Menant la barque de la revue JEU depuis 2011, Christian Saint-Pierre ne croyait pas se retrouver au coeur d’une telle tornade festive pour les 40 ans de la publication. Lorsque le numéro 150 paraît en 2014, avec un format et un design repensés ainsi qu’un nouveau parti pris pour la couleur, c’est à ce moment que le rédacteur en chef souhaite célébrer, sans attendre le changement de dizaine. « Pour moi, c’était un coup de barre que je donnais. Je voulais vraiment changer le message qu’on envoie », se remémore-t-il, ajoutant d’un même souffle que les ventes avaient périclité au fil des années. «Le passage à la couleur a vraiment amené un nouveau public, et je dirais même une réconciliation avec une certaine partie du milieu, parce qu’il faut pas se leurrer, quand même une bonne partie de notre lectorat c’est le milieu théâtral lui-même.»
Crédits photos: Camille Gladu-Drouin
D’où cette idée de célébrer sa vivacité avec le « Jeu des 40 », 40 capsules vidéos produites par Jérémie Battaglia qui mettent donc de l’avant 40 créateurs de moins de 40 ans, avec une « parité complète » entre hommes et femmes, tous issus des « quatre grands corps de métier du théâtre: 10 auteurs, 10 metteurs en scène, 10 concepteurs, 10 comédien[ne]s. » Christian Saint-Pierre affirme sans surprise que le choix a été extrêmement difficile: «Ça a vraiment été un sacrifice, parce que quand on pense qu’il y a seulement 10 comédiens, 5 hommes 5 femmes, y a beaucoup de gens qu’on voulait voir dans cette sélection-là qui s’y retrouvent pas.»
Alors que l’équipe de JEU «espère vraiment que la communauté théâtrale va s’emparer de ces capsules-là et les partager sur leur plateforme allègrement», chacune des vidéos vise à mettre de l’avant l’univers de l’individu présenté. «Ils ne sont pas là pour vendre un spectacle, ils ne sont pas là pour vendre des billets, ils sont là pour nous dire pourquoi tous les matins ils se lèvent pour écrire, pour concevoir des costumes, pour mettre en scène, pour jouer. De cette façon-là on était sûr d’être au plus près de l’artiste et de sa raison d’être.»
La revue, qui se dédie aux arts vivants, le théâtre en tête de liste, n’a pas le créneau le plus lucratif qui soit. Qui plus est, le théâtre souffre ces dernières années d’une visibilité médiatique fondant comme une peau de chagrin. Pour expliquer la longévité impressionnante de sa publication, Saint-Pierre déclare avoir davantage d’intuitions que de certitudes: «Peut-être que le généralisme c’est pas la solution, c’est peut-être mieux d’être plus spécifique et de s’adresser à un lectorat précis.» Il ajoute, le sourire dans la voix: «Il est peut-être petit notre lectorat, mais il existe, et il a soif de lire et de réfléchir sur le théâtre.»
Chose certaine, le rédacteur en chef partage cette soif et ne s’est pas assis sur ses lauriers depuis son arrivée à ce poste en 2011, s’efforçant de «renforcer la marque», notamment avec des pages couverture proposant des photos originales, un changement de format et un passage à la couleur. «J’ai l’impression que c’est ça qui a porté fruit, et qui fait qu’on est rendu à deux fois plus d’abonnés et deux fois plus de ventes en kiosque.»
Question financement, JEU peut compter sur le soutien des trois Conseils des arts (montréalais, québécois et canadien), à hauteur de 70%. Son montage financier est complété par des revenus autonomes composés des abonnements, des ventes en kiosque, ainsi que des revenus publicitaires provenant de son site web et de sa publication papier.
Ces deux plateformes, papier et numérique, sont là pour coexister, même si cela décuple la charge de travail de l’équipe, qui compte présentement 11 personnes dont deux stagiaires. «J‘ai l’impression qu’on mène de front deux médias: un média papier, qui parait 4 fois par année, et un média web, qui parait tous les jours», résume-t-il. «On essaie d’être au plus près de l’actualité dans le site internet, et d’être au plus près du milieu d’une manière plus approfondie dans la revue.»
«Je suis très heureux d’avoir repris quelque chose qui pour moi occupe une place fondamentale dans ma propre vie depuis si longtemps», déclare Christian Saint-Pierre. Il faut dire que son premier contact avec la revue remonte à loin: fils de banlieue, JEU lui permettait de vivre par procuration plusieurs pièces de théâtre auxquelles il n’aurait pas eu accès autrement. «C’est vraiment mon point d’ancrage, c’est mon école: en fait ça fait près de 20 ans [17 ans, nous précisera-t-il] que j’écris à JEU. C’est ici que j’ai appris à faire de la critique.» Et s’il se commet parfois sur d’autres plateformes pour discuter de sa passion théâtrale, il apprécie particulièrement «la chance [que permet JEU] de pousser plus loin, d’analyser des démarches, de mettre des choses en relation aussi.»
Pour ce 160e numéro, la revue se renouvelle et consacre pour «la première fois dans une époque récente» son dossier à un festival, Actoral, qui débutait hier à l’Usine C et se poursuit jusqu’au 5 novembre. Le festival, fondé par Hubert Colas à Marseille, présente «des démarches très très contemporaines, comme j’aime beaucoup, résume Saint-Pierre, donc j’avais vraiment envie de mettre ce festival-là de l’avant.» Le coup de foudre pour l’événement était survenu lors de sa première incursion à l’Usine C. Saint-Pierre a depuis eu la chance de voir un maximum de spectacles lors de la dernière édition à Marseille à l’automne dernier. «C’est vraiment une belle courroie de transmission entre le Québec et la France.»
QU’est-ce qui attend JEU, maintenant que l’âge vénérable de 40 ans est atteint? «On a envie de continuer d’être au plus près de ce qui se passe dans le milieu, parce qu’au fond, on est là pour ça: on est vraiment là pour faire écho à ce qui se passe dans le milieu théâtral. J’ai l’impression que si le milieu théâtral est dynamique, on va l’être avec eux; s’il fait du surplace, on risque d’en faire aussi.»
Revue JEU
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Festival Actoral
Jusqu’au 5 novembre à l’Usine C