainé à être créatif selon cet horaire et je trouve que ça fonctionne très bien. Pour ce qui est de la partie plus technique (comptabilité, site web, etc) je me garde généralement une journée ou deux dans la semaine pour m’en occuper, selon mon énergie de la journée ou les urgences à régler.

Félix Girard, artiste peintre et illustrateur
«Émile et sa poulette». Crédit: Félix Girard.

Quels sont vos meilleurs trucs pour mousser votre créativité?

Quand je cherche une idée ou que j’essaye de faire «débloquer» un projet la meilleure technique pour moi est simplement d’aller déambuler en ville sans but précis. Je vais parfois faire quelques esquisses dans un café ou sur un banc de parc, en laissant aller mon imagination le plus possible. J’essaye de faire travailler la partie de mon cerveau qui fait des associations libres pour ne pas simplement prendre la première idée qui passe et qui est généralement trop convenue.

Mes meilleures idées de tableau viennent souvent un peu par hasard: il faut simplement se donner l’espace mental pour que les «heureux accidents» puissent se produire. Je me permet également, quand c’est possible, de faire complètement autre chose que du dessin (rénovations, sport, etc), ça m’aide parfois à revenir en force avec des idées fraiches et davantage de motivation.

Quelles sont les outils indispensables pour passer une journée productive?

Quelques cafés, du calme et juste assez de temps devant moi. Quand je me sens trop poussé de tous les côtés, je deviens moins productif et j’ai du mal à me concentrer. À l’inverse, quand j’ai trop de temps et que je ne sens aucune urgence j’ai parfois du mal à me motiver et à être efficace dans ce que je fais. Il faut donc trouver l’équilibre entre les contrats, et je dois dire que c’est un combat perpétuel pour trouver le bon dosage.

Quels ont été les principaux défis auxquels vous avez pu faire face en tant qu’artiste lors de vos débuts?

Je me rappelle que lorsque je vivais en France au début de ma carrière et que j’avais plusieurs commandes à faire par semaine je trouvais parfois laborieux de rester motivé et concentré sur de longues périodes de temps. Peindre est une activité qui demande une grande quantité de ressources mentales et d’énergie, et je trouve qu’il est difficile de rester efficace pendant de longues heures sur plusieurs jours d’affilée.

J’essaye habituellement de mélanger mes activités de la semaine pour ne pas trop me fatiguer sur une seule tâche: je fais un peu de peinture, un peu de dessin à l’ordinateur, un peu de gestion, etc.

Félix Girard, artiste peintre et illustrateur
Pochette du DVD du spectacle «De peigne et de misère» du conteur Fred Pellerin. Crédit: Félix Girard.

Quels sont vos principaux défis aujourd’hui et comment arrivez-vous à les surmonter?

Mon principal défi en ce moment est de trouver du temps pour faire mes propres projets et ne pas être envahi de demandes. C’est un heureux problème, mais il se passe parfois plusieurs mois sans que je puisse faire un seul dessin «pour moi» et même si j’aime beaucoup faire de l’illustration sur commande je dois essayer de me garder davantage de temps pour avancer mes propres idées.

C’est parfois plus facile à dire qu’à faire parce que ça implique bien souvent de refuser un contrat payant pour travailler sur quelque chose qui ne rapportera peut-être rien du tout. Je pense par contre que c’est essentiel pour garder ma motivation et avancer en tant qu’artiste.

Quelles ont été les personnes marquantes dans votre parcours professionnel?

Mes parents ont évidemment été très encourageants durant toute mon enfance et m’ont constamment appuyé dans tous mes projets. J’ai par ailleurs reçu énormément d’aide et de support de plusieurs personnes de mon entourage à différentes étapes de ma carrière.

Je pense entre autres à Pierre Martin, architecte de Québec, qui m’a offert de financer une partie d’un séjour en Europe (alors que j’avais 18 ans) en me commandant plusieurs peintures par mois. Son engagement m’a permis de vivre durant une année en France en me concentrant uniquement sur mon travail d’artiste et en me laissant la liberté de voyager partout en Europe afin de visiter des dizaines de villes et de musées. Cette expérience a été très formatrice et m’a permis d’évoluer rapidement en tant qu’artiste.

