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Caroline Fortin de Québec Amérique: un défi après l’autre

Caroline Fortin de Québec Amérique: un défi après l’autre

Derrière la couverture – Point sur l’industrie du livre au Québec 

On les voit passer ponctuellement. Des pourcentages menaçants, des coups de gueule percutants, des appels alarmants à se pencher au plus vite sur les problèmes de l’industrie du livre au Québec. Ce n’est pas une lubie, loin de là : depuis 2012, les ventes annuelles de livres neufs ont connu une baisse de 11%, soit de 74,1 millions de dollars. Mais quand on va plus loin que les chiffres, qu’en est-il vraiment? Les grands – et petits – joueurs tirent quelles impressions du milieu littéraire, dans lequel ils évoluent tous les jours? Tour d’horizon avec divers auteurs, éditeurs, distributeurs, conseillers littéraires, libraires (et alouette).

Celle qui est maintenant directrice générale a-t-elle toujours su qu’elle allait travailler dans le milieu du livre? C’est avec un rire franc que la professionnelle répond: «Sincèrement non. En fait, je ne voulais pas faire ça.»

Ses études de design en poche, Fortin s’est retrouvée à travailler dans la maison d’édition de son père par la bande… Pour finalement s’y accrocher solidement les pieds. «L’édition, on s’enfarge là-dedans. Beaucoup arrivent par de drôles de chemins. Certains ont des diplômes en littérature, oui, mais ce n’est vraiment pas généralisé. J’ai pu utiliser mes études en design dans mon travail, et apprendre beaucoup en travaillant dans une maison d’édition.»

Ses collègues du monde de l’édition ont tous un point commun toutefois: la passion. «J’ai développé un fort amour littéraire. Mon père a créé une maison extraordinairement solide, qui a un catalogue très diversifié entre littérature, essais, références, applications… Les gens qui travaillent dans ce milieu doivent être passionnés.» Toujours en mouvement, la maison d’édition qui vient tout juste de déménager dans Villeray, «pour être dans un quartier plus dynamique», n’hésite pas à diversifier ses offres pour se renouveler constamment. «On fait maintenant des podcasts, on a notre nouveau café Chez l’éditeur, on a été un des premiers éditeurs à mettre tout notre catalogue en numérique. D’ailleurs, les ventes ont été très vite stagnantes de ce côté-là… Aujourd’hui, il faut toujours se remettre en question!»

De père en fille

On s’en doute déjà: l’industrie du livre a eu le temps de changer plus souvent qu’à son tour depuis que Jacques Fortin a lancé Québec Amérique. Dans un éclat de rire, Caroline Fortin avoue que ça n’a pas toujours été de tout repos. Les défis ont pris quelle forme avec le temps? «Entre l’expérience de mon père et la mienne, les différences sont énormes. Lui était occupé à monter une compagnie, alors que je fais plutôt face aux changements drastiques dans le paysage médiatique. On parle d’une époque où mon père pouvait avoir une belle attention médiatique, dans quelques journaux et à la radio par exemple, en sortant un livre un peu polémique. Aujourd’hui, on se retrouve devant une multitude de médias, autant des blogues que des journaux… Et pas nécessairement d’attention.»

Si les gens qui œuvrent dans le monde des médias ont encore bien des difficultés à s’y retrouver dans tous les changements des dernières années, imaginez ceux qui veulent faire passer une nouvelle! Ironiquement, il y a de plus en plus médias, mais de moins en moins d’espace médiatique pour la littérature. «C’est devenu un des plus grands défis des éditeurs. Comment rejoindre le lectorat? Tout ça en ayant de moins en moins de moyens parce que les livres se vendent de moins en moins… C’est loin d’être évident.»

En plus de ne plus trop savoir à quelle porte cogner, les éditeurs se retrouvent souvent devant des couvertures tout à fait différentes de leurs livres. «Avant, il y avait des critiques établis, des espèces de guides. Aujourd’hui, on parle des auteurs, mais il y a de moins en moins de critiques. Il y a les critiques sur Facebook, mais elles sont de moins en moins construites, structurées. Je sais qu’il y a plusieurs blogues littéraires, mais on ne connaît pas réellement leur portée. Il y en qui apparaissent, qui disparaissent… Je suis un peu perdue en suivant ça en ce moment. C’est le défi de l’avenir, je crois.»

Comment tirer son épingle du jeu?

Si Caroline Fortin n’est pas particulièrement optimiste sur l’état de l’industrie du livre aujourd’hui, elle se garde tout de même une réserve. «C’est impossible de dire comment va le milieu. J’aurais besoin de prendre du recul. Je vois souvent d’autres éditeurs, on discute, et on se dit que c’est plus difficile… Mais je n’ai pas les chiffres. Ce que je peux dire, c’est que ça va plus mal que ça n’a jamais été. Je trouve ça dommage: il y a moins de diversité dans les succès. Aujourd’hui, c’est le best-seller ou rien. Des écrivains se perdent là-dedans.»

Fait tout à fait logique, mais un brin inquiétant pour l’avenir du livre: les écrivains qui peuvent se targuer d’avoir une belle communauté sur les réseaux sociaux vendent davantage de livres que les plus discrets. «C’est vrai, les maisons d’édition commencent à regarder ça. Quand un auteur nous arrive avec une page Facebook étoffée, on voit tout de suite la différence.» Alors, aucune chance pour tous les potentiels Réjean Ducharme de ce monde? «Je ne pense pas, effectivement. Certains créateurs sont très mauvais pour se vendre. C’est pour ça que les éditeurs sont là! Mais si on doit se fier au réseau de l’auteur, c’est plus complexe.»

Québec Amérique n’hésite toutefois pas à donner la chance aux auteurs émergents qui ont un beau talent. «Il faut prendre le risque. Tous les grands, comme Yves Beauchemin ou Marie Laberge, ont écrit un premier roman. C’est souvent fort possible qu’on ne fasse pas nos frais au premier titre. Au pire, on se dit que ça marchera mieux au deuxième ou troisième.»

À la lumière de ces constatations, que souhaite Caroline Fortin à l’industrie du livre? «Je souhaite un gouvernement qui va investir dans l’éducation, pour faire en sorte que les jeunes lisent québécois. Ne serait-ce que de s’assurer qu’il y a des livres québécois dans les écoles et les bibliothèques. Tout part de là. C’est vraiment un investissement à faire.»

Derrière la couverture – Point sur l’industrie du livre au Québec, un dossier à suivre chaque semaine. Lire les autres chroniques.

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