À propos de Métier artiste: Ce sont des rencontres avec des artistes en arts visuels. Qu’ils viennent de la performance, de l’installation, de la peinture ou de la sculpture, mon but est de parler de leur situation économique. Je veux faire connaître aux lecteurs la situation d’emploi des artistes d’ici et la précarité que certains d’entre eux peuvent vivre. Sujet presque tabou, mais crucial. Voici donc l’occasion de découvrir des artistes d’une autre manière.
En cette splendide matinée de mai, je m’engage sur le pavé de l’entrée du bungalow de Julie Lequin, tout de briques et de pierres vêtu, coiffé d’une cheminée. Dans sa cuisine, autour de sa table trônent des chaises de couleurs différentes. Elle me propose de m’asseoir et je prends place sur une petite chaise verte. Sans plus tarder, elle entre dans le vif du sujet et m’explique son cheminement.
Julie est devenue artiste professionnelle grâce à son parcours scolaire en arts visuels et sa persévérance. En 2001, elle a obtenu son diplôme de baccalauréat à Concordia en arts visuels et a décidé de poursuivre ses études aux États-Unis afin de parfaire son anglais. Après un post-bac à San Francisco, elle a finalement été acceptée au Art Center College of Design à Pasadena en Californie comme étudiante à la maîtrise. Elle m’explique que c’est une véritable chance d’y avoir été admise, un peu comme une loterie, car les universités y sont très sélectives. Ses professeurs y étaient des grosses pointures et elle a réalisé qu’ils ne représentaient pas la réalité de la vie d’artiste: ils sont des privilégiés dans ce système. Pendant les trois années de sa maîtrise, elle a développé son réseau et a décidé de rester après ses études afin de tenter sa chance. Des opportunités se sont offertes à elle comme jeune artiste pour exposer et le milieu des arts y était à l’époque en pleine effervescence.
Elle m’avoue avoir trouvé les années de transition entre la fin de ses études et l’entrée dans le marché du travail difficile. Sa situation financière était pour elle une source de stress importante. De plus, il lui était difficile d’obtenir un visa et le coût de la vie à Los Angeles était très cher, sans mentionner qu’il lui fallait payer son assurance santé et son assurance automobile chaque année. Le rêve américain n’était peut-être pas si beau que ça après tout. Sa famille l’a d’ailleurs beaucoup aidée sur le plan financier pendant ces années. « J’ai vu que même si tes oeuvres voyagent beaucoup, tu ne peux pas vraiment vivre de ça. Tu ne peux pas vivre de ta gloire sans un sou. » Elle a souvent pensé quitter ce métier lorsque le calme s’installait, mais chaque fois quelque chose de nouveau se présentait. Récipiendaire d’une bourse de la ville de Los Angeles, elle a postulé pour des résidences de création un peu partout aux États-Unis et en Europe. Elle est donc partie sur la route pendant trois années, pour finalement décider de revenir au bercail après toutes ces années d’exil. La rencontre de son conjoint l’a renforcée dans son désir de revenir s’établir au Québec.
Son premier emploi comme enseignante a été au Collège de Mérici, qui lui a confirmé que ce travail était fait pour elle. Après tout, elle aime le monde et partager ce qu’elle connaît. Enseigner la fait se sentir utile et lui permet de gagner une part de sa subsistance. Comme beaucoup d’artistes, Julie ne vit pas exclusivement de son art: « Il y a quelques artistes au Canada et aux États-Unis qui vivent très, très bien de leur art, mais ce n’est pas le reflet de la réalité pour la majorité d’entre eux. Même moi je me sens privilégiée et chanceuse de pouvoir travailler sur mes projets. » Elle reste sélective dans le choix de ses contrats et ne souhaite pas pour le moment travailler à temps plein comme enseignante. Elle admet aimer la stabilité financière dont elle jouit lorsqu’elle enseigne, mais souhaite conserver sa pratique artistique. Pour cela, il lui faut conserver du temps à consacrer à ses projets dans son atelier. Elle expose son travail de façon régulière depuis de nombreuses années.
Si au départ elle se donnait plutôt dans la peinture abstraite, sa pratique a progressivement pris un tournant majeur. À partir de ce point, la démarche de cette artiste fut plus autobiographique. Son travail est toujours teinté d’un humour légèrement satirique et ses sculptures en papier mâché sont très proches de la philosophie du savoir-faire artisanale.
Ses sources de revenus sont diversifiées, se composant de bourses, d’ateliers de formation, de contrats d’enseignement au cégep, de contrats d’illustrations et de commandes d’oeuvres. Elle qualifie sa situation d’emploi comme changeante, car elle n’est jamais la même au fil des mois. Elle fait donc toujours attention à ses dépenses et ne consomme que très peu. En règle générale, elle achète du papier et du tissu pour son atelier, des bobettes lorsque cela est nécessaire et paye ses comptes. Elle avoue que son petit luxe à elle c’est d’aller en voyage de pêche une fois l’an avec son amoureux pour taquiner le poisson dans une chaloupe: « Y’a rien. On mange du poisson. C’est juste nous deux sur le lac. C’est vraiment l’fun! » Ce n’est pas comme aller voyager en Europe, mais pour elle c’est son moment privilégié qu’elle attend avec bonheur chaque année. Autrement, la vie de Julie fluctue au gré des saisons, la frénésie des dates de tombées succédant à ses nombreux engagements professionnels.
Julie Lequin | site web