
Selon Le Hir, la plupart des journalistes musicaux sont des musiciens ratés, rien de moins. «J’en fais partie, et je gère ma frustration assez bien grâce à cet exutoire que représente Hartzine. Enfin, exutoire, façon de parler: on a décidé il y a longtemps qu’on n’était pas là pour assassiner les mauvais disques et jouir de notre propre méchanceté. Sur le site, on n’écrit qu’à propos de ce qu’on aime, à quelques exceptions près. Pour finir de répondre à ta question, je ne vais pas être très original en disant que ma passion pour la musique, doublée d’une envie d’écrire sur la chose, m’ont conduit à rejoindre Hartzine, par le truchement d’un pote, Thibault, qui y bossait déjà.»
Dès le début, Hartzine a présenté une mission différente – et même complémentaire – aux médias plus traditionnels: «Notre devise n’a officiellement pas bougé d’un iota: « Faire de la place à ceux qui en manquent ». Et malgré tout ce qu’on pourrait reprocher à cette formule, ça continue de coller à notre objectif qui reste de partager avec les gens les disques, les artistes, les projets qui nous touchent. Le pendant négatif, c’est que forcément, on reçoit quotidiennement un océan de merde dont les auteurs pensent qu’ils ont leur place dans nos pages. Mais c’est là le hic: c’est pas parce qu’on laisse les autres médias se charger du tout-venant promotionnel qu’on va donner un écho au travail du premier clampin venu qui s’est fait refouler par les autres.»
Un blogue… dans une mer de blogues
En France encore plus qu’au Canada, les blogues et les webzines ne manquent pas. Comment tirer son épingle du jeu quand on n’a plus assez de doigts pour compter ses «concurrents»? «Au risque que ça passe pour de la prétention, il y a peu de médias web qui continuent aujourd’hui comme Hartzine de suivre leurs envies en se détachant du calendrier promotionnel imposé par les labels et les agences de promo. Chez nous, on en a plus ou moins rien à foutre de ne pas coller à l’actu. L’idée est avant tout de développer un propos de qualité pour les lecteurs, une analyse étayée de ce dont on parle, au rythme des envies et des découvertes des membres de l’équipe. Les articles qui tiennent en 150 signes pour à tout prix y aller de sa petite bafouille sur le sujet du moment, très peu pour nous.»
D’ailleurs, Le Hir pense que la plupart des blogues et webzines ne sont que de passage. C’est bien beau s’investir corps et âme dans un projet, mais si c’est seulement les billets gratuits qui attirent les blogueurs, le collaborateur de Hartzine croit sincèrement que ça ne durera pas. «J’ai l’impression que la plupart disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Et puis clairement, ils sont souvent montés par quelques personnes qui veulent aller gratuitement aux concerts, sans plus d’ambition. C’est pas une critique, c’est aussi en partie pour ça que j’ai rejoint Hartzine au départ. Mais après, soit tu bosses ton contenu pour que ça tienne sur la longueur et que tu apportes réellement quelque chose aux lecteurs, soit tu disparais aussi vite qu’on tire une chasse d’eau.»
«La scène indépendante va toujours aussi mal!»
Sylvain Le Hir a beau investir son temps dans le projet Hartzine, il n’est pas plus positif face à la situation actuelle. Selon lui, la scène ne se porte pas bien. Pas bien du tout. «La scène indépendante va toujours aussi mal! Certes, de nombreux petits labels fleurissent ici et là, et participent grandement à la diversité des sorties, quand les grands labels continuent de se vautrer dans une certaine médiocrité. Mais le fait est que ces microstructures ne font toujours pas d’argent, du moins rarement plus que la somme suffisante pour couvrir les frais de production. Alors ce qui est sûr, c’est que pour gagner quelques ronds, les artistes doivent assurer des concerts souvent organisés par les labels eux-mêmes dans le prolongement de leurs sorties. Mais je suis pas sûr du tout qu’on puisse se réjouir de cette conséquence, à partir du moment où faire de la scène ne relève même plus de la sphère du choix mais devient une question de survie.»
Les artistes, bien sûr, sont les victimes éternelles de cette scène qui se cherche et qui n’en finit plus de ne pas se trouver: «Les musiciens indépendants vont vivre un paquet de difficultés. Mais j’aurais tendance à dire qu’une des principales restera toujours de trouver un bon label, qui leur apportera une vraie plus-value. Parce que justement, les microlabels se multiplient, mais ceux qui ont une vraie vision, un savoir-faire, sont déjà moins nombreux. Si internet a facilité les choses en termes de diffusion, il faudra toujours quelqu’un capable de consacrer de l’énergie à mettre en valeur une sortie dans l’immense égout que représente le flux incessant de musique apparaissant sur Soundcloud, Bandcamp et autres.» Un conseil pour les artistes qui tentent d’accéder à la lumière des projecteurs? «Ah non, pas du tout. Démerdez-vous!»