À travers trois personnages dont le destin fera ricochet et qu’on suit à travers autant de pays, Sophie Goyette s’interroge sur ce qui nous unit malgré nos différences.
La cinéaste a choisi comme fil conducteur de son récit les rêves. Ceux qu’on fabrique la nuit à partir des détails du quotidien et de l’inconscient, parfois malgré nous, les rêves éveillés, les rêves d’enfance que la vie a parfois tôt fait de nous faire abandonner: ils sont tous présents ici, dans un récit atypique où se tissent lumière, obscurité, musique, images plus grandes que nature où les personnages apprennent à habiter leur vie au fur et mesure qu’ils se déploient.
Pour y arriver à un tel résultat, Sophie Goyette a donné tout ce qu’elle avait: «J’ai l’impression qu’on offre un coeur qui bat dans le film». Et à l’entendre raconter le processus qui a façonné celui-ci, on la croit. Écrit en dix semaines, minutieusement préparé pendant l’année suivante, puis enfin tourné par une équipe très restreinte (dont Léna Mill-Reuillard à la superbe direction photo), en 17 jours répartis sur douze mois, dans une multitude de lieux soigneusement choisis dans trois pays, la cinéaste autodidacte (qui a étudié en microbiologie) a également produit et monté son film.
Pour apprécier le fruit de ces efforts, le spectateur doit d’abord s’abandonner au rythme particulier du film. «Je demande de la patience [au spectateur] au début, mais où je crois que le film va lui rendre quelque chose en retour», estime la réalisatrice. Les dialogues, qu’elle juge «oniriques» et «décalés», «peut-être de deux pas de notre réalité quotidienne», sont en partie responsables de ce décalage.
«Je pense qu’à ce niveau-là, c’est Éliane [Préfontaine, dont le personnage porte le même nom] qui avait le plus gros défi: c’est qu’on embarque avec elle tout de suite dans le type de discussion qu’elle va avoir, pour que par la suite, quand ça bifurque vers l’anglais, et que ça bifurque vers l’espagnol puis vers le mandarin, je trouve qu’on est déjà habitués à ces types de dialogues-là, ce rythme-là.»
La réalisatrice ne tarit d’ailleurs pas d’éloges à propos de son actrice, également musicienne accomplie (elle fait notamment partie du trio électro Paupière, qui lancera son premier album ce printemps). La collaboration entre les deux femmes a débuté il y a six ans, lorsque Préfontaine a joué dans le court-métrage La Ronde, que Goyette réalisait. L’actrice avait également joué la musique pour Le Futur proche, cinquième court de la cinéaste.
«Éliane, un peu comme moi, a cette ouverture à l’autre, résume Sophie Goyette. On a cette soif-là, de curiosité, d’aventure, et c’est quelque chose qui nourrit le film: de pas avoir peur de l’Autre avec un grand A, parce que ça peut vraiment être un miroir.»
Pour l’actrice, le cinéma de Sophie Goyette est unique: «C’est une douceur, c’est un instinct vraiment fort, c’est beaucoup de sensibilité, puis de l’espoir. C’est pas un film qui oppresse, c’est un film qui élève en bout de ligne.»
Mes nuits feront écho est certes porteur de lumière. «Je crois que tout le monde on a quelque chose de spécial, et je voulais le donner à chacun des personnages», déclare la créatrice, qui adore donner des talents cachés qui se révéleront en cours de route à ses protagonistes.
Ainsi, on commence par suivre Éliane, jeune femme mélancolique qui gagne sa vie en faisant la princesse dans des fêtes pour enfants et qui se retrouvera au Mexique, question de voir si elle y est. Entre ensuite en scène Romes, père aimant qui a pourtant une relation distante avec son propre père, Pablo, qui complète le trio de personnages. Le père et le fils se retrouveront en Chine pour un ultime voyage, qui leur permettra d’amener ailleurs leur relation.
Le récit se déploie à la manière d’une course à relai: «Les personnages se passent la balle, résume Éliane. Moi j’arrive à mon point b et je passe la balle à Romes et lui s’en va ailleurs. Je trouvais ça beau que ça ne soit pas une résolution de personnage, mais vraiment qu’on se passe le flambeau de personnage en personnage.» «Je pense que ce sont des gens qui, en dévoilant leur intériorité, essaient de se faire écho pour s’aider», complète la réalisatrice. «Des fois, on va au bout du monde pour se confronter alors que tout est déjà là.»
La quête de ces trois personnages cadre particulièrement avec le début d’année, toujours riche de promesses et de bonnes intentions. «On sort des fêtes et on est tous, veut, veut pas, en remise en question, expose Sophie Goyette. J’offre [aux spectateurs] des personnages qui font ça, sur grand écran, pour les accompagner.» Le film sera présenté sur cinq écrans du Québec à compter d’aujourd’hui.
À l’instar des personnages du film qu’on voit dans leur processus d’affranchissement, l’année qui vient s’annonce faste pour la cinéaste et pour l’actrice. Mes nuits feront écho est en compétition internationale dans la section Bright Future festival de films de Rotterdam, alors que le projet musical d’Éliane, Paupière, sera en tournée en Italie au même moment, et sortira un premier album sur étiquette Lisbon Lux peu de temps après. Une éclosion simultanée pour deux rêveuses doublées de travailleuses acharnées.
Projections spéciales suivies d’un Q&A avec l’équipe:
– Vendredi 13 janvier 19h15 au Cinéma Beaubien à Montréal
– Samedi 14 janvier 19h à la Cinémathèque québécoise à Montréal
– Dimanche 15 janvier 19h10 au Cinéma Cartier à Québec