Quelle œuvre avez-vous réalisée dont vous êtes le plus fier et pourquoi?

Ces derniers temps, on me reconnait surtout comme «l’illustrateur de La Souche», et c’est un projet dont je suis très fier. On me laisse beaucoup de liberté dans les images que je produits pour la brasserie: ils me donnent souvent simplement le nom et le type de bière et me font confiance pour le reste. De cette manière, même si ça demeure des commandes destinées à vendre des produits, je peux vraiment traiter chaque illustration comme une œuvre d’art à part entière. J’essaye de faire en sorte que chaque image puisse être intéressante autant en format canette qu’en peinture acrylique grand format.

Chaque illustration raconte sa propre histoire grâce aux différentes références et aux nombreux détails qu’on y trouve. J’aime aussi beaucoup le fait que ces images se retrouvent partout dans le quotidien des gens: il y a maintenant des canettes de La Souche dans des épiceries aux quatre coins du Québec et plusieurs personnes m’ont avoué collectionner les canettes à cause des illustrations. Je vois ça comme la preuve d’une belle réussite puisque je souhaitais justement réussir à rejoindre le plus de gens possible avec mes illustrations.

Félix Girard, artiste peintre et illustrateur
Créations visuelles pour La Souche. Crédit: Félix Girard.

Quel regard posez-vous sur votre secteur d’activité au Québec par rapport à ce qui se passe ailleurs dans le monde?

J’ai l’impression qu’en ce moment qu’il y a une certaine effervescence dans le milieu de l’illustration au Québec, et il y a certainement une grande ouverture de la population québécoise à l’art en général.

Cela dit, cette reconnaissance ne se traduit pas nécessairement dans les revenus des artistes, et je pense qu’il y a encore beaucoup de travail à faire en ce sens pour le métier d’illustrateur au Québec. Il me semble y avoir encore beaucoup d’éducation du public à faire pour éviter que ce métier soit perçu uniquement comme un «beau passe-temps» ou, au mieux, comme un travail qui est forcément précaire. Il y a moyen de bien vivre en faisant de l’illustration, mais il faut être prêt à constamment défendre sa valeur et à systématiquement refuser les contrats qui sont trop peu ou pas du tout rémunérés.

Quel est le pire ennemi et le meilleur allié d’un artiste?

Je dirai que c’est lui-même! C’est très facile de se démotiver quand on se compare, surtout à notre époque où les barrières physiques n’existent plus et où les artistes de tous les pays se retrouvent sur les mêmes réseaux sociaux. Je pense qu’il faut faire attention justement à la quantité d’«inspiration» à laquelle ont se soumet: en prendre trop en même temps peut nous donner une sorte d’indigestion et nous paralyser. Je pense évidemment qu’il faut regarder ce que les autres artistes font et s’en inspirer mais à doses contrôlées pour ne pas être submergés.

Que faut-il avoir pour atteindre votre point d’équilibre personnel?

Un mélange entre des projets stimulants et du temps libre à passer avec la famille et les amis. Ma conjointe et moi avons récemment rénové un duplex dans Limoilou pour en faire une maison unifamiliale avec une partie dédiée à l’atelier, et j’aime beaucoup le fait de travailler depuis la maison. Être confortable chez moi et dans mon lieu de travail fait vraiment toute la différence. Travailler à la maison demande une certaine rigueur (bienvenue aux nouveaux télétravailleurs) et beaucoup d’autonomie mais ce mode de vie convient bien à ma personnalité et me permet de faire le métier que j’adore tout en profitant pleinement de la vie de famille.

Félix Girard, artiste peintre et illustrateur
«La blonde d’Abraham». Crédit: Félix Girard.

Que changeriez-vous, si vous aviez la chance de revenir en arrière?

C’est très difficile à dire parce que le parcours d’un artiste est ce qui fait sa richesse selon moi; changer quelque chose au passé m’aurait peut-être amené ailleurs mais je ne pense pas que ce serait mieux au pire que là où j’en suis en ce moment. Chaque évènement, même si c’est un revers, peut devenir une occasion unique de faire quelque chose de bien.

