2 mai
Art Mûr
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Refaire surface: Henri Venne
Par Céline Escouteloup
On regarde les pièces de Refaire surface comme des peintures abstraites minimalistes. C’est qu’Henri Venne emprunte, de l’univers de la peinture, différents codes, dont la juxtaposition des surfaces chromatiques. Mais ce sont des photographies. Nous nous attachons alors, dans l’acte de perception, à trouver des éléments précis de reconnaissance nous référant à une réalité quelconque qui nous sont refusés. Dans cette impasse, il ne reste peut-être qu’à simplement contempler, à appréhender la richesse du flottement, les promesses de l’entre-deux.
L’œil est invité à sillonner un moment, un lieu à peine reconvoqué, loti dans les profondeurs sous-jacentes de l’image. Mais il est aussi perpétuellement rappelé à la surface de l’image, à ses textures et reflets glacés, et ainsi, à l’instant immédiat de l’observation. C’est dans cet écart entre ici et ailleurs, maintenant et avant, que surgit ou disparaît le souvenir, et avec lui l’évidence de son imprécision.
Notre tort serait de s’obstiner à saisir et retenir plutôt que de laisser aller, comme nous y escorte ce travail presque anti-photographique. De grands espaces à peine évocateurs et, tout juste, une esquisse proposée pour un parcours qui reste à dessiner. Tout semble s’échapper ou émerger. Impressions, atmosphères et climats oniriques, fantomatiques, éthérés. Étendues vaporeuses. Même les paysages, soit les décors proposés pour méditer, sont à peine suggérés. Henri Venne crée un vide. Un vide merveilleux qu’il nous appartient de remplir si l’on veut ou de laisser ouvert. Une invitation à la visite, à la rencontre, à la création : le champ est libre pour y déposer ses propres couleurs. La nature n’est peut-être pas tant convoquée pour rappeler le sujet à lui-même, comme le ferait l’élan romantique, que pour proposer un canevas pour s’oublier et se réinventer.
« Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver » écrivait René Char. C’est peut-être de cette façon que l’artiste préserve une vraie possibilité de souvenir ; non pas en capturant, mais au contraire, en ouvrant, et en permettant la réexploitation, la métamorphose et l’enrichissement de son émotion à l’infini. Refaire surface est donc une œuvre profondément touchante tant dans la reconnaissance d’une fragilité universelle, à savoir notre mortalité, et notre incapacité à tout garder en nous, que dans l’ouverture faite à l’observateur pour une rencontre méditative. Dans une approche spirituelle quasi-orientale, voilà comment ce qui ne devrait constituer que la trace imprécise d’un souvenir à jamais perdu devient le point d’origine à la création : voilà comment, de ce qui est éphémère, et même éteint, on arrive à saisir un peu d’éternité.