Le concept est né d’un refus décevant et d’une belle amitié. Quand l’auteure-compositrice-interprète, feu Ève Cournoyer, a su que sa demande de bourse avait été refusée en 2008, elle a tout de suite écrit la mauvaise nouvelle à sa bonne amie Fany Rousse… qui a décidé que ça ne finirait pas comme ça. Bien vite, elle a pris le taureau par les cornes et s’est assurée que son amie puisse jouer malgré tout.
« Spontanément, je l’avais invitée à venir faire des spectacles à Sept-Îles pour l’aider. Je ne connaissais rien du métier de booker! Je lui avais demandé ce qu’elle chargeait, j’ai été cogner aux bonnes portes et ça bien marché. Elle a joué dans un salon d’auberge, un bistro et un grenier de restaurant. Ça a été trois maudites belles soirées et le public a découvert Ève d’une manière complètement authentique! Quand elle est repartie pour Montréal, elle était super contente de son séjour et tous les gens qui ont vu ses spectacles m’en reparlaient constamment. J’ai eu la piqûre et j’ai voulu répéter l’expérience avec d’autres artistes. »
C’est ainsi que Route d’artistes est devenu une vitrine importante de la relève en offrant l’organisation complète de tournées dans des lieux intimes. Aujourd’hui forte d’un diplôme en industrie du spectacle et en gestion de carrières artistiques, Fany a à coeur de faire découvrir des musiciens méconnus. « Le but, c’est d’abord et avant tout d’offrir des conditions professionnelles à des artistes qui sont en démarrage ou en rodage de projet. En même temps, c’est d’offrir des shows de qualité aux mélomanes de partout au Québec qui adorent ce type de spectacles, tout en simplicité et en intimité avec les artistes. Ça permet tellement de faire de véritables rencontres et de développer son public partout en région. En gros, c’est de promouvoir la diversité culturelle! » Depuis, Route d’artistes a présenté des artistes de la trempe de Michel Robichaud, Samuele et Saratoga, entre autres.
Parce qu’on le sait bien: obtenir une visibilité quand on commence peut ressembler à un chemin de croix pour certains artistes. Non, « des gens comme Saratoga, Sarah Toussaint-Léveillé ou Joëlle Saint-Pierre ne rempliront jamais le Centre Bell, et ce n’est pas leur objectif non plus. Quand les bars c’est pas trop ton créneau et que les salles de spectacles ont de la difficulté à se remplir, il faut s’adapter. Route d’Artistes est ma façon de participer au rayonnement de ces artistes. Ils sont hyper talentueux, mais ont parfois moins de visibilité. Comme a dit un jour Marie-France Bazzo, « ce n’est parce que je suis droitière et que je me sers moins de mon bras gauche que je dois me le faire amputer ». Chaque artiste a sa place au Québec et je trouve ça génial que les gens ouvrent leur maison pour accueillir des artistes qui leur sont parfois complètement inconnus. Le public aime vivre ce genre d’expérience et tout le monde est gagnant! »
Et d’ailleurs, comment Fany fait-elle pour choisir les artistes qui seront présentés dans le cadre de la tournée, quand on sait qu’elle a reçu plus d’une centaine d’offres lors de la première période d’inscription? « Je recherche des artistes qui se démarquent, soit par leur écriture ou par leur style musical, qui sont très à l’aise sur scène. Ça prend des gens charismatiques, qui ont envie d’échanger avec le public et de se mettre dans un état de fébrilité aussi. C’est intimidant de voir chaque visage te regarder, ce n’est pas comme dans les salles de spectacles, où les gens sont dans le noir. Le choix se fait souvent avec le projet qui est le plus prêt, parce que tout spectacle doit être de qualité aussi. J’ai maintenant un jury qui m’aide à faire la sélection quand vient le temps des inscriptions, alors tous les commentaires sont pertinents et m’aident à faire le choix. »
Un cadre intime, plusieurs chapeaux
Jouer dans un cadre aussi intime, c’est unique… et ça transforme nécessairement le rapport des artistes à la représentation et au public. Celle qui porte les chapeaux d’agente de spectacles, de directrice de tournée et de relationniste de presse – et qui s’occupe également de la sélection des artistes avec un jury, la recherche de lieux de diffusion diversifiés et de la promotion avant et pendant la tournée – avoue avoir un lien privilégié avec les musiciens. « J’accompagne les artistes tout au long de la route, alors je les mets en relation avec les personnes qui nous accueillent dans leur maison, leur chalet ou bien dans leur gîte pour faire le show. C’est beaucoup de logistique, mais tout est simple en même temps. Je m’improvise aussi soundman, cook et guide touristique dans les temps libres! »
Cette proximité ne peut bien sûr que mener à de jolies histoires… « C’est plein de petites anecdotes et de moments trippants en tournée, c’est sûr. Comme quand Joëlle Saint-Pierre a callé une entracte: “Ok, on prend 15 minutes de pause et on recommence à 21h30, pile à l’heure qui est sur le four!” Ou dans un spectacle à un chalet, pendant que Saratoga jouait, on entendait très fort le bruit des grenouilles et des cigales dehors, c’était vraiment spécial. »
Mission accomplie
Une ambiance qui a fait des petits: la réputation de Route d’artistes n’est plus à faire dans le milieu: « Au début, je n’étais pas certaine que le public et les artistes allaient tripper autant que moi, qui avait du fun à organiser tout ça. J’étais à Québec, à l’école en industrie du spectacle, en train de structurer Route d’Artistes, quand le projet de RIME (Réseau indépendant de la musique émergente) s’est fait connaître pour une malheureuse histoire de fraude. J’avais peur que les gens mélangent les deux projets, mais finalement ça n’a pas été le cas. C’est un petit milieu, alors quand un projet est fait pour les bonnes raisons, ça fait vite le tour autant que si c’est le contraire. Dès la première tournée, le bouche-à-oreille s’est fait et c’était juste du positif, alors j’étais super contente d’avoir relevé le défi! »
À force de se tenir aussi près de la scène indépendante/émergente – c’est le cas de le dire – comment la voit-elle? « Je trouve que la scène actuelle est hallucinante, et c’est d’ailleurs comme ça depuis quelques années. Il y a tellement de bons projets que c’est difficile de rester à jour et de tout connaître. Les gens qui me disent qu’ils écoutent de tout sauf de la musique faite au Québec, je ne comprends pas. Il y a de tout et je pense que c’est un manque de curiosité et peut-être d’éducation de ne pas consommer ce qui se fait ici. Peut-être qu’il devrait y avoir plus de programmes dans les écoles, de sorties scolaires pour aller voir des concerts, du théâtre, de la danse, des films… Je pense que si on intègre ça dès le jeune âge, ça peut juste avoir des répercussions positives par la suite. » Pas fou.