Métier artiste: l’envers du décor | Ce sont des rencontres avec des artistes en arts visuels. Qu’ils viennent de la performance, de l’installation, de la peinture ou de la sculpture, mon but est de parler de leur situation économique. Je veux faire connaître aux lecteurs la situation d’emploi des artistes d’ici et la précarité que certains d’entre eux peuvent vivre. Sujet presque tabou, mais crucial. Voici donc l’occasion de découvrir des artistes d’une autre manière.
Stanley a « l’air d’un artiste » et il a vraiment la gueule de l’emploi. Dégaine assurée, veste rétro en cuir élimé, foulard noué autour du cou, tignasse crépue et libre. Je l’ai rencontré l’automne passé, un vendredi soir lors d’un 5 à 7 pour les journées de la culture.
Ça faisait déjà un bon bout de temps que je n’étais pas allée à ce genre d’évènement. D’ordinaire, je ne sais jamais trop quoi faire de ma peau dans ces soirées-là, sauf aller prendre un verre et serrer des mains. Je n’ai pas vraiment serré celle de Stanley, car il s’est joint à mes amies en chemin. La seule chose que je sais, c’est que nous nous sommes rapidement retrouvés à discuter ensemble. Il faut dire aussi qu’il n’a pas la langue dans sa poche. Il me trouvait drôle et nous avons bien ri. Dans ce temps-là, je deviens plus volubile et réceptive.
On en est venus à parler des petites misères que nous rencontrons tous lorsque nous sommes artistes et c’est pourquoi j’ai immédiatement pensé à lui pour mon projet de chroniques.
Ça fait quatre ans que Stanley a quitté un emploi stable pour être artiste à temps plein. Son histoire, c’est celle de quelqu’un qui a fait un choix qui pourrait être qualifié de marginal. Si la valeur du métier est proportionnelle au salaire accordé, on va se le dire tout de suite: être artiste n’est pas vraiment valorisé par la société. L’avantage du travailleur qui fait du 9 à 5 sur l’artiste, c’est la garantie d’obtenir un revenu fixe. Mais les fins de mois peuvent parfois être difficiles pour les travailleurs comme Stanley. Selon lui, il faut faire des sacrifices économiques pour être artiste. Oublie la télévision 60 pouces pis le voyage dans l’sud l’hiver. À 42 ans, il ne possède pas de maison ni de voiture, et limite ses dépenses au strict minimum. Pour lui, aller au restaurant est un luxe dont il peut se passer. Avec le sourire dans la voix, il m’a confié qu’il avait expérimenté toutes les sortes possibles de sandwichs et qu’il était même devenu un spécialiste en la matière. Il a choisi ce mode de vie afin de vivre sa passion.
Pour lui, quitter sa vie d’avant c’était comme mourir pour mieux renaître. Son déclencheur fut une action très simple. Il m’a raconté:
« De façon tangible, je pense que je suis devenue artiste le jour ou j’ai décidé d’entrer dans un engagement. […] Je dirai que c’est la première fois où je suis allé sur une pierre tombale et que j’ai écrasé un oeuf avec mes pieds symbolisant ma mort. C’est mon tout premier autoportrait. J’ai senti que je venais de faire une action que je n’avais jamais faite auparavant. »
Je l’imagine pieds nus dans le cimetière à faire son rituel de passage. C’est étrange, mais je le comprends d’avoir fait ça. Les oeufs c’était lui, et la tombe, la mort de son ancienne vie.
Stanley, il l’a compris l’affaire. Il dit que l’art est international et pas juste national. Depuis le tout début, il aborde avec son travail les drames humains et environnementaux de ce monde. L’année dernière, il a été invité à participer à des évènements à l’étranger, notamment au Mexique et en Chine. Rien de moins que ça! Comme quoi l’art peut aussi être une façon de voyager et d’aller à la rencontre des autres cultures. Il m’a confié qu’il trouvait difficile de ne pas être en mesure d’imprimer certains projets photo pour cause d’argent et qu’il avait dû laisser des oeuvres derrière lui. Il emploie lui-même volontiers l’expression « avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête » afin de décrire sa situation économique, car tu ne sais jamais quand elle va te tomber sur la tête.
Comment devient-on artiste? Sincèrement, je ne sais pas trop comment. Il y en a qui vont à l’école comme moi et qui se tapent un bac et une maîtrise, et il y a même qui poussent jusqu’au doctorat. Lui sa carrière, il ne la pense pas entre Québec pis Trois-Rivières. Il a peut-être a compris quelque chose qui m’échappe encore. Il me reste du chemin à faire parce que je n’ai pas encore trouvé le moyen de gagner ma vie comme artiste in Montreal. Think big sti!