

»CONSULTER LES ARCHIVES DE LA CHRONIQUE : KIOSQUE À JOURNAUX
Disparue en 1981 après 60 ans d’existence et ressuscitée en 2013, comme imprimé trimestriel, la revue Camera rend hommage à ces photographes qui prennent le risque de chercher l’âme de leurs sujets avec leur objectif. En se donnant corps et âme à la beauté pure de la pellicule, le magazine essaie de démystifier l’essence de la photographie pour livrer ses secrets. Entrevue avec l’éditeur, Bruno Duva.
Baron : Comment Camera a-t-il vu le jour ?
Bruno Duva : Quand j’étais chef de pub, à l’occasion de prises de vues en studio, j’ai découvert l’édition suisse de Camera. Conservées précieusement par les photographes, ces revues m’ont initié à de nombreux sujets liés à la photographie, tout en me faisant découvrir ses maîtres. C’était dans les années 1980. Les photographes travaillaient en argentique, nous jugions les prises de vues sur des Polaroïds et faisions l’édition sur des planches contact. Camera avait déjà cessé ses activités.
Au tournant du siècle, le numérique s’est généralisé et cette révolution technique a engendré « l’inflation » photographique que nous connaissons aujourd’hui. Professionnellement, les banques d’images devenaient de plus en plus prisées par les annonceurs, entraînant une banalisation visuelle dans la communication. Les commandes aux photographes diminuaient dans quasiment tous les secteurs et nombre d’entre eux tentaient leur chance sur le marché de l’art. Certaines agences de photographes créèrent des galeries qui s’ajoutèrent à celles créées par les agents indépendants, les directeurs artistiques, les acheteurs d’art… Une offre décomplexée et une nouvelle génération de collectionneurs voyaient le jour.
J’ai toujours été attaché à la commande, quelles que soient ses contraintes. La naissance d’une image me fascinait autant que le métier de photographe. La majorité des annonceurs n’avaient ni le temps, ni les budgets, ni l’envie de créer leurs propres images. Dans ce contexte de dévalorisation de l’image photographique, je passe de la publicité à l’édition en 2005. Un secteur qui me permettra de travailler le fond des sujets avec les auteurs et de maîtriser le support. Ouvrages collectifs, monographies, études historiques, ouvrages consacrés aux collections et catalogues d’exposition sont produits et diffusés par les Editions Trocadéro.

C’est fin 2011 que l’idée de créer un magazine dédié à la photographie a émergé lors d’une soirée entre amis. Nous voulions raconter des histoires et des destins de photographes pour « enraciner » ce qui est devenu une pratique banalisée. Allan Porter, le dernier rédacteur en chef de l’édition originale de Camera a dit à ce propos une phrase tout à fait juste : « L’image est omniprésente. Et quand quelque chose est omniprésent, c’est qu’il n’est plus spécial. Les gens pensent à des images de tous les jours, au lieu d’images d’un jour. » (Allan Porter est l’invité de Camera #5.)
L’image photographique, aujourd’hui, a une durée de vie inversement proportionnelle à sa diffusion. Le magazine envisagé prendrait le contre-pied de ce trop plein photographique.
Au lieu de gaver d’images et d’actualités les lecteurs, ce que fait formidablement Internet, nous voulions privilégier la rencontre avec l’humain. Ce n’était aucunement motivé par le refus de la modernité, mais notre idée était de la servir en s’interrogeant sur ce qui en resterait et pourquoi. Enfin, à nos yeux.
Ça, c’était l’idée. Restait à donner forme à ce projet, un contenu, une ligne éditoriale, une équipe, un titre… et c’est sur la table basse du salon que l’idée dormait. Un numéro de Camera attendait patiemment d’être réveillé. Sans un mot, nous avons tous été d’accord. La renaissance de Camera était devenue une évidence.
Nous avons gardé l’âme – le format, les alternances de papiers et de maquettes selon la thématique abordée, la qualité éditoriale, la sobriété extrême de la couverture – et rajeuni un peu le logo. On a abandonné ce qui était consultable sur le web : la partie consacrée au matériel et l’actualité des expositions.

B. : Comment décririez-vous votre ligne éditoriale ?
B. D. : Camera reprend donc du service fin 2012, plus de trente ans après son dernier numéro et 90 ans après sa création, pour poursuivre sa vocation première : publier les œuvres des plus grands photographes contemporains et donner à un large public les repères pour en apprécier la portée.
Revue à lire autant qu’à regarder, Camera conserve l’exigence de sa ligne éditoriale initiale, mais adopte une forme nouvelle et originale : elle se concentre désormais sur une rencontre approfondie avec un invité – un(e) photographe ou une personnalité entretenant un lien fort avec la photographie (cinéaste, écrivain, collectionneur, galeriste).
Cette rencontre a ceci de particulier que l’invité est libre d’aborder tous les sujets qu’il veut – revenir sur ses influences, raconter ses itinéraires, s’entretenir avec une personnalité, dévoiler ses coups de cœur –, de la façon dont il le veut. Son rédacteur en chef actuel, Jonas Cuénin, met en forme leurs échanges de façon à en rendre sensibles les idées et l’esprit. Chaque rencontre se déroule sur plusieurs jours, elle est relatée sur une quinzaine de feuillets et illustrée sur 20 pages.

