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Littérature nordique, Björk et environnement en péril: entrevue avec l’auteur islandais Sjón

Littérature nordique, Björk et environnement en péril: entrevue avec l’auteur islandais Sjón

Programme B

Vous avez commencé votre carrière artistique à l’âge (très jeune!) de 15 ans. Qu’est-ce qui vous a particulièrement poussé dans cette direction?

J’ai découvert très tôt, à l’école, que les poètes faisaient quelque chose de brillant: ils créaient des images avec des mots. Quand j’avais environ 11 ans, je suis devenu «fan» de David Bowie. Son don avec les mots et ses techniques d’avant-garde ont préparé ma rencontre avec les poètes modernistes islandais, qui m’ont fasciné. Je les trouvais courageux, et j’ai voulu faire comme eux. J’ai donc commencé à écrire, et j’ai publié moi-même mon premier livre de poésie à l’été 1978, alors que j’avais 15 ans.

Vous avez écrit 14 livres de poésie, 8 romans, 5 pièces de théâtre, 3 livres pour enfants, et même une bande dessinée. Comment faites-vous pour être si prolifique?

Mes livres de poésie ne sont pas très gros [rires]! J’écris un roman à chaque quatre ans, environ, ce n’est pas une quantité énorme. Mais oui, j’ai toujours aimé travailler avec différents genres et formats littéraires.

Vous êtes notamment connu pour avoir écrit certaines paroles de chansons pour Björk. Vous avez contribué à son ascension au niveau d’icône internationale de la culture pop. Parlez-nous des débuts de cette collaboration…

Quand nous sommes devenus amis, j’avais 19 ans et Björk avait 16 ans. Nous faisions alors partie d’un groupe de jeunes qui s’adonnaient à diverses disciplines artistiques. Nous venions tous de milieux très divers: musique punk et mouvements politiques/anarchistes, mais aussi adeptes du surréalisme et de l’héritage de l’avant-garde. Notre grande force était d’expérimenter ensemble.

J’ai donc commencé en écrivant des paroles de chansons pour des groupes de musique. Ensuite, on m’a demandé d’écrire un monologue pour une école de ­théâtre. Puis, en 1986, les Sugarcubes ont connu leurs premiers succès à l’international. Björk et moi avions commencé à écrire des chansons ensemble dans les années 1990, mais c’est seulement après l’amorce de son projet solo qu’on a réellement collaboré professionnellement.

À quoi ressemble la littérature nordique d’aujourd’hui?

Les cinq pays nordiques* ont chacun leurs propres langues, traditions et profils littéraires spécifiques, alors c’est un peu difficile de dire ce qu’il s’y passe «en général». Mais on peut mentionner la grosse vague de romans policiers publiés dans les dix dernières années. Nous écrivons beaucoup de récits autobiographiques, et l’auteur Karl Ove Knausgaard, de la Norvège, est un bon exemple de cela. 

La littérature basée sur les traditions, les mythes et le folklore nordiques est très présente. D’ailleurs, historiquement et encore aujourd’hui, la présence des femmes est très forte. On peut notamment citer Sofi Oksanen (Finlande) et Sara Stridsberg (Suède).

Quelles sont les principales caractéristiques de cette littérature?

Les pays nordiques voient la culture et la création comme étant l’un des fondements de la société. La littérature nordique possède un engagement social important. On croit fermement qu’une littérature de qualité est un signe d’une communauté en santé, et même des vitamines [rires] pour celle-ci! On s’attend aussi à ce que nos artistes expérimentent et abordent des sujets difficiles.

La culture du Canada et des pays nordiques ont beaucoup de points communs. Comment qualifieriez-vous les échanges culturels entre ceux-ci?

Beaucoup d’habitants des pays nordiques ont immigré au Canada au XIXe siècle, pour s’installer autour du lac Winnipeg. L’Islande a une relation culturelle et historique très forte avec le Canada. Winnipeg est une ville spéciale, car c’est la seule place au monde – à part l’Islande! – où l’islandais est parlé et écrit couramment. Beaucoup de nos travaux majeurs parlent d’ailleurs de ce moment de l’histoire, et un réalisateur canadien d’origine islandaise, Guy Maddin, a travaillé sur la question dans ses films.

«NeoArctic» soulève des enjeux inquiétants. Pourquoi est-ce nécessaire pour vous d’aborder les problèmes environnementaux, et plus spécifiquement, l’anthropocène?

Car tout cela se passe directement sous nos yeux, et nous ne le voyons pas. Est-ce que la créativité de l’être humain résultera en une grande beauté, ou en d’énormes ravages? Venant du Nord, nous voyons déjà les conséquences des changements climatiques. Nous devons aborder la situation des réfugiés avec une approche humaniste. Un jour, nous atteindrons un moment où les gens plus fortunés pourront partir des endroits dangereux, tandis que ceux qui ont moins d’argent seront laissés derrière. Ils vont devenir réfugiés dans leur propre pays… Ceci n’est pas de la science-fiction.

Le 14 avril prochain, c’est au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts qu’il faudra se diriger, pour voir l’opéra «NeoArtic». Présentée dans le cadre de l’événement du Printemps Nordique, cette performance visuelle et musicale rassemble des artistes de calibre international. Celle-ci promet d’émouvoir et faire réfléchir sur des enjeux importants, en utilisant le meilleur vecteur pour toucher les âmes: l’art.

*Les pays nordiques:

  • Finlande
  • Islande
  • Îles Åland
  • Îles Féroé
  • Groenland

La Scandinavie:

  • Danemark
  • Norvège
  • Suède
  • Territoire des Sámi (territoire autochtone, à cheval sur quatre pays: Norvège, Suède, Finlande et Russie)

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