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L’art au rendez-vous: La technologie collaborative de Rafael Lozano-Hemmer

L’art au rendez-vous: La technologie collaborative de Rafael Lozano-Hemmer

Dans la chronique «L’art au rendez-vous», notre collaboratrice explore chaque recoin d’une exposition qui a attiré son attention. À travers son expertise de doctorante en communication et commissaire indépendante, elle offre aux lecteurs une immersion par les mots au sein d’un univers artistique, un peu comme si on lui avait donné la main en découvrant l’exposition avec elle. Renata navigue entre les subtilités de l’art contemporain pour nous offrir le plaisir de la lecture et nous inciter à peut-être nous rendre sur les lieux de l’exposition. Ce mois-ci, elle s’immerge au sein de l’univers de «Présence instable» au Musée d’art contemporain de Montréal.

Le public qui visite l’exposition Présence instable, une rétrospective des 18 dernières années de carrière de l’artiste Rafael Lozano-Hemmer, accepte de collaborer avec le travail de ce créateur. Par collaboration, nous voulons dire une participation active, sans laquelle les œuvres qui forment l’exposition ne pourraient exister de la même manière. Voilà l’engagement que les visiteurs font lorsqu’ils prennent part à ces expériences en arts médiatiques qui rassemblent art, science et technologie, et qui constitue le terrain d’intérêt et d’expertise de l’artiste.

Le premier élément avec lequel les visiteurs doivent apprendre à partager l’espace, c’est le son. La multiplicité des émetteurs de bruits provenant de presque chacune des 21 installations présentées peut avoir un effet étourdissant.

Le banc situé à gauche de l’entrée de la première salle a une fonction révélatrice: assis dessus, nous ne pouvons pas voir, mais seulement entendre le son des rubans à mesurer qui tombent successivement par terre selon le mouvement des personnes qui passent devant eux dans le cadre de l’œuvre Tape Recorders. Traditionnellement positionné là où l’on a besoin de plus de temps d’observation, ce banc suggère ici une prise de recul, un moment de préparation. Nous entendons la communication rythmée qui s’établit entre chacune des trois œuvres de la pièce en format de «L». Nous nous sentons perméables, pénétrés par des éléments dont la présence ne se manifeste pas par le regard. Il s’agit d’un des seuls instants de contemplation proposés par l’exposition. Sinon, le visiteur est constamment mis en action.

 

Dans la salle à côté de ce banc, les participants deviennent la cible de 12 caméras de surveillance qui tracent leurs mouvements tout en se focalisant sur leurs visages, dont les images projetées sur les murs prennent d’énormes proportions. Dans Zoom Pavillion, on a ainsi la sensation d’être un criminel repéré par la police: aucun de nos déplacements ne passe inaperçu. L’interaction avec les autres spectateurs est aussi mise en valeur au travers de mots comme «intérêt» et «distant», déterminés par des algorithmes analysant les relations entre chaque occupant de l’espace.

 

Cette invitation à la contribution collaborative pour que les œuvres s’expriment constitue ce que l’artiste appelle «coprésence». Deux mondes apparemment séparés – celui des machines et celui des humains – se croisent et s’interpellent par le biais des œuvres d’art. Ainsi, les objets artistiques utilisant l’intelligence artificielle, les logiciels libres et même les atomiseurs ultrasoniques fonctionnent comme des ponts entre deux univers. La plupart des appareils électroniques sont cachés, selon le code dominant d’un domaine où l’un des acteurs principaux, c’est-à-dire l’ordinateur, n’occupe jamais le centre de la scène. À l’exception d’une œuvre.

C’est la première fois que Sphere Packing: Bach est exposée. Le travail composé de 1128 haut-parleurs disposés dans une sphère en bois a été finalisé en 2018. Dans ce globe immersif, il y a de la place pour trois personnes à la fois. Contrairement au reste de l’exposition, où le mouvement est très encouragé, nous ne pouvons pas bouger dans cette installation. Petit à petit, les chefs d’œuvre du compositeur allemand inondent le dispositif, et ses musiques entrecroisées se font entendre au volume le plus fort de toute l’exposition. C’est à ce moment que les sensations corporelles atteignent un point culminant, une espèce de catharsis pour toutes les résonances absorbées et accumulées pendant le parcours.

 

De l’autre côté du mur, nous avons accès à la structure de base de cette impressionnante construction: des centaines de fils qui s’enchevêtrent les uns sur les autres, dévoilés au public avec la même ampleur que la partie principale de la pièce. Un aperçu de la complexité inhérente aux arts médiatiques, une complexité qui reste souvent et volontairement éloignée de la rencontre avec le public.

L’emplacement d’une autre œuvre de cette série, choisi de manière perspicace par les commissaires Lesley Johnstone et François LeTourneux, fonctionne comme un contrepoint intéressant en regard de tout ce dynamisme. Sphere Packing: Wagner offre ainsi une désensibilisation idéale pour que le visiteur puisse se remettre les pieds sur terre après l’expérience de Présence instable. À la sortie de l’exposition, on aperçoit une toute petite sphère en porcelaine qui pend du plafond. C’est seulement en l’approchant et quasiment en collant ses oreilles sur elle que nous sommes capables d’entendre la totalité de l’œuvre de Wagner, disposée sur des multiples canaux. Ce dispositif crée un sentiment profond d’apaisement après l’hyperstimulation dont nous avons fait l’objet tout au long de l’exposition.

Au final, la turbulence se transforme enfin en tranquillité. Mais la mémoire de la surveillance sans limite reste dans nos esprits et nous suit dans le métro, dans la voiture, nous accompagnant jusqu’à la maison. Nous quittons Présence instable certainement plus alertes qu’auparavant.

«Présence instable» de Rafael Lozano-Hemmer

Au Musée d’art contemporain de Montréal, jusqu’au 9 septembre 2018. Plus d’infos

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