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Les promesses et les réalités de la diversité en programmation artistique

Les promesses et les réalités de la diversité en programmation artistique

Organisé dans le cadre du Festival MUTEK, le Symposium Keychange a réuni des commissaires influents pour débattre de l’avenir de leur métier. Aujourd’hui, on semble apposer l’étiquette de la diversité à tout vent, sans vraiment prendre la peine de comprendre ce que ce mot passe-partout sous-entend. Comment présenter assez de femmes, assez de membres de la communauté LGBTQ+, assez de minorités visibles, assez de personnes de tous les âges, assez de personnes à mobilité réduite, assez de diversité corporelle, ou assez de cultures autochtones? Faut-il imposer des quotas ou s’en tenir à une vision de réciprocité?

D’une part, plusieurs festivals s’évertuent à varier les appartenances de leurs invités afin de renouveler les publics, d’ouvrir de nouveaux marchés et de proposer du contenu d’avant-garde. Dans le monde de la musique électronique où les hommes blancs ont encore la mainmise sur la sélection d’artistes, le CTM: Festival for Adventurous Music and Related Visual Arts de Berlin présente un nombre de femmes qui se rapproche de la parité. 

Son organisateur Oliver Baurhenn souligne que «c’est impossible d’atteindre le 50% exact, car environ 3 % des artistes ne s’identifient à aucune des deux catégories». Le festival allemand combine également des créateurs de la relève avec des vétérans moins connus et des jeunes mélomanes. «C’est important de ne pas seulement se tourner vers l’avenir, mais aussi d’apprendre de ceux qui ont ouvert la voie pour toute une génération d’artistes», indique-t-il.

Les artistes sous le radar

Certains artistes frustrés par l’homogénéité de l’industrie de la musique et des arts visuels lancent des événements exclusivement pour et par des groupes marginalisés. Pierre Kwenders, cofondateur du festival Moonshine, et Frankie Teardrop, fondatrice des soirées LIP et du Slut Island Festival ont tous deux cherché à combler cette sous-représentation dans la culture dominante. Le premier fait valoir le son composé par des personnes de couleur et la deuxième, celle des créateurs de la communauté lesbienne. «L’idée de Moonshine a germé tout bonnement, entre amis, dans nos salons. On a réalisé qu’aucun endroit n’existait en ville pour diffuser la musique que nous aimions écouter ensemble le samedi soir», explique Pierre Kwenders.

De telles initiatives ne font pas toujours l’unanimité. Par exemple, quand le Moogfest a annoncé la venue de la militante LGBTQ+ Chelsea Manning, un important commanditaire du festival situé en Caroline du Nord a retiré son soutien financier. «Ça arrive encore aujourd’hui, se désole la directrice de la programmation Lorna Rose-Simpson, mais l’intégrité de notre vision artistique demeure notre priorité. Servir la communauté passe avant tout le reste.»

La diversité se révèle un travail de tous les jours, même pour les festivals les plus radicaux. Frankie Teardrop avoue notamment que Slut Island s’est targué de combattre le capacitisme, c’est-à-dire le traitement défavorable des personnes vivant un handicap, avant de réaliser que plusieurs de ses installations n’étaient pas accessibles pour les individus en fauteuil roulant.

Serments de parité

À la défense des droits des femmes dans l’industrie des arts numériques et de la musique électronique, l’organisme Keychange a rallié 120 festivals dans le monde sous la promesse d’achever la parité d’ici 2022. L’augmentation du nombre de têtes d’affiche féminines se veut réjouissante, mais encore faut-il que les femmes puissent participer à la prise de décision dans les entreprises créatives. 

Du côté du cinéma, l’Office national du film du Canada (ONF) prévoit d’embaucher autant d’hommes que de femmes à la direction artistique. Le Conseil des Arts de Montréal (CAM) encourage cette mesure, alors que «moins de 17 % des postes de leadership sont attribués à une femme au Québec», selon sa directrice Nathalie Maillé.

Le CAM place également la curation au cœur de ses préoccupations. Les programmations que l’organisme gouvernemental soutient «doivent représenter l’ensemble des cultures présentes dans la ville», selon Nathalie Maillé. De tous les partenaires publics, le CAM appuie les propositions les plus radicales, car elle octroie la plupart du temps la première subvention avant Québec et Ottawa, comme ce fut le cas pour la première édition de MUTEK vingt ans plus tôt.

Aux yeux de Nathalie Maillé, la parité est plutôt synonyme d’égalité des chances et s’applique dans les deux sens. «S’il y a trop de femmes, il faut engager plus d’hommes», dit-elle en mentionnant les efforts du CAM à réduire les écarts hommes-femmes dans son personnel surtout composé de travailleuses culturelles. «Ce n’est pas juste une question de bien représenter les genres, mais aussi d’apporter de nouvelles perspectives à la création. Je suis certain que certains sujets de nos films seraient abordés avec une sensibilité totalement différente par un groupe mixte ou exclusivement masculin», renchérit le producteur au studio interactif de l’ONF, Louis-Richard Tremblay.

Vers la multiplication des partenariats 

L’enjeu de la diversité est loin d’être réglé pour le commissariat. Pour l’instant, plusieurs festivals autrefois retranchés dans une sous-culture risquent d’emprunter la voie de la collaboration. Les comités de curation accueillent de plus en plus d’acteurs évoluant sur d’autres scènes. Frankie Teardrop compte inviter entre autres des artistes visuels au caucus de programmation du musical Slut Island.

Même constat pour le public cible: «on veut que tout le monde puisse s’y retrouver, pas juste les gens d’une communauté en particulier», précise Pierre Kwenders. Dans ce contexte d’ouverture, les prospecteurs ne demandent qu’à ratisser plus large. «À l’ère des algorithmes, on a tous le devoir d’examiner nos sources d’informations et de se demander comment on peut les varier», conclut l’entrepreneure Frankie Teardrop. 

⏩ Les panels du Symposium Keychange sont consultables en ligne sur la page Facebook du Festival Mutek. 

Mutek 

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