Le meilleur exemple que je puisse donner c’est l’évènement qui m’a donné le courage de me lancer entièrement dans la carrière d’artiste: au début de ma vingtaine, alors que j’étais en train de compléter des études universitaires en architecture, on m’a diagnostiqué un cancer des ganglions (lymphome). J’ai dû tout arrêter pendant près d’un an et demi pour subir des traitements de chimiothérapie intenses et remettre en question mon avenir à court et moyen terme. Lorsque mon énergie est revenue (très progressivement), je me suis concentré sur mes contrats d’illustrations et j’ai décidé que c’était vraiment ce que je voulais faire dans la vie. La maladie m’a aidé à me lancer entièrement dans l’art et je n’ai jamais arrêté depuis ce jour.

Quel est le meilleur conseil qu’un artiste vous ait partagé?

«Fait des reproductions». Lorsque j’étais plus jeune, c’était parfois mal vu de faire des reproductions dans les cercles d’amis artistes de mes parents, et les tableaux originaux étaient vus comme la seule chose qui avait véritablement de la valeur. Je trouve que c’est une vision très noble, mais ça me semble aujourd’hui délicat pour de jeunes artistes de vivre en ne vendant que des peintures originales. Pour ma part, j’aime passer beaucoup de temps sur une peinture et à travailler dans le détail: je passe souvent des dizaines d’heures sur plusieurs semaines sur une même image. Un de mes amis illustrateurs, Fred Jourdain, m’a conseillé un jour de faire de impressions et m’a expliqué sa façon de fonctionner.

Faire des reproductions haute qualité en séries limitées me permet de passer plus de temps sur chaque tableau puisque je sais que je pourrai tirer un revenu supplémentaire grâce aux impressions et «amortir» mon temps de travail. Je trouve de plus que ça participe à la démocratisation de l’art, une chose que je trouve très importante. J’ai effectivement parfois l’impression que le grand public ne se sent pas concerné par l’art visuel, qui est vu comme hermétique et réservé à une certaine caste intellectuelle.

Pour moi, l’art doit être accessible et rejoindre les gens de tous les horizons. Les reproductions sont beaucoup moins dispendieuses que les œuvres originales et tout le monde semble y trouve son compte.

Félix Girard, artiste peintre et illustrateur
«Turtle Island». Crédit: Félix Girard.

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite vivre de son art?

Il faut certainement beaucoup de persévérance, de travail et de temps! C’est un métier qui demande de savoir toucher à beaucoup de choses différentes dans plusieurs domaines: comptabilité, site web, publicité, etc. Je pense d’ailleurs qu’il faut vraiment se voir comme un entrepreneur et s’intéresser à tout ce qui a trait à l’entrepreneuriat. Il existe une grande quantité de ressources pour les jeunes qui veulent se lancer en affaire et il ne faut surtout pas se couper de ces outils sous prétexte que nous ne sommes «que» des artistes.

Il me semble par ailleurs que c’est plus facile que jamais de faire de l’art grâce aux nouveaux outils techniques et aux soutiens disponibles, mais c’est également paradoxalement très difficile d’arrimer une production artistique au mode de vie effréné de 2021. Il faut se trouver des trucs pour être de plus en plus efficace sans faire de compromis sur la qualité. C’est quelque chose de délicat qui s’apprend au fil du temps et grâce à l’expérience.

Enfin, je dirais que ma carrière s’est mise à véritablement fonctionner le jour où je m’y suis consacré complètement. Je pense que c’est tout à fait correct de pratiquer le métier à temps partiel au début, selon la quantité de contrats qui se présentent à nous, mais il vient un moment où il faut plonger. Après dix ans, je me verrais très mal faire autre chose et je suis très heureux avec la façon dont les affaires fonctionnent à présent. Selon moi, le plus bel aspect de ce métier c’est la liberté de création et le sentiment de faire quelque chose d’authentique qui a le potentiel de toucher d’autres personnes.

Bref, c’est le plus beau métier du monde!

Félix Girard

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