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Lettre à un jeune entrepreneur

Lettre à un jeune entrepreneur

Lorsqu’on se lance en affaires, les mots « 2 ans » reviennent souvent, comme une incantation, zone un peu mystique où ça passe ou ça casse. Cela est encore plus vrai lorsque l’entreprise implique un espace commercial. Si vous songez tenter l’aventure, clarifiez vos doutes en contactant un avocat spécialisé dans l’immobilier et en lisant le témoignage d’un entrepreneur qui voit dans sa lunette ce chiffre doré se pointer à l’horizon.

Assise sur la terrasse du café qui m’a vue passer de barista et journaliste à temps partiel à journaliste à temps plein, l’heure est aux bilans. Pour Nicolas Filion, qui mène l’aventure du café Pagaille dans le Mile End avec son frère Antoine, l’entrevue devient une occasion de jeter un regard sur deux ans qui ont filé à vive allure.

« C’est quelque chose que j’avais du mal à projeter: à quel point ça va être difficile, jusqu’à quand, et ça va être quoi les difficultés », avoue celui qui s’est lancé dans l’entrepreneuriat sur le tard, après une carrière en danse et en enseignement. Entre la signature du bail en juin 2013, l’ouverture du café à la fin janvier de l’année passée et maintenant, celui qui se considère encore novice dans le monde des affaires a tout de même acquis toute une palette d’aptitudes.

« Je savais qu’en me lançant en affaires, il allait falloir que je m’éduque, donc la première chose que j’ai faite a été de me former minimalement » expose Filion, au moyen d’une formation à distance de quelques cours en finance à l’Université Laval. Les finances et l’entrepreneuriat forment « une zone où le québécois moyen est assez illettré malheureusement, et je faisais vraiment partie de cette gang-là. » Le tout lui permet de comprendre le langage des banquiers. Un prêt pour le fond de roulement et un autre pour l’équipement plus tard, il complète avec ses économies, un financement sans intérêt sur les électroménagers qui tombe à point, une nouvelle carte de crédit et un prêt familial. Le budget était serré mais suffisant pour se lancer.

Pour tout projet de commerce, le choix du local en est un majeur: il va souvent teinter l’orientation de l’entreprise. Nicolas Filion confirme: « Le local a décidé pour nous que ce serait un petit café de quartier, avec une offre de bouffe assez limitée et un chiffre d’affaires limité aussi », le café opérant sur un permis de douze places assises, un nombre se dédoublant l’été grâce à la terrasse.

Une fois l’emplacement trouvé, il est essentiel de cibler sa stratégie d’affaires. Si c’était à refaire, Filion voudrait « mieux cerner qu’est-ce qu’on [allait] faire, qu’est-ce qu’on [allait] vendre et travailler là-dessus pour que ce soit tight dès les premiers jours. » Parce qu’une fois le bail signé, tout déboule et l’improvisation peut coûter cher. « Je sais qu’au niveau de l’entreprise, tu peux te couler avec un mauvais produit au départ. » Pour Pagaille, si le commerce peut compter depuis le début sur une base solide, un bon café, le menu nourriture a pris plus de temps avant de trouver sa personnalité, notamment en raison des travaux qui se sont étirés.

Ce qui nous mène au deuxième conseil crucial: bien contrôler ses dépenses en vue de l’ouverture, un immense défi en soi. « On dépense toujours trop dans ces situations-là, je pense. On le réalise par après. » Pour économiser, il peut être tentant de vouloir faire les travaux soi-même. Une belle idée en théorie, qui ne passe parfois pas le test de la pratique: « Ce n’est pas nécessairement rentable, parce qu’il faut calculer que ce que tu fais toi-même, c’est du temps que tu perds, c’est de l’argent que tu fais pas pendant ce temps-là. » La gestion des dépenses, première réalité des entrepreneurs, débute à ce moment-là et toutes les petites économies réalisées ici et là vous aideront à mieux respirer par la suite.

Malgré ces bons conseils, une première entreprise vient forcément avec des erreurs de débutant. « Le jeu, c’est est-ce que tu vas te planter suffisamment pour faire faillite ou tu vas te planter juste assez pour réussir à relever l’affaire? Ici, [après 19 mois d’opérations] il semble qu’on va s’en sortir, mais on est passé proche. »

Une autre leçon apprise en cours de route, que certains trouveront plus facile que d’autres, selon la personnalité: « un chef d’entreprise, finalement, c’est surtout savoir déléguer ». D’où l’importance de « tabler sur ses forces », « bien connaître ses faiblesses », et ne pas sous-estimer ses besoins en main-d’oeuvre. Assumer que certaines tâches nous irriteront plus que d’autres, que ce soit la prospection de nouveaux clients, la gestion des horaires ou celle des réseaux sociaux. Si la fuite vers d’autres tâches moins importantes se fait trop grande, la solution réaliste consiste à engager quelqu’un pour nous assister, et se garder des zones valorisantes et passionnantes qu’on ne délèguera sous aucun prétexte.

Alors qu’il voit le deux ans d’opérations poindre à l’horizon, Nicolas Filion respire un peu mieux. Pour ceux qui s’apprêtent à se lancer, il insiste sur le rythme effréné du métier d’entrepreneur: « C’est toujours dans l’urgence. [Il faut] accepter et prendre conscience que ça va être ça: tu vas gérer des urgences pendant deux ans, minimum. »

Avec lucidité, il entrevoit la suite pour garder son commerce attrayant et les clients heureux: « Il faut à la fois avoir une continuité dans l’offre, et faire évoluer. Qu[e les clients] sentent qu’on les abandonne pas, qu’on continue à travailler le détail. » Comme quoi les manches d’un entrepreneur demeurent à jamais retroussées.

Crédit photo: Olivier Pontbriand, La Presse

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