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Jean-Luc Loiselle de l’Agence du livre: «Vous ne parlez pas au gars qui va se plaindre!»

Jean-Luc Loiselle de l’Agence du livre: «Vous ne parlez pas au gars qui va se plaindre!»

Derrière la couverture – Point sur l’industrie du livre au Québec

On les voit passer ponctuellement. Des pourcentages menaçants, des coups de gueule percutants, des appels alarmants à se pencher au plus vite sur les problèmes de l’industrie du livre au Québec. Ce n’est pas une lubie, loin de là : depuis 2012, les ventes annuelles de livres neufs ont connu une baisse de 11%, soit de 74,1 millions de dollars. Mais quand on va plus loin que les chiffres, qu’en est-il vraiment? Les grands – et petits – joueurs tirent quelles impressions du milieu littéraire, dans lequel ils évoluent tous les jours? Tour d’horizon avec divers auteurs, éditeurs, distributeurs, conseillers littéraires, libraires (et alouette).

«J’ai baigné dans le milieu du livre. Ma mère était comptable dans une maison d’édition.» Pourtant, le jeune homme se dirigeait vers un tout autre métier: ingénieur du son. «J’ai envoyé des cvs dans plusieurs endroits, et j’ai été engagé dans une maison d’édition de logiciels, Logidisque, qui s’est mis à publier des livres sous le nom des Éditions Logiques. Et ça fait 30 ans que je suis dans le métier. Je ne pensais franchement pas travailler en culture, mais je m’y plais vraiment.»

L’Agence du livre, qui assure la distribution de plusieurs milliers de livres provenant du Québec et de l’Europe chez les détaillants, se spécialise dans les albums jeunesse et les beaux livres. «On distribue peu de romans. 90% de nos livres ne sont pas monochromes, il y a beaucoup de couleurs!» Un créneau qui attire son lot d’attention selon lui. «Oh oui, ça intéresse le grand public. Surtout le livre jeunesse. Les gens aiment se procurer des beaux livres, bien écrits, bien illustrés.»

A-t-il l’impression que le livre électronique vient menacer tout ça? «On a parlé de la disparition du papier au profit de l’électronique, mais tout compte fait, c’est un échec. Oui, ça plaît à un petit pourcentage de la population, mais le livre à batteries n’a pas pris son envol.» Si le virage numérique a eu un effet dévastateur sur plusieurs domaines, le livre est épargné selon lui. «Ça n’accroche pas les gens comme on aurait pu le croire. Les gens réalisent plutôt qu’ils aiment l’objet, qu’ils peuvent d’ailleurs transporter partout sans le brancher.»

«Chaque livre est un défi.»

Pourtant, Jean-Luc Loiselle l’admet, cet attrait du public ne suffit pas. «Chaque livre est un défi. Il faut bien le présenter, faire des placements qui correspondent au marché et à l’endroit. Chaque libraire a ses propres spécialités, ses catégories… Il faut vraiment évaluer.» Lui est-il déjà arrivé de faire de mauvais choix en pensant adopter la bonne stratégie? «Oui, c’est certain. On n’est à l’abri de rien! Je repense souvent à mes bons coups, et j’essaie de tirer du bon de mes erreurs. Ça m’est aussi arrivé de mal évaluer le succès d’un livre et d’être surpris par l’accueil.» Comme pour le livre jeunesse La couleur des émotions d’Anna Llenas chez Quatre Fleuves, qui a été placé en centaine d’exemplaires, pour finalement se retrouver épuisé jusqu’en août. «On est à presque 6000 exemplaires vendus! Un beau problème», avoue le directeur commercial en riant.

Selon Loiselle, la prudence est toujours de mise. «Il faut faire bien attention en pensant une mise en marché. Les erreurs commises en inondant le marché, ça peut avoir de graves conséquences. Il faut parfois revoir les ambitions.» Parce que mine de rien, les exemplaires non-vendus se retrouvent plus souvent qu’autrement sur une table de solde au vu et au su de tous, avec un beau gros 3.99$ sur le dessus. «Ce n’est pas jo-jo. C’est humiliant pour l’auteur, qui peut se faire demander pourquoi son livre ne s’est pas vendu… Alors que le livre s’est très bien vendu, mais qu’il a été imprimé en 10 000 exemplaires de trop.» Un projecteur indésirable et un peu ingrat, que certaines personnes voient comme un échec parce qu’elle n’ont pas les outils pour comprendre le monde du livre. «Je ne pense pas que les gens soient conscients du travail énorme, des efforts, que ça implique. Ni les risques. Toute la chaîne du livre peut être affectée par un échec. Il y a beaucoup de frais derrière tout ça.»

Tout va bien dans le meilleur des mondes?

Pourtant, Jean-Luc Loiselle est d’un optimisme presque désarmant face à l’industrie du livre. «Vous ne parlez pas au gars qui va se plaindre! Ça va bien! On n’est pas dans le domaine pétrolier ou bancaire, mais je considère que ça va très bien, que c’est très dynamique. Oui, il y a eu une période difficile pendant laquelle des librairies fermaient. Honnêtement, il y en avait beaucoup. Ceux qui ont fermé ne se sont pas adaptés. Ceux qui restent sont très dynamiques, passionnés.»

Et que pense-t-il de l’éternel combat – si vous me passez le terme – entre chaînes de librairies (bien le bonjour Renaud-Bray et ses acolytes) et les librairies indépendantes? «Autant les indépendants se spécialisent dans le livre, autant les chaînes diversifient leur offre.» Et visiblement, ça ne leur nuit pas. «Oh ça, je ne sais pas du tout. C’est aussi secret que l’élection d’un pape!»

Peu importe la librairie où ils travaillent, le directeur commercial de l’Agence du livre ne tarit pas d’éloge pour les libraires, qui sont selon lui de véritables mines d’or d’informations sur la littérature. Dans un monde où la couverture médiatique de la littérature est de plus en plus rare, c’est précieux. «Eux vont vous parler de littérature! Ça vaut tous les blogues, les réseaux sociaux, les journaux…»

Derrière la couverture – Point sur l’industrie du livre au Québec, un dossier à suivre chaque semaine. Lire les autres chroniques.

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