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«Mon sosie a 2000 ans»: La fratrie humaine au Musée de la civilisation

«Mon sosie a 2000 ans»: La fratrie humaine au Musée de la civilisation

François Brunelle est passionné par le phénomène des sosies depuis longtemps. Le photographe n’a donc pas hésité quand le Musée de la civilisation de Québec lui a proposé de jumeler 25 visages contemporains avec ceux gravés dans la pierre de leurs doubles antiques pour une exposition originale. Un voyage dans le temps qui témoigne de la continuité du genre humain.

À son arrivée à Montréal, le photographe François Brunelle ne comprenait pas ce que les gens voulaient dire lorsqu’on lui trouvait une ressemblance avec le personnage de M. Bean. Les personnes qui ont défilé dans son studio pour l’exposition «Mon sosie a 2000 ans» ont pour la plupart ressenti la même perplexité devant des sculptures datant de l’Antiquité qui auraient pu être fabriquées à leur effigie, tellement elles leur ressemblent.

À l’entrée de cette nouvelle exposition, la fresque des portraits rejetés mesure toute l’ampleur de l’engouement populaire pour le projet. La vingtaine d’élus proviennent de plus de 100 000 selfies recueillies par l’entremise d’une plateforme web et de bornes installées au Musée de la civilisation de Québec. «L’été dernier seulement, j’ai examiné près de 36 000 photos», s’exclame le photographe. Un système de reconnaissance faciale a facilité la tâche colossale de faire la sélection finale.

Les portraits anciens du Musée d’art et d’histoire de Genève proviennent principalement de l’ère gréco-romaine, à des millénaires de notre époque. Deux momies se greffent à la sélection de bustes antiques. Fidèle à ses collections, le Musée de la civilisation a également intégré une quarantaine de pièces de monnaie provenant de celles-ci. Le directeur général du Musée, Stéphan La Roche a qualifié l’exposition d’«iconoclâtre» dans la mesure où elle rend hommage aux histoires qui ponctuent l’expérience humaine.

Maquillés et coiffés pendant plusieurs heures à Montréal, Québec, Paris et Genève, les traits des participants ont été accentués pour ressembler en tous points à leur soeur ou leur frère historique. Vedettes de leur époque ou parfaits inconnus, les profils des sculptures varient autant que ceux des contemporains qui comptent même deux bambins. «Je voulais amener les gens à “devenir” la sculpture et les personnages qu’elle incarne», résume François Brunelle.

Dans l’ère du temps, le Musée de civilisation s’est muni de l’expertise de la science. Le Dr Jean-Pierre Berniet et son équipe au département d’épithésie du CHU de Québec-Université a moulu les visages contemporains pour dresser des parallèles encore plus frappants entre les sosies.

Conjuguer les existences

Devant ces duos improbables, le selfie et le buste impérial ne paraissent plus si différents. Ameer Raja est parmi ceux qui ont envoyé sa photo comme une bouteille à la mer. Il y croyait à peine lorsque le Musée lui a annoncé que son visage se confondait avec celui d’une sculpture funèbre datant de l’époque hellénistique en Égypte. «L’exercice montre que nous sommes connectés à notre passé. Les civilisations antiques en disent long sur les origines de la plupart des humaines. Si nous ressemblons à des personnes ayant vécu en Égypte ou en Grèce des millénaires plus tôt, ça prouve qu’il n’existe pas de base au racisme», explique Ameer Raja en entrevue avec Baron.

L’exposition regorge d’anecdotes attachantes. On découvre que la jeune Julia Baribeau étudie à Waterloo les rudiments de la robotique, un domaine que sa sosie n’a probablement jamais imaginé, tandis que Lisa Johnston, la sosie d’une femme noble dans l’entourage de l’impératrice Faustine, partageait non seulement un visage arrondi, mais aussi un strabisme qui s’est dans son cas corrigé avec le temps. «C’est comme si nous nous étions rencontrés», estime-t-elle.

Olivier Trudel a dit ne plus se sentir tout à fait lui-même devant l’objectif de François Brunelle. Dans son témoignage qui peut être entendu par casque d’écoute, il voit l’anonymat, le dénominateur commun des tandems, comme «la liberté de ne pas avoir à répondre aux attentes des autres et à s’assumer plus en tant qu’individu.» Pour lui, l’exposition fait l’éloge de cette mer d’inconnus qui ont façonné l’histoire humaine.

Le passé et le présent s’entrelacent aussi dans la muséographie, à travers la neutralité des photos en noir et blanc et les colonnes grecques dont la tapisserie binaire évoque le numérique. Les anecdotes peuplent les descriptions des oeuvres pour encore mieux plonger dans la profondeur des clichés. En plus de démontrer les similarités entre les faciès, l’éternité du regard et de l’expression transperce le visiteur.

L’expérience comporte tout de même quelques bémols. Comme chaque jumelage consume beaucoup de temps, l’exposition demeure assez petite et statique. Bien que «Mon sosie a 2000 ans» représente un bel effort d’accord des canons esthétiques de l’histoire, l’exposition gagnerait à sortir hors du créneau traditionnel de l’art européen et à intégrer plus de diversité de l’ADN humain.

En somme, le Musée de la civilisation démontre intelligemment avec cette nouvelle production que certaines facettes de l’expérience humaine passent parfois l’épreuve du temps.

Musée de la civilisation  

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Jusqu’au 12 mai 2019.

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