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Engramme de l’artiste Nadia Aït-Saïd à la maison de la culture Mercier: invitation à se faire l’archéologue de son propre passé

Engramme de l’artiste Nadia Aït-Saïd à la maison de la culture Mercier: invitation à se faire l’archéologue de son propre passé

« C’est une oeuvre qui a toute sa place quand il y a plein de gens, et d’un autre côté, [dans] la solitude, c’est vraiment là qu’on peut la ressentir. »

Ceux qui étaient présents au vernissage le savent: à la maison de la culture Mercier, vous ne trouverez pas d’écriteau « Ne pas toucher ». Au contraire. « J’invite les gens à marcher sur l’oeuvre, affirme l’artiste, expliquant que s’il n’y a personne, l’oeuvre perd un peu sa résonance. »

Mais qu’est-ce qu’un engramme exactement? Pour Nadia Aït-Saïd, dont la pratique artistique est inextricablement liée à une recherche spirituelle, il s’agit de lunettes qui teintent notre vision de la réalité. « Quand je parle d’engrammes, je parle qu’on est tous cryptés. On est crypté de notre histoire, on est crypté de notre culture, on est crypté de nos émotions, de sorte qu’on voit la vie à travers le prisme de nos engrammes. Et [l’oeuvre] Engramme, en fait, c’est une invitation à se laisser éroder soi-même, pour que tranquillement, tous ces engrammes-là puissent s’effacer, pour qu’on puisse voir les choses telles qu’elles sont, simplement, sans filtre. »

Une belle invitation à se faire archéologue de son histoire, pour voir au-delà des strates et se retrouver tels que nous sommes, le temps d’une visite. « C’est pour ça que le thème érosion est devenu super intéressant, parce que toutes les strates sont signifiantes, sont importantes, mais pour arriver au thème de l’identité plus subtile, il faut que tout ça s’efface, pour laisser place à plus d’ouverture, plus de présence. »

Pour y arriver, l’espace est habité par trois immenses bandes, représentant la passé, le présent et le futur, sur lesquelles les visiteurs sont invités à marcher. Les pieds se posent ainsi sur une texture particulière, que l’artiste a développée au tout début de sa pratique et qui traverse toute son oeuvre. Des écritures imaginaires, se voulant universelles, sont gravées sur les bandes. « Plus on avance et qu’on marche, les écritures s’effacent, parce que c’est ça l’invitation, c’est de laisser aller, se détacher de cette histoire l’espace d’un instant. »

La bande du centre est entrecoupée par un impressionnant cercle de tsa tsas, petites sculptures tibétaines que l’artiste a moulées par milliers dans son studio. Elle a demandé à des connaissances de lui remettre une photo ou un souvenir, qu’elle a brûlés, et c’est un peu de cette cendre qui se tient au creux de chacune des sculptures. La forme circulaire n’est pas anodine pour l’artiste: « Comme le cercle représente le retour à soi, l’universalité du regard, le fait qu’il soit au centre c’est aussi le centre de soi-même, explique-t-elle. Je pense que c’est la pièce centrale, dans tous les sens du terme. »

La bande centrale s’ouvre aussi sur une immense courte-pointe, dont le tissu représente la naissance, le premier des engrammes, le filtre de notre famille et du milieu dans lequel nous sommes élevés.

Engramme aborde donc les thèmes d’impermanence, d’interdépendance et de la présence. « Moi [ce sont] les outils du bouddhisme qui m’ont amenée à ça, mais c’est universel, plein d’autres avenues peuvent nous amener à ça. » témoigne l’artiste, qui étudie les principes du bouddhisme depuis une quinzaine d’années, ce qui coïncide avec le début de sa pratique artistique. Pourtant, pour Engramme, Nadia Aït-Saïd ne voulait pas apposer l’étiquette « bouddhiste », même si son influence est forte. « J’essaie de faire une oeuvre qui est complètement ouverte, sans engramme, et le fait de mettre ces mots-là, en partant il y avait un engramme où on pouvait voir l’oeuvre, à travers un espèce de filtre. »

La maison de la culture Mercier marque la fin d’un cycle pour Engramme. L’artiste souhaite que la circulation de cette oeuvre se poursuive dans les prochaines années, autant au Québec qu’à l’extérieur de nos frontières.

Engramme, terminé en 2013, a marqué un tournant dans la pratique de Nadia Aït-Saïd, pour qui tous les projets s’inscrivent dans une oeuvre plus large qui s’intitule Origines. « Dans Engramme, il y a une espèce de réponse que je donne, donc je sens qu’il y a une sorte de complétude. » La prochaine oeuvre, sur laquelle planche déjà l’artiste, s’appelle Madras. « Ça va être la première fois depuis 2001 que je quitte, l’espace d’un instant parce je vais y revenir, la fameuse texture dont je parlais. Et c’est volontaire, parce que dans Madras, je pousse encore beaucoup plus le fait de quitter les habitudes: on va vers l’inconnu, on laisse aller les choses. »

Les matériaux utilisés par l’artiste ont en commun qu’ils ont connu le passage du temps, qu’il s’agisse de bois de plage de la Gaspésie, d’argile, de métal rouillé ou de drapeaux tibétains. Pour Madras, le défi que l’artiste se donne est d’utiliser un seul matériau, « uniquement des foulards qui ont appartenu à d’autres, qui ont une histoire. » Un processus à suivre, assurément.

En attendant, l’artiste sera présente le 21 avril lors d’une conférence de Damien Brohon, qui a été inspirée par une citation de l’artiste anglais William Blake qui s’applique tout à fait à Engramme: « Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l’homme telle quelle est, c’est-à-dire infinie. » Ce sera l’occasion de lui poser des questions sur son oeuvre, dès 18h30 (soit une heure avant la conférence), et de parcourir Engramme pour une première ou une deuxième fois.

Pour tous les détails sur Engramme et la conférence de Damien Brohon, cliquez ici.

D’autres artistes inspirés par le bouddhisme qui risquent de vous intéresser:

Sylvain Bouthillette

Artiste multidisciplinaire touchant à la photographie, la peinture, la gravure, l’installation et la danse, Sylvain Bouthillette s’intéresse à travers son art aux notions d’impermanence, l’incertitude et l’instabilité. Son oeuvre oscille entre spiritualité et esthétique punk, une dualité qui rend l’artiste tout à fait unique.

Matthieu Ricard

Connu notamment pour ses nombreux livres sur la philosophie bouddhiste et vivant au Népal depuis presque cinquante ans, Matthieu Ricard est également un photographe de talent. Il est le fils de la peintre Yahne Le Toumelin et du philosophe Jean-François Revel. On peut retrouver ses oeuvres sur son site web.

Robert Ouellet

Artiste peintre dont la quête spirituelle des dernières années l’a amené à réaliser une série sur les Bouddhas, il s’intéresse maintenant aux geishas.

Guy Hamelin

Artiste multidisciplinaire résidant à Montréal, Guy Hamelin est fortement inspiré dans sa pratique par les mandalas bouddhistes.

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