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Guillaume Lombard, président de la maison d’édition Ad Litteram et de la plateforme musicale Livetoune

Guillaume Lombard, président de la maison d’édition Ad Litteram et de la plateforme musicale Livetoune

Qui êtes-vous et quel est votre parcours dans l’industrie de la musique?

Cela fait 20 ans que je suis au Québec et 30 ans que je suis dans l’industrie de la musique. Je suis éditeur musical et je vais fêter les 20 ans de mon entreprise cette année. Le rôle de l’éditeur est de gérer et de promouvoir la musique qu’il détient. On travaille avec des auteurs, et tous les autres acteurs de l’industrie utilisent nos musiques. Cela veut dire que contrairement à des producteurs et des utilisateurs comme la radio, la télévision, le cinéma, la publicité qui utilisent des musiques et pour qui ce sont des charges, nous ce sont nos revenus. Donc on est à la fois partenaire avec ces gens-là, on est leur fournisseur, mais en même temps on est aussi des acteurs qui influencent l’utilisation de la musique parce qu’on va financer des auteurs et leurs projets pour que les gens l’utilisent.

Qu’est-ce qui a changé dans votre activité ces dernières années?

Globalement, les gens consomment de plus en plus de musique et il y a de plus en plus de moyens pour la consommer. On la consomme de moins en moins en CD et de plus en plus en spectacle, streaming, streaming vidéo. Il y a six ans, personne ne savait ce que c’était que le streaming. En ayant découvert l’existence de ce dernier, j’ai acheté des caméras, une régie pour pouvoir faire de la captation et de la diffusion en direct d’événements sur le web. On a de plus en plus fait du contenu qu’on a mis sur YouTube, au départ pour les artistes, puis on a créé Livetoune pour l’ensemble de l’industrie. Donc on est dans le streaming audio et vidéo depuis le début. Mais c’est vrai que je pense qu’on est quasiment les seuls au Québec à avoir un département audiovisuel – je dis toujours audiomusical ou vidéomusical.

Donc oui, ça a changé la façon de travailler, parce que avant l’éditeur faisait les maquettes. On produisait les maquettes qu’on donnait aux producteurs de disques qui eux faisaient les maisons de disques. 

Maintenant on est quasiment aussi des investisseurs: on est obligé de financer une grande partie des frais, parce qu’il y a de moins en moins de revenus sur les ventes de disques. Par contre il y en a de plus en plus sur les droits. Approximativement en 15 ans, on est passé d’un volume de l’enregistrement sonore qui faisait 90% et l’édition 10%, maintenant c’est du 50/50 ou presque. Ça a beaucoup changé. 

On parle beaucoup de crise de l’industrie musicale en ce moment. Vous qui êtes depuis longtemps dans le métier, quels sont les changements que vous observez?

C’est sûr que notre problème actuellement au Canada, c’est la législation. Au Canada quand on utilise de la musique, il y a une commission du droit d’auteur qui régit tout ça pour le principe des droits d’auteurs et qui donne des tarifs pour tout. Si vous utilisez une musique pour la radio, ça va être tant d’argent, sur un site internet ça va être un autre montant, et on ne peut rien y faire. 

Si un producteur de spectacles utilise la musique, c’est 3 % des billets, ce qui n’est pas beaucoup. La radio c’est 4 % de leurs revenus publicitaires, ce n’est pas beaucoup non plus. En Europe, c’est en moyenne entre 8 à 10 %. C’est le double. 

En France, par exemple Spotify a 4 millions et demi d’abonnés, donc c’est du streaming à 10€, ce qui fait 45 millions d’euros par mois. On multiplie ce montant par 12, qui nous donne 600 millions d’euros rien que pour Spotify. Ils reversent 70%, contrairement aux radios qui ne versent que 4%. Juste pour comparer: si c’était une radio, ils ne donneraient que 24 millions. Spotify en donne 420 millions, ce qui est énorme. Ce sont des nouveaux revenus pour l’industrie la musique en France et en Suède surtout, parce que c’est les deux pays qui ont vraiment travaillé là-dessus. Alors que nous au Canada on ne peut pas faire ça parce qu’il faut que la commission des droits d’auteur décide combien ça va être et on ne sait toujours pas. Donc on imagine. 

