Le 4 avril dernier avaient lieu les Rencontres de l’ADISQ 2013. Cette grand-messe de l’industrie de la musique québécoise rassemble, une fois l’an depuis 1995, des professionnels de tout poil, des maisons de disques aux organisateurs de spectacles en passant par les réseaux radiophoniques de la province.
C’était ma toute première rencontre et j’avais bien hâte d’assister aux conférences et d’entendre ce que les pontes québécois et certains de leurs invités canadiens et américains avaient de beau à nous dire sur cette industrie que l’on dit en crise depuis qu’Internet et les formats numériques faciles à copier sont venus donner un coup de pied dans la fourmilière.
On se souvient qu’il y a quelques années, Internet était l’ennemi juré de l’industrie, la grande menace, le canal par lequel les vandales numériques pillaient le fonds de commerce des maisons de disques avec des armes nouveau genre nommées Napster, Limewire ou eMule. Eh bien en 2013, force est de constater que tout cela est révolu. Le monde de la musique québécois veut faire d’Internet son grand allié, même si on ne sait pas toujours trop comment s’y prendre.
Il faut dire que les experts qui se sont exprimés sur le sujet durant ces rencontres de l’ADISQ étaient tous d’accord pour dire que le Québec et, dans une moindre mesure, le Canada, se sont laissés distancer par leur voisin du sud en matière d’utilisation stratégique d’Internet pour renouveler la façon de mettre en marché et de vendre la musique. Et encore, les États-Unis semblent un peu plus timides que l’Europe et l’Asie en ce qui concerne l’adoption des nouveaux modèles numériques de l’industrie. Par exemple, les plateformes qui permettent l’écoute en ligne – telles Deezer, Rdio et Spotify – sont beaucoup plus développées en Europe qu’ici, en Amérique du Nord.
Le Québec, même là, fait encore office de village gaulois! C’est ici, apprend-on, chez nous, qu’il se vend encore le plus d’albums « physiques » (vous savez, ces trucs ronds qu’on appelle « CD » et qui brillent au soleil?) Cette situation qui, il y a encore 2 ou 3 ans, aurait rassuré l’industrie québécoise de la musique est, en 2013, quelque peu inquiétante. Le monde de la musique au Québec serait-il en passe de manquer le train du numérique et de la dématérialisation des supports musicaux?
C’est un peu ce que me laisse croire le grand dévoilement de l’étude « Qui est le consommateur de musique aujourd’hui? » qui a eu lieu durant ces Rencontres de l’ADISQ 2013. Je ne rentrerai pas dans les détails de cette étude qui dresse un portrait précis des habitudes d’écoute et d’achat de musique des Québécois et décortique leur comportement par styles musicaux, par tranches d’âge et par genre. Ce qui m’a frappé dans les commentaires du présentateur de cette étude, c’est qu’Internet, dans les faits, n’aurait pas vraiment beaucoup d’influence sur les comportements d’écoute et d’achat de musique! Entendre ça en 2013, c’est assez surprenant, non? Moi, ça me laisse perplexe.
La principale source d’information pour les consommateurs québécois de musique demeure la radio. Viennent ensuite les amis, la télé, la famille, les journaux… et finalement, en 5e ou 6e position, on retrouve YouTube. Pas Internet, mais bien Youtube, puisque les jeunes interrogés durant l’étude mentionnent spécifiquement ce canal, et pas un autre. Ces statistiques sur la place prépondérante qu’occupe la radio auprès des consommateurs de musique ont été rassurantes pour les représentants de CKOI,Radio NRJ et autres Rouge FM présents dans la salle. Pierre Rodrigue, d’Astral Média, s’est empressé de dire aux professionnels de la scène musicale : « Vous voyez, la radio, c’est encore l’avenir. Nous sommes là pour durer et être un rouage clé de l’industrie! »
Eh bien moi, je suis un peu plus frileux. Il est toujours plaisant de se regarder le nombril quand la photo qu’on nous présente est flatteuse. Le problème avec une étude, c’est justement que c’est une photo, une image statique du présent qui n’est en rien garante de l’avenir. À mon avis, l’industrie québécoise de la musique a de quoi s’inquiéter si elle mise davantage sur la radio FM d’ici que sur ses stratégies de diffusion et de présence sur le web!
Je dis ça parce que j’ai des enfants qui sont nés avec Internet, et je vois comment ils « consomment » leur musique. Ma fille de 20 ans fait ses découvertes sur Last.fm ou Deezer et partage ses goûts musicaux avec ses « amis » sur différents médias sociaux (et pas seulement Facebook!) Mon fils, passionné de jeu vidéo, passe son temps sur YouTube. Ses sources d’intérêts musicaux viennent de là : des jeux, des musiques utilisées par ses amis comme trames sonores pour leurs clips vidéo maison mettant en scène une partie de gaming. Et vous savez quoi? Ils n’écoutent aucune radio d’ici… La seule radio que m’autorise mon fils dans l’auto, c’est 99.9 FM The Buzz, de Burlington, qui passe du modern rock et de l’alternatif. Et ils n’écoutent aucun artiste d’ici!
J’y vois là un grand danger pour l’avenir. La fameuse étude dévoilée jeudi dernier le démontre déjà : les « jeunes » consomment deux fois moins de musique francophone québécoise que les « plus vieux ». Il faudrait être bien optimiste de croire que, arrivés dans la trentaine, ces jeunes nourris aux musiques d’ailleurs se mettront à consommer du « québécois francophone » comme par magie!
J’ai eu l’impression, lors de ces rencontres, que l’industrie musicale québécoise commençait à se tremper les lèvres dans la coupe Internet. On ne fait plus la grimace comme par le passé. Mais ce n’est pas uniquement les lèvres qu’il faut y tremper, il faut y plonger le corps en entier. Nous devons envahir tous les espaces numériques et revoir au besoin les législations et les façons de faire héritées du temps où la musique était un bien matérialisé sous la forme d’un disque.
Vers le web toutes! L’industrie de la musique québécoise, et surtout les artistes eux-mêmes, doivent prendre le web d’assaut et envahir l’espace numérique. Les conférenciers présents ont d’ailleurs donné des pistes et des outils pour le faire stratégiquement et intelligemment. Nous disposons de plein de ressources au Québec pour devenir des chefs de file du « numérique musical ». La présentation de l’entreprise québécoise à succès Bandzoogle (www.bandzoogle.com) à laquelle nous avons eu droit l’illustre bien.
Il y a plein de gens allumés au Québec qui comprennent le web et ses enjeux pour le monde de la musique d’ici : suivez ce que fait MusiQC NumeriQC (www.musiqcnumeriqc.ca), lisez Guillaume Déziel (www.guillaumedeziel.com) ou Marc-André Laporte (www.donnetamusique.com). Vous verrez qu’il existe de nombreuses pistes prometteuses pour les artisans québécois de la scène musicale qui veulent vraiment se mettre à l’heure d’Internet!