Derrière la couverture – Point sur l’industrie du livre au Québec
On les voit passer ponctuellement. Des pourcentages menaçants, des coups de gueule percutants, des appels alarmants à se pencher au plus vite sur les problèmes de l’industrie du livre au Québec. Ce n’est pas une lubie, loin de là: depuis 2012, les ventes annuelles de livres neufs ont connu une baisse de 11%, soit de 74,1 millions de dollars. Mais quand on va plus loin que les chiffres, qu’en est-il vraiment? Les grands – et petits – joueurs tirent quelles impressions du milieu littéraire, dans lequel ils évoluent tous les jours? Tour d’horizon avec divers auteurs, éditeurs, distributeurs, conseillers littéraires, libraires (et alouette).
Robert Lévesque n’a jamais eu peur de dire haut et fort ce qu’il pensait. Celui qui a notamment travaillé à titre de critique de théâtre et chroniqueur littéraire au Devoir s’est fait connaître pour ses textes honnêtes, jamais complaisants. «Les chroniques comme les miennes n’étaient pas bien vues. La méchanceté qu’on m’a prêtée, c’était souvent tout simplement de la franchise.» Aujourd’hui, Lévesque a changé son fusil d’épaule en dirigeant la collection d’essais Liberté grande chez Boréal. «C’est bien sûr inspiré du recueil de poèmes de Julien Gracq.» On y retrouve entre autres Ma vie rouge Kubrick de Simon Roy, Passages américains de Marie-Claire Blais et Le Poisson soi de Wadji Mouawad.
La critique sous la loupe
L’homme de lettres a un point de vue assez particulier: né en 1944, Lévesque a été aux premières loges d’un changement profond dans la manière de percevoir et de faire la critique littéraire. En 2017, nous sommes à des années-lumières de ses débuts. «À une certaine époque, il y avait des critiques dans les journaux qui avaient une certaine autorité. Gilles Marcotte, quand il parlait de livres, il partait de quelque part. On avait droit à de véritables connaisseurs: ils pouvaient aider les gens à découvrir. Maintenant, on en trouve de moins en moins. On m’interviewe d’ailleurs souvent pour savoir où est passée la critique.»
Une situation qui interpelle beaucoup Robert Lévesque. «Même si je n’ai pas toujours fait l’unanimité avec mes critiques, des gens de théâtre ou de littérature me confient qu’au moins, ils avaient un interlocuteur valable. Aujourd’hui, les artistes se font dire qu’ils sont bons, ou se font critiquer mollement. Certains journalistes aiment tout, sont très gentils… On est dans une drôle de société où tout le monde essaie d’être gentil. Les artistes n’attendent plus la critique.»
Le manque de critique littéraire pertinente, ou même son absence tout court, affecte énormément le milieu, selon Robert Lévesque. «La vie littéraire est faible, il y a de moins en moins de place dans les médias. On est dans une ère de sensationnalisme, de la nouvelle choc. La situation est malsaine: tout le monde semble s’en foutre. C’est certain que ce manque de couverture médiatique n’aide pas la vente de livres.»
Un espoir, tout de même
Troublé par ce qu’il voit dans la presse traditionnelle, l’ancien critique admet tout de même avoir l’espoir de voir éclore de nouveaux talents, autant du côté des auteurs que des critiques. Où se trouvent les plumes pertinentes aujourd’hui selon lui? «Je me pose la question. Je me promène parfois dans les blogues et les webzines. Il s’y passe de beaux trucs. Les personnes qui y écrivent sont parfois plus intéressantes que celles qui sont grassement payées.» La question est peut-être ici: est-ce que la place est là pour les talents en éclosion? Tout porte à croire que non. Toutefois, pas aujourd’hui.
L’industrie a beau ne pas être au sommet de sa forme, Robert Lévesque a un souhait bien simple pour elle: «J’aimerais qu’elle arrive à survivre!», lance l’ancien critique d’un trait. «Je crois beaucoup à la jeunesse. Je pense qu’elle va réussir à se démarquer. Les jeunes ne se contenteront pas de ça. Je pense qu’on est vraiment dans les derniers milles d’une époque où on se fout de la littérature.»
Derrière la couverture – Point sur l’industrie du livre au Québec, un dossier à suivre chaque semaine.