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L’humain et la nature : rencontre avec Os cane, artiste peintre

L’humain et la nature : rencontre avec Os cane, artiste peintre

Roxane Lessard, connue sous le nom d’Os cane, est une artiste peintre qui travaille l’acrylique comme de l’aquarelle. Derrière ses créations tout en délicatesse, transparence et sensibilité, elle traite du rapport entre l’être humain et la nature, une source pour elle infinie d’inspiration.

C’est avec une très grande générosité qu’elle a répondu à nos questions sur son parcours, ses influences et ses méthodes de travail. Elle nous parle notamment du fameux syndrome de l’imposteur et de son rapport à la performance.

Qui êtes-vous, quel est votre médium de prédilection et pourquoi?

Je m’appelle Roxane et je travaille en tant qu’artiste peintre sous le nom d’Os cane depuis quelques années. Pour l’anecdote, ce nom d’artiste vient du fils d’une de mes amies qui n’arrivait pas à dire correctement mon nom, il m’appelait Os cane. Tranquillement, mes amies ont commencé aussi à m’appeler comme ça et après un certain temps, j’ai décidé de travailler sous ce nom.

Je travaille principalement avec la peinture acrylique, que je dilue avec l’eau pour l’utiliser un peu de la même façon que l’aquarelle. L’acrylique me permet d’osciller entre l’opacité ferme et la transparence. En début de carrière, on m’a connue entre autres pour mes sujets délicats représentant une dualité entre l’humain et la nature. Ça va faire maintenant presque 12 ans que je travaille dans cette thématique qui a évidemment énormément évolué avec les années. C’est à la fin de mes études collégiales en art, quand j’ai remis mon dernier projet, que j’ai trouvé ce qui deviendrait mon sujet de prédilection. C’était une «femme arbre» peinte sur bois. Je me souviens de ce que mon professeur de l’époque m’avait dit en voyant mon travail: «Je pense que tu tiens de quoi, tu viens de trouver ta marque». Il avait raison. Quand j’ai voulu créer ma deuxième œuvre d’exploration dans cette nouvelle lignée, je l’ai complètement ratée. J’avais plus de toile de disponible, alors j’ai enlevé le canevas du cadre de bois pour le retourner et peindre à l’arrière sur le côté «brut» pour sortir ce que j’avais en tête. Ç’a été le début d’une longue histoire d’amour avec la toile de coton brut!

À l’époque, peu de gens peignaient sur le canevas de coton brut, il a un aspect blanc cassé/beige, rugueux et se travaille différemment. J’ai commencé à l’apprivoiser, avec beaucoup d’essais et erreurs. Le côté nature de ce canevas allait totalement de pair avec le sujet que je peignais. Je me souviens qu’au début, lorsque j’apportais mes œuvres chez l’encadreur, on me disait de temps en temps: «Tu sais que ce n’est pas le bon côté de la toile, hein?!» Peu de temps après, quand j’arrivais avec mes œuvres, les gens disaient: «Ha! C’est la fille qui peint à l’envers!» Aujourd’hui, je travaille entre le canevas brut, la toile régulière et sur bois.

L’humain et la nature : rencontre avec Os cane, artiste peintre
Courtoisie : Os cane

Quelles ont été vos influences artistiques à vos débuts et quelles sont celles d’aujourd’hui?

Quand j’ai terminé mes études collégiales, je n’avais pas dans l’idée de vivre de mon art même si ça faisait partie intégrante de moi. Je m’intéressais beaucoup au théâtre, à la scénographie et à la création de costumes. Je rêvais de concevoir les décors ou les costumes du Cirque du Soleil. Après avoir été refusée deux fois à l’école nationale de théâtre en scénographie, j’ai décidé d’entreprendre un diplôme d’études professionnelles en confection de vêtements pour me familiariser avec les tissus et pouvoir dessiner et concevoir des costumes. J’ai découvert le designer de mode Alexandre Mcqueen, qui a été une influence majeure dans le début de ma carrière artistique. Quand j’ai découvert son univers, j’ai réellement été bouleversée par sa créativité et la façon dont il greffait une représentation de la nature à ses créations. C’est comme si je voyais en ses créations ce que j’essayais d’exprimer en peinture. Son travail m’a beaucoup nourrie et fait grandir en tant qu’artiste.

Aujourd’hui, il y a une artiste en particulier qui m’inspire énormément. C’est une artiste italienne, Agnès Cecile, de son nom d’artiste. J’ai une grande admiration pour son travail, par la puissance des sentiments qui se dégagent de ses œuvres. Elle m’interpelle entre autres parce qu’on traite généralement du même sujet, mais chacune à notre façon. Elle exprime à travers ses œuvres une forte dualité entre l’humain et la nature d’une justesse que peu de gens peuvent égaler.