Chaque numéro s’adapte à l’invité et à ses désirs, avec un objectif : qu’il nous donne les clés de compréhension de sa photographie et, finalement, de la photographie comme art. Ce qu’il fera aussi en choisissant le portfolio d’un photographe émergent dont il tient à faire connaître le travail.
Après la rencontre et le portfolio, 30 pages sont consacrées à des rubriques plus analytiques : la découverte d’un lieu dédié à la photographie, souvent représentatif de la façon dont est perçu le médium dans un pays ; le décryptage du marché de la photographie ; le point de vue d’un collectionneur ; l’expérience d’un lauréat à l’occasion d’un prix ou une résidence…
Camera est aussi une passerelle entre les maîtres de la photographie et les jeunes talents ; elle prolonge cet engagement au-delà de la revue elle-même, en organisant, sur une durée d’un an, une exposition itinérante des photos publiées dans chaque portfolio.

B. : Pourquoi avoir choisi le média imprimé ?
B. D. : Camera est une revue exclusivement imprimée sans version « dématérialisée », afin de restituer au mieux les photographies sur un papier différent par numéro, selon la thématique abordée et la dominante photographique. Il en va de même pour la mise en page et le choix typographique. Chaque numéro est différent et s’adapte au genre photographique ou à la tonalité imprimée par l’invité. Il n’y a pas de charte graphique, seulement une charte de qualité.
De fait, nous repartons graphiquement de zéro à chaque parution, en revanche nous avons toujours sensiblement les mêmes rubriques.
Bien que chaque numéro soit unique, nous veillons à ce qu’il s’insère bien dans la collection. Je pense que seule une revue papier permet cette liberté de maquette et de choix de supports adaptés au contenu.
B. : Quelle est la réaction du public ?
B. D. : Excellente. Que des compliments. Le taux de réabonnement a été de 70 % pour la deuxième année. Nous sommes aussi très touchés par des lettres et courriels fort circonstanciés qui nous encouragent.
Seul les prix que nous pratiquons en ligne pour les abonnements et la vente au numéro font l’objet de remarques. Ils sont identiques à l’achat en kiosque et librairie majoré des coûts réels dus au conditionnement soigné et à l’acheminement.

B. : Quelle est votre stratégie de vente et de croissance ? Publicité ou co-branding ?
B. D. : Nous imprimons en moyenne 15 000 exemplaires : 10 000 pour les kiosques, 2 000 pour les librairies et points de vente réseau et 2 000 pour l’international et 1 000 pour les abonnés et la vente en ligne. Nous avons une diffusion payée moyenne de 6 000 exemplaires. Ce qui représente environ 25 000 lecteurs.
Le pourcentage de pages de publicité est de 15 %, alors que la moyenne est de 35 % pour ce type de revues dans ce secteur. Notre approche pour la publicité est stricte : aucun échange rédactionnel contre page de pub. Seulement quelques partenariats médias avec des foires ou festivals pour assurer une visibilité du titre à l’occasion.
Notre équilibre financier est obtenu grâce à nos partenaires qui, en échange de leur contribution financière, exposent le portfolio central choisi par l’invité et diffusent la revue auprès de leurs publics. Tous ont reconduit leur partenariat en 2014. J’en profite pour dire que nous en cherchons un outre-atlantique, pour l’exposition des portfolios.
B. : Avez-vous des projets à venir ?
B. D. : Nous souhaitons maintenant donner une plus grande visibilité à Camera, notamment en développant sa diffusion grâce à de nouvelles versions étrangères, mais aussi en proposant une base de données réunissant les articles produits par les deux derniers rédacteurs en chef de l’édition suisse : Romeo Martinez et Allan Porter.
1953-1981, près de trente années qui furent l’une des périodes les plus fécondes pour la photographie et durant lesquelles Camera a laissé une mine d’informations. Des articles de qualité par centaines qui constituent une somme inestimable pour de nombreux étudiants, chercheurs ou photophiles œuvrant dans le domaine de l’image et qui ne demandent qu’à servir la connaissance et l’avenir du médium.
Cette base de donnée sera accessible aux abonnés de la revue et à certaines institutions.
