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Génération XX : l’écoute comme enjeu de société

Génération XX : l’écoute comme enjeu de société

Tout commence en 2016 avec l’envie pour Siham Jibril de créer un podcast qui donne la parole à des femmes qui sont à l’origine d’un projet. Ce qui intéresse la fondatrice ayant travaillé dans le e-commerce et le cinéma, c’est l’énergie derrière le projet. Après avoir été guidée par les podcasts à la sortie de ses études, le sien, Génération XX, relève le pari en répondant à une ambition: déconstruire la réussite et aider les gens à se poser les bonnes questions.

Ce balado se positionne parmi les pionniers du format en France en comptabilisant plus de six millions d’écoutes et cent épisodes de discussions avec des entrepreneures. Plus récemment s’est ajouté un magazine hors-série intitulé À l’écoute, dont les grandes lignes rejoignent le cycle du podcast résumé par Siham Jibril: à l’écoute de soi, à l’écoute des autres, à l’écoute du monde. Rencontre.

Vous dénoncez dans le podcast GIRLS power «l’entrepreneuriat au féminin» et cette dualité entre la Wonder woman entrepreneure et celle qui n’a que des obstacles. Comment voyez-vous l’entrepreneuriat à travers le podcast?

J’ai voulu mettre en avant des femmes pour une question de représentation, qui se faisait souvent sous un prisme binaire. J’ai du mal avec les généralités sur les femmes entrepreneures ou «l’entrepreneuriat au féminin». Je n’utilise jamais cette expression, elle n’a pas de sens. Mon but était de montrer qu’il y a autant de parcours que de pensées.

Il y a plein de femmes qui font plein de choses, et ce serait dommage de les mettre dans un carcan. On ne parle jamais d’entrepreneuriat au masculin, comme s’il y avait l’entrepreneuriat et les femmes. C’est comme les films qui se présentent comme des «James Bond au féminin», c’est ridicule.

Ça n’a pas été simple de faire la promotion du podcast en disant que je recevais des femmes qui entreprennent tout en expliquant que je ne tenais pas un podcast sur l’entrepreneuriat au féminin. On n’allait pas apprendre comment les femmes entreprennent. On trouve des expériences partagées, mais est-ce que ça se résume au genre? Quand j’ai commencé, les panels entièrement féminins étaient sur l’entrepreneuriat au féminin alors que ceux sur l’entrepreneuriat étaient 100% masculins. Je trouve absurde que ce soit fait sans mixité ni diversité. Soit on me présentait les mêmes rôles modèles avec cette image de la réussite sur tous les plans, ce qui est complexant, soit on fait des conférences sur l’entrepreneuriat au féminin, et la première question qu’on pose est sur les difficultés en tant que femme. C’est réducteur de commencer par ça.

Siham Jibril, créatrice du podcast Génération XX. Crédit: Randolph Lungela
Siham Jibril, créatrice du podcast Génération XX. Crédit: Randolph Lungela

Vous retenez trois cycles autour de l’écoute pour résumer le podcast. Sur l’entrepreneuriat, qu’avez-vous appris dans le format podcast que vous ne retrouviez pas dans les formats courts?

On retrouve la glamourisation de l’entrepreneuriat dans les formats courts. Il y a un angle, comme montrer la réussite de quelqu’un, donc on ne parle que de ça. Dans les magazines, une interview vient avec une magnifique photo, ça participe à l’image glamour de l’entrepreneuriat. Dans Génération XX, plusieurs invitées ont par exemple parlé de certaines choses pour la première fois.

Le podcast se concentre sur la voix, permet la complexité et de gratter le vernis d’Instagram où on met en avant ce qui marche.

En tant qu’entrepreneure dans les médias, j’ai appris que chaque format avait son utilité. C’est une richesse de réfléchir à celui qui sera pertinent pour raconter telle histoire. On ne raconte pas la même chose dans un film et dans une série. Pour la revue c’était important de ne pas faire de redite du podcast. Le meilleur format pour les interviews était l’audio alors que je trouvais le format papier intéressant pour des articles de société, des sujets creusés, des tribunes dans lesquelles des invitées du podcast prennent la plume. Elles ont écrit des choses personnelles qu’elles n’auraient peut-être pas pu dire à l’oral. C’était un gros apprentissage.