Quand je parle de dualité, c’est d’avoir la capacité d’exprimer dans une même œuvre un sentiment d’équilibre et d’apaisement autant qu’une part d’ombre. Quand on regarde une œuvre, et que celle-ci nous fait voyager entre l’équilibre et le sentiment de chaos. Quand l’œuvre peut être interprétée autant d’une manière positive que négative, selon la personne qui la regarde. Négatif pour moi n’est pas un synonyme de mauvais, au contraire. Pour moi l’un ne va pas sans l’autre. Je trouve primordial de pouvoir vibrer entre l’un et l’autre et me questionner sur ce que je ressens et pourquoi lorsque je suis devant une œuvre comme ça. Certaines personnes peuvent même se sentir inconfortables face à des œuvres qui vont réveiller une partie plus ombragée. C’est ce qui est fascinant de l’art.

Comment organisez-vous votre horaire? Comment planifiez-vous le temps de cerveau disponible à la création et celui accordé à la gestion plus technique de votre entreprise?

Je n’ai pas encore de système bien précis dans ma gestion de temps, mais avec les années je connais mes limites et comment composer avec celles-ci. Chaque semaine est différente selon les contrats et les commandes. Je sais que je suis plus créative le matin, donc je m’organise pour commencer de nouveaux projets et travailler mes œuvres surtout l’avant-midi puisque ça me demande plus d’énergie de démarrer une nouvelle œuvre et de me plonger dedans. Généralement, je peux peindre entre 3h et 4h consécutives. Ensuite, j’alterne avec autre chose comme préparer des colis, répondre à des clients ou faire de la recherche d’inspiration pour mes prochaines œuvres. Ça me permet de pouvoir prendre du recul sur ce que je fais et mieux revenir. Donc dans une journée, je peux avoir entre 1 à 3 sessions de peinture.

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Courtoisie : Os cane

Quels sont vos meilleurs trucs pour mousser votre créativité?

Pinterest….haha! Je sais que c’est cliché, mais il a tellement de beaux au même endroit, je m’y réfère beaucoup, je regarde des photos de plantes, de végétation, de palettes de couleur, d’architecture aussi. Parfois, une photo d’un salon bien aménagé avec de belles lignes va déclencher quelques idées en moi qui n’a rien à voir avec la photo en question.

Le plus important pour faire mousser ma créativité, c’est de jouer dehors! Aller marcher, me promener, voir du paysage et avoir un contact avec la nature. C’est nécessaire pour mon équilibre. Constamment, quand je regarde dehors, je me questionne à savoir quel pinceau je prendrais pour réaliser les nuages que je vois ou j’essaie de décortiquer les couleurs d’une feuille que je vois par terre. Je le fais sans m’en rendre compte. J’imagine que c’est une façon pour moi de rester éveillée et d’imprimer dans ma tête ce qui m’entoure.

Quelles sont les outils indispensables pour passer une journée productive?

De la musique! C’est vraiment mon carburant créatif. Je peux écouter le même album en boucle ou la même chanson pendant un long moment parce que ça me donne l’énergie ou le mood idéal dans ce que je suis en train de créer à ce moment-là. Tout part des tripes. Je dois véhiculer une émotion, et je trouve la chanson parfaite pour m’aider à l’extraire.

Quels ont été les principaux défis auxquels vous avez pu faire face en tant qu’artiste lors de vos débuts?

J’ai eu beaucoup de difficulté à m’assumer en tant qu’artiste et m’exposer. Si j’avais pu au début envoyer quelqu’un se faire passer pour moi, je l’aurais fait! Je dis souvent que c’est le métier qui m’a choisie et non l’inverse. Je peins des tableaux depuis que j’ai 4 ans, c’était pour moi un moyen de sortir ce que j’avais en moi, ç’a toujours été mon moyen d’expression pour m’assurer de garder un équilibre et non pour que les gens s’y intéressent.

Quand on m’a demandé pour la première fois d’acheter une de mes œuvres, je ne comprenais pas pourquoi. Ça m’a pris énormément de temps à comprendre qu’elles pouvaient apporter du bien-être à d’autres personnes. Quand j’exposais et que je recevais des compliments sur mon travail, je ne savais pas quoi répondre, j’étais mal à l’aise… C’était trop intime de montrer ce qui sortait de moi, je me sentais scrutée sans le vouloir. Je me sentais imposteur dans ce domaine, parce que je n’avais pas la même facilité à m’exprimer verbalement contrairement à beaucoup d’autres artistes qui maitrisent à la perfection. J’évitais les musées parce que je me disais que je ne savais pas bien m’exprimer sur les techniques, etc. parce que moi, je peignais de façon instinctive ce que les mots ne peuvent pas nommer et je croyais que ça n’avait pas de valeur dans le milieu artistique.

L’humain et la nature : rencontre avec Os cane, artiste peintre
Courtoisie : Os cane

Quels sont vos principaux défis aujourd’hui et comment arrivez-vous à les surmonter?

