À propos de Métier artiste: l’envers du décor. Ce sont des rencontres avec des artistes en arts visuels. Qu’ils viennent de la performance, de l’installation, de la peinture ou de la sculpture, mon but est de parler de leur situation économique. Je veux faire connaître aux lecteurs la situation d’emploi des artistes d’ici et la précarité que certains d’entre eux peuvent vivre. Sujet presque tabou, mais crucial. Voici donc l’occasion de découvrir des artistes d’une autre manière.
Depuis une dizaine d’années, Élisabeth Picard réalise entre autres choses des expositions solos et de groupes, des projets de 1 %, en plus de participer à des résidences d’artistes.
J’ai profité de l’expérience concrète d’Elisabeth afin de la questionner sur la politique d’intégration des arts à l’architecture, ou le fameux 1 %. Cette politique vise à faire connaître l’art contemporain à la population en intégrant des oeuvres à un lieu public. C’est en 2011 qu’elle considère cette avenue et s’inscrit dans la banque d’artistes dans la catégorie 3 D et 2 D. Jusqu’à présent, elle a réalisé 3 projets, notamment pour la salle communautaire de la ville de Denholm, pour le CHSLD de la ville d’East-Angus et pour le centre de loisirs de la ville de Beloeil.
Cette sculpteure aime employer dans son travail des matériaux industriels plus ou moins nobles qu’elle détourne savamment de leur fonction première. Elle intègre également à son langage visuel la lumière et crée bien souvent des pièces où cet élément est prépondérant dans son esthétique. Dans sa production actuelle, elle travaille principalement avec des attaches à têtes d’équerre, communément nommée Ty-Rap. L’effet est stupéfiant et les nouages qu’elle réalise sont dotés d’une finesse rappelant la vannerie. En avril dernier, elle a participé à une résidence d’artiste à la Maison des métiers d’art de Québec afin de tester de nouvelles teintures pour le nylon.
Elle me confie que le principal problème avec la réalisation d’oeuvres permanentes est bien souvent la manipulation des matières: «Quand tu commences à avoir des concours et que tu n’as jamais fait affaire avec une compagnie, il faut que tu trouves la personne qui va avoir la sensibilité de faire du sur-mesure avec le raffinement et la finition que tu désires.» Une tâche qui n’est pas si évidente, à l’entendre. Elle préfère donc le plus possible manipuler elle-même ses pièces et son plus grand plaisir reste le travail en atelier. Cependant, le rôle de l’artiste lors de ce genre de projet demeure principalement celui d’un gestionnaire: «Je fais 80 % de tout, sauf de la création.» Elle est une PME à elle seule et doit porter tous les chapeaux, de la conception du projet à sa réalisation. Elle doit calculer les moindres coûts et s’assurer de bien «ventiler» son budget. Il s’agit essentiellement de laisser une bonne marge financière en cas de pépin ou d’inflation des prix. Ce qui peut arriver très souvent avec le prix des matériaux. Les moindres détails doivent être pensés en amont, par exemple la réalisation d’ancrages solides afin d’installer les oeuvres de façon sécuritaire et permanente. Il est impérativement demandé aux artistes d’assurer la pérennité des projets réalisés. Une situation qui peut être parfois stressante, surtout lorsque les paramètres sont nouveaux, ce qui est souvent le cas: «J’ai de la difficulté à dormir parce que je somnole, j’angoisse à des problématiques non résolues. C’est beaucoup pour une seule personne.»
Elisabeth donne de manière sporadique des contrats à durée variable lorsqu’elle en a besoin. Elle fait principalement affaire avec des artistes, car à son avis ils sont les plus efficaces et qualifiés pour ce genre de travail. Selon elle, ils sont en mesure de comprendre le genre de défi à relever. Elle-même a travaillé pour plusieurs d’entre eux dans le passé: «J’ai travaillé pour d’autres artistes et c’est ce que j’ai trouvé de mieux pour moi. J’ai travaillé entre autres pour Lisette Lemieux et Laurent Lamarche, qui travaillent tous deux avec des matières détournées et la lumière. Ils ont gagné plusieurs concours. Je suis super bonne manuellement, alors j’exécutais pour eux.» Lorsqu’elle ne travaille pas pour elle-même ou comme technicienne dans l’atelier des autres, elle exécute à son propre compte des maquettes architecturales sur mesure pour les autres artistes en concours qui choisissent de se concentrer plus amplement sur l’œuvre à développer. Elle dit avoir toujours cherché le travail idéal, mais qu’elle ne l’a pas encore trouvé.
Lors de mon passage dans le nouvel atelier d’Élisabeth, elle en était aux derniers préparatifs d’un projet de 1 % pour le centre professionnel de Lachine – édifice Dalbé-Viau. J’ai donc pu voir le travail en chantier. Il ne lui restait qu’à encadrer ses pièces et à procéder à son installation. Pour le futur, elle souhaite continuer à faire des projets de 1 % et pouvoir en vivre à long terme. Je lui souhaite d’avoir la chance de poursuivre son rêve et de réaliser encore de fabuleux projets.
Détournement de fonction | Elisabeth Picard réinvente le… “tie wrap”!, à voir sur La fabrique culturelle
Crédit photo en-tête: Michel Dubreuil. Oeuvre: Défragmentation, 2014 (64 800 attaches autobloquantes (Ty-rap) teintes, éclairage DEL, aluminium et acier peint à l’émail cuit. Installation de 8 x 12 x 1 pieds, teinture: Sébastien Jutras)