Le cycle de l’écoute se retrouve dans toutes mes interviews. Être à l’écoute de soi, c’est développer son intuition: sentir que c’est le moment, la bonne personne avec qui travailler. Ça se cultive. J’ai beaucoup posé cette question: «Comment prends-tu tes décisions?» Beaucoup ont cité l’intuition. Quand j’ai clôturé le podcast au centième épisode, plein de gens m’ont demandé pourquoi je le faisais car ça marchait bien, mais j’avais envie de mener mon projet comme ça. Être à l’écoute des autres, c’est l’empathie. Le podcast m’a appris à être vraiment à l’écoute de quelqu’un pendant une heure. J’étais surprise de voir à quel point mes invitées me disent: «Ça fait tellement du bien de prendre le temps».

Dans l’épisode 98, Amina Sabeur parle de dépression, de burn out. Elle n’en avait jamais parlé publiquement, ça lui a fait énormément de bien d’en parler, ça l’a aidée dans son processus. C’est possible, car j’étais vraiment à son écoute: on n’est pas là pas pour faire dire à l’autre ce qu’on a envie d’entendre mais ce qu’elle a besoin de dire. C’est fondamental dans le travail, ça l’a été pour moi, et dans nos relations au quotidien.

Épisode 98 avec Amina Sabeur. Génération XX
Épisode 98 avec Amina Sabeur. Génération XX

Ça s’applique au sexisme et au racisme: écouter le ressenti de celui qui le vit permettra de ne pas reproduire l’oppression. Il faut lutter contre ses propres biais, essayer de comprendre pour créer une relation: être à l’écoute des autres est un enjeu de société. En apprenant ça, j’ai développé une forte conscience citoyenne que je n’avais pas avant. La seule façon de sortir de notre société polarisée est de passer par l’écoute et de distribuer la parole à celles.eux qui ne l’ont pas, comme le podcast qui a donné la parole à des gens qu’on ne voyait pas dans les autres médias. Être à l’écoute du monde, c’est la curiosité, qui est primordiale dans l’entrepreneuriat. Ce que je poste sur Instagram entretient ce que j’aime déjà. La curiosité, c’est aller chercher des choses nouvelles. On réussit un projet en développant sa pâte, ses inspirations, en rencontrant des gens extérieurs à notre cercle. Ce n’est pas facile, encore plus en temps de pandémie. J’ai fait plein de rencontres en quatre ans, et ça a influencé la façon dont je monte mon entreprise.

Vous évoquez en entrevue l’idée de tuer l’ego pour être entrepreneure, et votre aversion pour les rôles modèles. Avez-vous tué l’ego pour avancer dans votre parcours?

Ce serait mentir de dire que je n’ai pas d’ego, mais les moments où on hésite à faire des choses arrivent à cause de l’ego. J’arrive à les reconnaître et à les mettre de côté. Au moment de mettre en ligne les premiers épisodes, je me suis dit: «qu’est-ce que les gens penseront de moi?» Mon copain m’a dit: «Personne ne te connaît, donc redescends un peu» et «qu’est-ce que tu as à perdre?» Dans ces moments, c’est utile de tuer l’ego. Le risque, c’est de ne pas se mouiller, alors que l’entrepreneuriat, c’est prendre des risques. Si on a peur des critiques, on fait ce qui ne provoquera pas de vagues, on sera dans le mou. Je mets mon ego de côté, je fais et on verra. L’idée des rôles modèles nous ramène à un côté «petite fille qui rêve.» Je n’ai jamais eu ça. Il y a ce côté reproduction alors qu’on a tous notre identité. Que quelqu’un soit une inspiration, évidemment, mais le mot me dérange.

Avec le modèle, il y a l’idéalisation, comme si tout était parfait. Quelqu’un récemment disait que quand on se compare à quelqu’un qu’on admire, on se dit que cette personne a une meilleure vie que nous, mais il faut se demander si on est prêt à échanger avec elle tous les aspects de notre vie. On idéalise des gens qui ont leurs blessures, leurs combats. Le podcast m’a appris qu’on était toutes et tous pareils. Je ne connais aucune invitée qui n’a pas de sources de mécontentement ou de tristesse. On a nos luttes internes, c’est important de s’en rendre compte, car ça aide à ne pas se sentir nulle. Je n’aime pas ce côté hiérarchie entre les gens dans le rôle modèle. J’ai choisi de tutoyer les invitées, car je voulais être sur un même pied d’égalité avec elles mais aussi avec les auditeurs.rices. Je voudrais que les gens se disent : «Elle a réussi certains trucs, moins d’autres. Ça pourrait être une amie qui me donne de bons conseils, car elle est passée par là avant moi.»