Ce qui m’apportait du bien-être et de l’équilibre est devenu aujourd’hui mon travail à temps plein. C’est génial, mais c’est aussi un grand défi pour moi de trouver l’équilibre entre le plaisir de peindre de façon instinctive en respectant le pourquoi j’en ai besoin et faire rouler l’entreprise. Je dois me laisser de l’espace de temps en temps à travers les commandes pour m’écouter et sortir sur toile ce qui se passe en moi pour mieux me plonger dans les demandes de mes clients.

Les gens viennent vers moi pour créer des œuvres douces, émotives et porteuses de sens. Je compose souvent pour des personnes qui ont perdu un être proche ou qui sont atteintes d’une maladie par exemple. Je suis choyée qu’on me fasse assez confiance pour ça, mais pour être totalement à l’écoute et sensible, il est primordial de me donner de l’espace juste pour moi.

Quelles ont été les personnes marquantes dans votre parcours professionnel?

Il y a deux personnes qui ont marqué mon parcours, la première est une de mes professeurs quand j’ai étudié en mode, Jozée Dulude, c’est elle qui m’a fait découvrir Alexander MCqueen entre autres, et je l’admirais pour la passion qu’elle portait pour son métier. Elle avait un feu intérieur que peu de gens ont, et elle m’a beaucoup inspiré à m’accrocher à mon instinct.

La deuxième personne est Karine Demers, fondatrice de la marque de vêtements Métamorphose, pour qui j’ai travaillé comme couturière à ma sortie de l’école. C’est la première personne à m’avoir acheté une œuvre, et c’est en partie grâce à elle si je fais ce métier aujourd’hui. Elle m’a poussée à me sortir de ma zone et à assumer qui je suis professionnellement. C’est d’ailleurs ma plus grande fan!

Quelle œuvre avez-vous réalisée dont vous êtes la plus fière et pourquoi?

L’œuvre dont je suis la plus fière est un projet que j’ai réalisé en 2020 en collaboration avec la distillerie des Appalaches. J’ai créé une œuvre pour l’étiquette de leur nouveau produit de gin sans alcool. J’ai dû sortir de ma zone de confort, et ç’a été une œuvre marquante dans l’évolution de mon style. C’est une des œuvres qui comporte le plus de détails. J’en suis d’autant plus fière parce que j’ai travaillé en collaboration sur ce projet avec mon frère jumeau, qui était le maître distillateur à ce moment-là et qui avait créé la recette. Donc, nous avons travaillé conjointement dans nos deux passions, ce qui a rendu ce projet encore plus spécial.

Quel est le pire ennemi et le meilleur allié d’un artiste?

La performance! C’est un couteau à double tranchant. Dans ce métier, il faut performer pour se démarquer et ne pas stagner. C’est nécessaire pour avancer en tant qu’artiste, se questionner et se challenger. Mais ça peut vite devenir notre ennemi, parce qu’avoir le désir de trop performer peut nous plonger dans l’anxiété et nous donner le sentiment de ne jamais faire assez. Ça nous éloigne vite de notre objectif parce qu’on ne reste que dans l’urgence de faire plus sans se concentrer sur le long terme.

L’humain et la nature : rencontre avec Os cane, artiste peintre
Courtoisie : Os cane

Que faut-il avoir pour atteindre votre point d’équilibre personnel?

Beaucoup de bienveillance envers nous-mêmes. C’est difficile d’être doux envers soi-même quand le chiffre d’affaires repose que sur nos épaules. Il y a toujours du travail à faire, de nouvelles idées à développer, etc. Il faut savoir faire pause dans notre tête de temps en temps pour être capable de voir clair. C’est une des choses les plus difficiles à faire pour un travailleur autonome. Chose que je ne maitrise pas encore à 100%. Je l’avoue! Mais je m’améliore!

Que changeriez-vous, si vous aviez la chance de revenir en arrière?

Je prendrais le temps de me perfectionner dès le départ avec des cours pour affiner constamment mes techniques. Je suis restée pendant des années dans ce que je connaissais sans sortir de ma zone ou sans trop me challenger. On peut passer à côté de plein de choses ou d’opportunités qui peuvent vite nous dépasser.

Quel est le meilleur conseil qu’un artiste vous ait partagé?

Qu’en tant qu’artiste, on a le pouvoir de créer à l’infini, donc, de choisir en quelque sorte notre situation pour le mieux et aussi loin qu’on le veut. On a la capacité créative de s’adapter et d’innover pour améliorer notre situation. Donc, chaque fois que je me sens découragée, je pense à ça, et ça m’aide à reprendre confiance en ce que je fais et où je m’en vais.

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite vivre de son art?

Je dirais qu’il y aura toujours beaucoup de doutes et d’incertitude, mais que ce sera nécessaire pour réussir et s’élever.

🖌️Os Cane

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