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Le nouveau visage du Downtown East Side

Le nouveau visage du Downtown East Side

Photo: Nelson the seagull par Zoë Biggs

La plaie béante de Vancouver, le Downtown East Side (DTES), change de visage. La gentrification fait son oeuvre, à coup de condos chics et de restos branchés.

Le quartier, rongé par la drogue et l’itinérance, devient une terre d’opportunités pour les jeunes entrepreneurs. Jonathan Snelgar, sa soeur Lee et leur amie Jodi Belfour, rêvaient d’un café modeste et honnête, à l’image de ceux qu’ils fréquentaient dans leur ville natale de Port Elizabeth, en Afrique du Sud. L’année dernière, ils ont ouvert Nelson the Seagull, à deux coins de l’intersection maudite de Vancouver, celle des rues Main et Hastings.

S’installer dans le quartier était une évidence pour le trio. « C’est sur qu’il y a les drogués, mais les gens commencent à se réveiller, c’est un quartier incroyable avec une tonne d’opportunités. C’est ici que ça se passe, insiste Jonathan Snelgar. »

Dans une ville où le résidant moyen dépense 60% de son salaire pour payer le loyer, l’immobilier à rabais du Downtown East Side se fait soudainement attrayant. Ajoutez à cela la proximité du quartier historique Gastown, rempli de touristes, et l’équation est complète.

Le bal de la gentrification du Downtown Eastside a commencé avec le projet d’habitation Woodwards, où les condos de luxe et les logements sociaux partagent la même adresse. La métamorphose de l’institution Save on Meats en temple de la restauration branchée a ensuite pavé la voie pour les plus petits joueurs. Chaque semaine, un nouveau commerce branché ouvre ses portes dans le quartier.

Pour les proprios du Nelson the Seagull, le côté brut du DTES est un gage d’authenticité. Tous les items sur le menu sont faits dans les cuisines du café, y compris le pain sans levure. « Notre approche de la nourriture est très old fashioned. On n’est pas des chefs, mais on aime les produits honnêtes, explique Jonathan Snelgar. » Salades, sandwiches gourmets, limonade fraîchement pressée, les choix sont simples et populaires. Par un après-midi de semaine, il ne reste qu’un gros fauteuil brun, plus digne d’un sous-sol de banlieusards que d’un resto branché, pour s’asseoir.

A quelques pas de là, un établissement représente la plus claire dissonance du quartier DTES. Le Cartem’s Donuterie vend ses beignes trois dollars l’unité. Façonnés à la main quotidiennement, ils ne contiennent que des ingrédients locaux: « les oeufs viennent d’une ferme de Burnaby et on utilise de la farine biologique. Certaines compagnies tentent de faire des économies en délaissant la qualité, mais nous, on ne veut pas faire ça, dit l’entrepreneur Jordan Cash. » Entre les refuges pour sans-abris et les soupes populaires, l’antre du beigne bio détonne.  Il s’agit néanmoins d’un luxe prisé et les clients font parfois la file jusque dans la rue.

Le choix de s’établir dans le quartier relève du hasard, assure Jordan Cash. En février, le jeune homme a saisi l’opportunité d’y ouvrir un comptoir pour tester le marché du beigne frais. « Notre présence ici a été critiquée, parce qu’évidemment, on ne dessert pas la population immédiate du quartier. On ne peut pas faire plaisir à tout le monde. On fait simplement notre possible pour gagner notre vie, admet Jordan Cash. »

De son côté, le trio du Nelson the Seagull est conscient de la réalité du DTES. Ils font un effort pour desservir une clientèle moins fortunée en adaptant leur menu. Deux dollars suffisent pour s’offrir une généreuse portion de pain et de beurre. Pourtant, ce ne sont pas les clochards du coin qui en profitent, probablement intimidés par l’impeccable façade vitrée du Nelson the Seagull. Les clients ici sont plutôt issus d’un milieu plus jeune, professionnel et riche. Les ordinateurs portables et fringues griffées en font foi.

Jonathan Snelgar concède : « On entend les gens parler contre la gentrification, mais pas directement contre notre café. Personnellement, je pense que c’est une bonne chose qu’il y ait plus d’argent investi ici. » La ligne entre Gastown et le DTES est de plus en plus floue. Les éclopés devront sans doute quitter, ne s’y retrouvant plus dans un quartier maintenant trop propre, trop neuf, trop hip.

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