N’est-ce pas vrai qu’on se dit souvent, quand on a une idée entrepreneuriale, que c’est inaccessible, comme si c’était une réalité trop loin de notre vie actuelle?

Oui. À l’inverse de cette tendance qui idéalise l’entrepreneuriat, je voulais le désacraliser et le prendre au sens large: le fait de tester un projet. Certaines personnes n’en monteront jamais, mais c’est important qu’il y ait des gens qui soutiennent les gens qui montent des projets. Il faut des consommateurs, des relais. On n’a pas besoin d’être créateur d’un projet pour écouter le podcast. Ce que j’ai envie qu’il en ressorte, c’est l’envie de soutenir le projet pour en faire partie.

Il y a quelques jours, une personne m’a écrit s’être enfin décidée à acheter la revue À l’écoute. Elle a lu la tribune de Charlotte Dereux, fondatrice d’une marque de mode éthique (Patine). Elle m’a dit: «J’ai vu que c’était une invitée du podcast, j’ai écouté son épisode, j’ai adoré, je suis allée sur le site, j’ai commandé un jean et trois tee-shirts.» C’est ça, Génération XX. Je trouve ça génial, elle a fait une rencontre virtuelle marquante et elle a participé au projet.

Tout le monde est important dans cette chaîne de l’entrepreneuriat, c’est ça que j’avais envie de créer avec Génération XX, l’émulation autour d’un projet, peu importe la part qu’on y prend.

Vous citez souvent celui avec Francine Leca quand on vous demande votre épisode préféré. Y en a-t-il un autre qui vous a aidée à aborder différemment l’entrepreneuriat? 

J’ai enregistré l’épisode avec Anahi Nguyen deux mois après qu’elle ait décidé d’arrêter son entreprise de location de vêtements (L’Habibliothèque). Elle n’avait pas encore rebondi sur autre chose, c’était un moment très intéressant. Elle avait dû comprendre le moment où il ne s’agit plus de se dépasser mais où on s’acharne. C’est la réalité de l’entrepreneuriat: la plupart des boîtes ne marchent pas. Je pense que ça a décomplexé des gens qui poursuivaient leur boîte alors qu’ils sentaient que ça ne marchait plus.

Épisode 64 avec Anahi Nguyen. Génération XX
Épisode 64 avec Anahi Nguyen. Génération XX

J’ai fait un épisode avec Marine Sorato, et on en a enregistré un deuxième trois ans plus tard. Elle avait monté sa marque de sacs, qu’elle a arrêté quelques mois après le premier enregistrement. Le second épisode a été un moment important, elle a parlé de la difficulté d’arrêter son entreprise. Elle ne l’avait pas vraiment dit à cause de l’injonction à poursuivre son projet. J’ai reçu beaucoup de messages, car elle prenait le temps de dire: «j’ai mis du temps à l’accepter, je me cherche encore.» Elle a été très authentique sur le fait de ne pas connaître la prochaine étape. Le point commun entre ces épisodes est ce qui m’intéresse: les points de jonction, comment on passe d’un moment à un autre dans sa vie. Interroger des gens qui n’ont pas fait le lien avec la suite est intéressant. On n’en parle pas souvent puisque c’est difficile de mettre les mots sur ce qu’on ressent. Ces épisodes sont marquants, car c’est dans ces moments de doute que l’on a besoin de se reconnaître.

Depuis que j’ai clôturé le podcast, je reçois des questions sur ce que je ferai après. Je l’ai fait pour ne pas me lancer directement dans autre chose. On a besoin de cette période pour remettre les choses à plat et repartir sur de bonnes bases. Ce moment effraie, car beaucoup de gens n’aiment pas l’incertitude, la pandémie nous l’a montré. C’est difficile d’en parler mais on traverse tous ces moments, ils peuvent être extrêmement riches, car c’est là qu’on sera dans l’écoute de soi et du monde.

🎙️Génération XX

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