Il y a des dossiers comme ça où on a des droits 10 ans plus tard, parce que tout est bloqué. C’est un réel problème pour nous, parce qu’on ne sait pas exactement combien on va toucher et on ne sait pas combien on peut investir. Et pour l’instant si on est sur des standards comme la radio, on sait que ce ne sera pas grand chose. La problématique est là.

Quelles solutions apporteriez-vous pour affronter cette crise?

Il y en a toujours des solutions. Il y a eu la chute du disque. Pourquoi? À cause du piratage à l’époque, puisque c’était possible de télécharger gratuitement. Cette période est finie. Il y a certes encore des gens qui le font, mais il n’y a plus aucun intérêt, puisqu’il y a du streaming gratuit. Mais il faut toujours des masters. Par contre le problème, c’est qu’il faut que la rémunération du streaming augmente pour compenser ce genre de situations. Mais ça va se faire naturellement parce que le streaming sera dans l’abonnement des gens. La radio c’est gratuit et on écoute la musique, on ne se pose pas la question. Pourtant on touche des droits. Tout simplement, c’est sur les revenus publicitaires. Il faut trouver un système de rémunération sur ce principe-là. C’est ce qui ce fait en France. En France, c’est sur l’abonnement. Tout simplement. Je prédis que dans cinq ans, les sites de streaming, c’est eux qui vont financer l’industrie.

Il faut toujours être à l’affût de nouvelles technologies, de nouvelles façons de travailler et puis trouver des artistes qui ont aussi l’envie d’aller là-dedans, parce qu’il y en a quand même beaucoup qui sont réfractaires. En fait ils ne sont pas réfractaires, mais c’est qu’ils ne savent pas comment faire. Le gros problème, je trouve, c’est qu’on n’a pas la formation pour promouvoir nos artistes sur le web. Ou bien on fait appelle à des agences de pub, mais c’est complètement différent parce qu’on n’est pas dans le milieu de la musique, ou alors il reste quelques attachés de presse. Mais est-ce qu’on a vraiment les moyens pour ça ? Je ne suis pas sûr. Les gens n’ont pas cette formation. J’essaye de faire des formations au maximum. Il faut savoir ce qui se passe pour pouvoir anticiper et l’appliquer. C’est un peu mon boulot de tous les jours. Quand on me demande qu’est-ce que je fais, je réponds que je suis stagiaire. J’apprends tous les jours. Il faut être ouvert à la recherche.

Qu’est-ce que vous cherchez à un événement comme les Rendez-vous Pros des Francos?

C’est un moment où l’on va rencontrer beaucoup de partenaires potentiels qui sont à la fois des gens du Québec, que l’on n’a pas le temps de rencontrer pendant l’année, et des gens de l’international. C’est un lieu et un moment où les gens vont se rencontrer. Je m’occupe de l’artiste Moran, par exemple, et j’ai trouvé son partenaire belge l’année dernière parce qu’il a vu ce dernier aux FrancoFolies. Pareil pour son partenaire français que j’ai rencontré au Coup de cœur francophone: il l’a vu en concert, il a aimé et on travaille ensemble. Donc ça c’est un des résultats des Rendez-vous Francos Pros.

Qu’est-ce que vous espérez pour le futur de l’industrie musicale au Québec?

On limite la francophonie à l’Europe, hors c’est une grave erreur. Le français est la troisième langue la plus parlée dans le monde. Dans peu de temps, on sera 700 millions de francophones, dont les trois quarts seront en Afrique. Donc c’est un marché sur lequel il faut aller pour développer nos artistes. Ils ont la même langue! Et les métissages vont enrichir la musique francophone. Je trouve qu’il n’y a pas assez d’initiative à la fois collectives et individuelles pour y aller. On ne pense pas à la consommation qui peut être faite à l’autre bout du monde. Le marché n’est plus local. Le local c’est le monde.

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